Entretien avec la présidente de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM)

Compétences à tous les niveaux

FMH
Édition
2021/41
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20197
Bull Med Suisses. 2021;102(41):1320-1322

Publié le 12.10.2021

La formation médicale est en constante évolution. En tant que présidente de l’ISFM, Monika Brodmann Maeder est responsable de la formation médicale postgraduée et continue en Suisse et nous expose les objectifs ambitieux que l’ISFM s’est fixés pour les dix prochaines années. Des changements fondamentaux devront être réalisés dans de nombreux domaines pour que la qualité de la formation postgraduée des médecins puisse se maintenir à un niveau élevé.
Monika Brodmann veut s’atteler à promouvoir la formation postgraduée basée sur les ­compétences.
Mme Brodmann, vous avez pris les rênes de l’ISFM en février dernier, quel premier bilan tirez-vous aujourd’hui?
Mon prédécesseur m’a légué une équipe compétente et très motivée. Grâce à elle, je peux travailler efficacement sur les réformes à entreprendre dans le domaine de la formation postgraduée et continue.
Si vous le voulez bien, abordons tout d’abord les réformes en cours dans la formation postgraduée. Quels sont les aspects sur lesquels vous vous concentrez?
Nous travaillons à instaurer une formation postgraduée basée sur les compétences. Werner Bauer a déjà passablement défriché le terrain dans ce domaine. Mon objectif est d’implémenter la «formation médicale basée sur les compétences» (ndlr: Competency-­Based Medical Education, CBME) pour tous les médecins, dans toutes les disciplines et dans l’ensemble des établissements de formation postgraduée.
Depuis les années 1970, il est régulièrement question de CBME. Bien que cette approche basée sur les compétences soit logique et pertinente, comment expliquez-vous qu’elle ne se soit pas encore imposée en Suisse?
Il y a différentes raisons à cela. L’une des principales réside certainement dans l’enseignement suivi par la majorité des professeures et professeurs pendant leurs années universitaires et dispensé selon des méthodes classiques avec des cours magistraux et une part ­importante d’étude personnelle. Ce mode d’enseignement a ensuite été naturellement repris dans la formation pré- et postgraduée et aujourd’hui encore, le cursus classique pour devenir professeur et enseigner la médecine passe par la recherche et les publications scientifiques et par une habilitation universitaire dans la discipline choisie. Les futures formatrices et formateurs n’abordent que brièvement les notions de l’enseignement en suivant notamment un cours de didactique.
Vous êtes donc favorable à ce que les formatrices et formateurs approfondissent la question de l’enseignement?
Absolument, et dans un premier temps surtout les personnes occupant une fonction dirigeante. Nous ne pouvons pas partir de l’hypothèse que de bons médecins ou de bons chercheurs sont de bons enseignants: «on ne naît pas prof, on le devient.» Dans les écoles, on ne part pas non plus du principe que le corps enseignant sait instinctivement transmettre des connaissances sans avoir suivi de formation spécifique et sans accomplir de formation continue.
Vous avez un master en Medical Education de l’Université de Berne. Quelle est votre expérience dans ce domaine?
Cela m’a ouvert de nouveaux horizons. J’ai toujours cru très bien transmettre mes connaissances pendant mon activité médicale. Ce master a mis en lumière les structures et conceptions du monde sur lesquelles repose la formation médicale. J’ai pris conscience que former des personnes est une compétence qui s’apprend et que l’on doit s’approprier, surtout si l’on occupe une fonction dirigeante où il faut p. ex. élaborer des plans de formation ou développer des projets sur le long terme qui exigent beaucoup de savoir-faire. Aux postes-clés, nous avons besoin de personnes spécialisées en formation et non de personnes qui ont seulement un talent pour ça.
Grâce à l’introduction de PROFILES, le cursus universitaire en médecine humaine devrait évoluer en faveur d’une médecine basée sur les compétences. Quelles sont les avancées dans ce domaine?
PROFILES pose le cadre général nécessaire. On remarque cependant que les facultés qui ne proposent que depuis peu une formation en médecine ont plus de facilité à mettre sur pied un nouveau cursus et à l’inclure dans leur quotidien. Il s’agit notamment des universités de St-Gall, Fribourg, Lugano et de l’EPFZ qui ont pu développer de tout nouveaux cursus de formation.
Y a-t-il aussi des précurseurs parmi les sociétés de discipline?
La société de cardiologie est un excellent exemple, car leur programme de formation est entièrement basé sur les compétences. Le Comité de l’ISFM vient de l’approuver, mais pour qu’il soit mis en œuvre, nous devons encore attendre que tous les établissements de formation postgraduée soient prêts à accompagner les médecins en formation sur cette voie. Le Swiss College of Surgeons s’attelle également à mettre sur pied un concept basé sur les compétences pour les médecins en formation postgraduée. Les sociétés de psychiatrie de la personne âgée, de gynécologie et obstétrique et d’autres sont également intéressées à remanier leurs programmes et l’ISFM les soutient dans ce sens.
Par rapport aux programmes de formation postgraduée traditionnels qui détaillent sur plus de 20 pages ce qu’un médecin en formation doit faire et ne pas faire, les programmes basés sur les compétences apportent plus de clarté et de simplicité, mais la seule implé­mentation des EPA (ndlr:Entrustable Professional Activities) ne suffira pas, il faut également amorcer un changement culturel qui associe toutes les personnes impliquées à tous les échelons hiérarchiques.
Comment ce changement culturel pourra-t-il se faire?
Nous devons commencer par nourrir la réflexion avec les cantons pour savoir si les établissements de formation postgraduée qui proposent des formations basées sur les compétences pourraient bénéficier d’incitatifs financiers. D’autre part, nous devons accroître les compétences des formatrices et des formateurs dans le domaine de l’enseignement. Les ateliers Teach the teachers que l’ISFM propose depuis plusieurs années avec succès offrent une possibilité supplémentaire dans ce sens. Nos spécialistes de la formation sont en train de remanier ces ateliers dispensés en collaboration avec le Royal College of Physicians of London pour les adapter encore davantage aux spécificités suisses. De plus, nous devons accorder plus d’importance aux possibilités de formation virtuelle.
«Il faut amorcer un changement culturel qui associe toutes les personnes impliquées à tous les échelons hiérarchiques.»
Qu’en est-il de la collaboration avec la Confédération?
L’ISFM est chargé de la formation postgraduée et continue et, à ce titre, il doit être accrédité tous les sept ans par la Confédération. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP), l’ISFM et d’autres organisations ont récemment créé un groupe de suivi dont la mission est de veiller à ce que l’accréditation des programmes soit simplifiée. Le processus d’accréditation ne doit pas être perçu comme une tracasserie administrative, mais plutôt comme une occasion de permettre à chaque société de discipline de voir comment elle peut se positionner face aux défis futurs et quelles seront les adaptations prévues pour les sept années à venir. J’ai l’impression que la communication ouverte entre l’OFSP et l’ISFM permettra d’établir une base solide pour une mise en œuvre efficace.
A long terme, vous envisagez d’établir une continuité entre la formation prégraduée et postgraduée. Quel sera l’impact sur le cursus de formation des futurs médecins?
Aujourd’hui, on accomplit ses études de médecine et après avoir réussi l’examen final, on passe à un nouveau chapitre où tout recommence à zéro. C’est ce qu’il faut changer. L’objectif est d’arriver à une courbe d’apprentissage continue et ascendante du début des études à la fin de la formation postgraduée, avec plusieurs paliers. Pour réaliser cette continuité, il faut que les facultés de médecine et les responsables de la formation postgraduée travaillent en étroite collaboration.
A propos des objectifs de formation postgraduée que vous évoquez, quelles échéances prévoyez-vous pour leur mise en œuvre?
Le projet de formation postgraduée basée sur les compétences s’étalera sur dix ans environ. La CBME devrait alors être intégrée dans tous les programmes et les progrès de sa mise en œuvre perceptibles dans la plupart des établissements de formation. Enfin, tous les médecins en formation doivent pouvoir documenter les EPA acquis pour obtenir un titre de spécialiste. Les dates d’accréditation de l’ISFM par la Confédération offriront des points de repère pour évaluer l’avancement des travaux. La prochaine accréditation aura lieu en 2025. Nous verrons alors où en sont les différentes sociétés de discipline médicale en matière de formation basée sur les compétences et ce qu’elles envisagent pour la suite. Si notre rapport d’expertise est approuvé par le Conseil fédéral, nous aurons franchi une étape importante. L’accréditation suivante, en 2032, sera l’occasion de faire le point et de voir où nous en sommes. Le calendrier est ambitieux, mais nous devons insuffler une dynamique à l’implémentation de la CBME pour éviter que le projet ne s’essouffle.
Pour terminer, abordons brièvement la formation continue. Quels sont les projets dans ce domaine?
Nous avons deux grands axes de travail. Le premier concerne le développement d’un outil indispensable: la plateforme électronique de formation continue. L’année prochaine, elle sera dotée d’un calendrier centralisant les sessions de formation continue et permettant aux médecins de reprendre celles qu’ils ont suivies dans leur protocole de formation continue au moyen d’un code QR. Le but est que tous les médecins soumis au devoir de formation continue obtiennent un diplôme de formation continue qui leur permette d’attester leur obligation légale face aux autorités et au public. Pour l’heure, seuls 40% des médecins détiennent un diplôme de formation continue.
Et le deuxième?
Le rapport «Ärztliche Fortbildung in der Schweiz: Stand­ortbestimmung und Perspektiven» [1](ndlr: disponible uniquement en allemand) est en cours de consultation auprès des sociétés de discipline médicale. Ce rapport réalisé en 2020 par l’ISFM sur mandat de l’OFSP dresse un état des lieux de la formation continue et ­esquisse les étapes à suivre pour continuer à en améliorer la qualité. Ensemble, nous déterminerons les conclusions à tirer de ce rapport afin de pouvoir élaborer, dans le courant de l’hiver, des recommandations pratiques et concrètes. Nous devons trouver des réponses à plusieurs questions comme quelle formation continue souhaitent les médecins, comment la simplifier et quels contenus sont déterminants.

A propos de Monika Brodmann Maeder

Originaire d’Interlaken, la Dre Monika Brodmann Maeder, p.-d. et MME, a étudié la médecine à Bâle. En tant que médecin d’urgence et de montagne, elle a travaillé pendant plus de dix ans dans les centres de montagne de l’organisation de secours aérien Rega et a été en charge de la formation des équipes d’hélicoptères de la Rega pendant trois ans. Elle a obtenu un MME (Master of Medical Education) à l’Université de Berne et traité de manière intensive, pendant ses études, le sujet de la formation postgraduée interprofessionnelle, ce qui lui a permis par la suite d’appliquer son expertise dans ce domaine à son travail quotidien. Spécialiste en médecine interne générale et qualifiée en médecine d’urgence préclinique et clinique, elle était jusqu’à récemment médecin adjointe au chef de service du Centre universitaire des urgences de l’Hôpital de l’Ile à Berne. En 2020, Monika Brodmann Maeder a passé l’habilitation à l’Université de Berne. A 58 ans, elle travaille en outre pour une période limitée en tant que Senior Researcher à l’Institut de médecine d’urgence alpine de Bolzano (I).
MonikaMaria.BrodmannMaeder[at]siwf.ch