Empathie, jusqu'où?

Briefe / Mitteilungen
Édition
2021/3132
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20053
Bull Med Suisses. 2021;102(3132):995

Publié le 04.08.2021

Empathie, jusqu’où?

Cher Confrère Jean Martin,
Votre article paru dans le BMS du 21 juillet 2021 me parle, m’interpelle. La neutralité bienveillante, essentielle pour établir une relation de confiance, se situe entre
– l’absence d’empathie, une médecine qui pourrait être dispensée par un robot; ceci dans un contexte où l’on recherche sécurité à 100% et où toutes les connaissances scientifiques sont accessibles sur internet, où il n’y aurait même plus besoin d’une assurance RC
– le trop d’empathie, la naïveté qui nous fait tomber dans des pièges, l’écueil du manque de distance critique devant des patients manipulateurs.
Je suis à la retraite, mais toujours actif dans une association romande (médecins-action-­santé-migrants) qui se préoccupe de l’éthique dans le domaine de l’asile. Nous sommes confrontés à des lois et des règlements fédéraux qui sont le reflet depuis quinze ans de ce que la droite nationaliste prône, et qui sont souvent en porte-à-faux avec notre Constitution, la Déclaration universelle des droits humains, des droits des enfants ou simplement la règle d’or qui se trouve déjà dans l’Evangile: «Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse.»
Oui, l’empathie (déjà bien avant le stade du «militantisme») est effectivement une pente glissante, et peut conduire à enfreindre ces lois – et parfois jusqu’à la désobéissance civique au nom de notre conscience, nourrie par les serments qui régissent l’activité médicale (Hippocrate, Genève, Helsinki…).
A quel moment y a-t-il la bascule vers l’empathie du professeur Vanotti, et selon quels critères? En médecine individuelle, clairement quand il y a une injustice à l’égard du patient faible et démuni. Nous avons besoin de discernement, de recul, en partageant la préoccupation avec un confrère, une consœur. Pourquoi les médecins doivent-ils entrer dans un débat qui est plutôt juridique? Pourquoi pas? Cela me rappelle le reproche qu’on fait à l’Eglise de sortir des thèmes spirituels. Comme le dit Virchow que vous citez, la politique n’est que la médecine sociale pratiquée en grand. D’où ma dernière réflexion: en Santé publi­que, nous rencontrons une subtilité supplémentaire. Le corps médical est-il au service d’un intérêt supérieur, ou peut-il être instrumentalisé par une Administration (en cautionnant par exemple certains renvois forcés)? Il faut du courage pour faire de l’objection de conscience.
Chaque médecin, à la place qui est la sienne, doit décider au cas par cas où il met le curseur entre neutralité distante et empathie active, entre sa tranquillité et sa vocation.