«Le Covid-19 a révélé l’état de la santé mentale des jeunes»

Tribüne
Édition
2021/33
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20045
Bull Med Suisses. 2021;102(33):1067-1069

Affiliations
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Publié le 18.08.2021

Faciliter la prise en charge pluridisciplinaire de la santé physique et mentale des jeunes: c’est la vocation du Centre Ados Riviera, cabinet privé qui regroupe généralistes, gynécologues, psychologues et a ouvert ses portes en mars à Montreux. Rencontre avec Dre Jennifer Helfer, à l’origine de ce concept unique en Suisse romande.
Spécialisée en santé des adolescents, Jennifer Helfer s’est lancée en 2019 dans la création du Centre Ados Riviera.

A propos de Jennifer Helfer

Dre Jennifer Helfer a étudié la médecine à Lausanne et obtenu son diplôme fédéral en 2011. Elle se spécialise en médecine interne (diplôme en 2017). Elle a fait des passages à l’Hôpital du Valais, à l’ancien Hôpital Riviera-Chablais (HRC), à la Division Interdisciplinaire de Santé des Adolescents (DISA) du CHUV, d’abord comme médecin assistante puis comme cheffe de clinique. Entre mars et septembre 2020, elle œuvre au sein d’Unisanté pour un remplacement aux urgences et filière Covid-19. Jennifer Helfer s’est lancée en tant qu’indépendante dans l’aventure Centre Ados Riviera SA en 2019, centre dont elle est à la fois la fondatrice et la responsable.
Dre Jennifer Helfer, pourquoi avez-vous créé 
le Centre Ados Riviera?
Lorsque je travaillais comme généraliste à la DISA, la Division Interdisciplinaire de Santé des Adolescents, au Centre hospitalier universitaire vaudois, j’ai cons­taté que les seuls centres de compétence en Suisse romande étaient la DISA justement et l’Unité santé jeunes aux Hôpitaux universitaires de Genève. Pour moi, il manquait des antennes réparties dans les zones périphériques permettant d’atteindre davantage de jeunes, dont la prise en charge est particulière.
Qu’y a-t-il de si particulier dans la prise en charge des 12–25 ans?
Comme on le sait, l’adolescence est une période charnière souvent difficile à traverser. A cet âge, on est en quête de son identité, on n’est plus un enfant, mais pas encore un adulte. Les conflits avec les parents et à l’école ne sont pas rares. Nous travaillons également avec un pédiatre spécialisé dans les questions de genre. La difficulté est de trouver des spécialistes, car la santé des adolescents n’est pas reconnue comme une spécialité à part entière.
Comment avez-vous trouvé les médecins 
et ­thérapeutes qualifiés?
Pour la médecine somatique, j’ai pu compter sur mon réseau au sein de la DISA, qui m’a encouragée dès le ­début dans ma démarche. Le soutien du CHUV a été précieux. Quant aux thérapeutes en santé mentale, cela a fonctionné grâce au bouche-à-oreille. Il y a heureusement de plus en plus de spécialistes qui s’intéressent à cette catégorie de la population, essentiellement des femmes.
Collaborez-vous avec les centres de compétences tels que la DISA et l’unité des HUG?
Absolument. Nous voulons être des partenaires, et non une concurrence. Le but est de pouvoir bénéficier de leur expertise tout comme nous pouvons leur apporter notre soutien, lorsque leurs services sont saturés ou ne conviennent pas à certaines patientes et patients. Nous prenons en charge les jeunes de 12 à 25 ans. La prise en charge à la DISA, elle, s’arrête à l’âge de 20 ans. Nous collaborons aussi avec la Fondation de Nant, qui s’occupe des 0 à 18 ans de l’Est vaudois en souffrance psychique. Et nous avons rencontré les médecins de premier recours de la région pour nous présenter et leur montrer notre volonté de collaborer.
Comment ont-ils réagi?
Bien. Ils ont compris notre objectif d’être une offre complémentaire et notre volonté de s’aider mutuellement. Nous avons déjà des cas de co-suivis, par exemple dans des situations de troubles alimentaires. D’autre part, des médecins de premier recours nous ont adressé des jeunes patients qui nécessitaient un suivi psychologique.
Quels sont les motifs de consultation 
les plus ­fréquents?
Ils sont très variés. Nous avons des patients qui viennent pour une reprise de suivi général, par exemple lorsqu’ils sont trop âgés pour retourner chez le pédiatre, des suivis gynécologiques y compris les poses de stérilet et suivis de grossesse, des consultations en ergothérapie que ce soit pour des ­bilans ou des prises en charge et des suivis en santé mentale liés aux troubles de l’humeur et à l’anxiété. Il y a de plus en plus de demandes pour des questions liées à l’identité de genre. Nous nous occupons aussi de ­migrants mineurs non accompagnés de l’Est vaudois, en collaboration avec Unisanté et la Fondation de Nant.
Depuis mars 2021, le Centre Ados Riviera prend en charge les jeunes de 12 à 25 ans.
En automne dernier, les services pédopsychiatriques des hôpitaux suisses criaient au secours, croulant sous la demande. Etes-vous aussi touchés par le phénomène?
Des parents nous appellent régulièrement, car ils ne trouvent pas de pédopsychiatres pour prendre en charge leur enfant. Nous avons plus de 60 patientes et patients sur liste d’attente pour des suivis en santé mentale. Sur ce plan, nous avons énormément de ­demandes et cherchons à recruter davantage de spécialistes en santé mentale.
Le Covid-19 semble avoir révélé au grand jour 
le profond mal-être de certains jeunes.
La pandémie a clairement exacerbé la souffrance chez les jeunes. Les pensées suicidaires ne sont de loin pas rares. Celles et ceux en difficulté scolaire étaient très angoissés à l’idée de retourner à l’école. Le manque de perspectives pèse également sur le moral, même si cela s’est amélioré grâce au vaccin et à la levée des mesures. Les jeunes peuvent à nouveau sortir et se retrouver ­librement. En revanche, nous continuons de voir les ­ravages que font les écrans: le confinement a entraîné une surconsommation d’internet. Le problème est que les parents sont eux-mêmes tout le temps devant l’écran pour travailler. Il devient donc difficile de mettre des limites.
Comment met-on le doigt sur une souffrance 
chez une personne adolescente? Or, c’est un sujet plutôt tabou à cet âge.
Il n’est pas rare que nous détections un trouble d’ordre psychique lors d’une simple consultation en médecine générale. Il faut avant tout être à l’écoute et bien saisir l’environnement global dans lequel évolue la personne. L’origine de la souffrance est souvent multifactorielle: école, famille, cercle d’amis, crise d’identité ou simple rébellion. Plusieurs séances peuvent être nécessaires pour obtenir des informations personnelles, voire intimes, et comprendre ce qui ne va pas. Dialogue et mise en confiance sont les maîtres-mots.
Les jeunes constituent pour l’instant le groupe le moins vacciné contre le Covid-19. Faites-vous de la sensibilisation en ce sens auprès de votre patientèle?
Oui, nous les encourageons à se vacciner et dans la ­majorité des cas, ils sont tout à fait prêts et ouverts à le faire. Ce sont plutôt les parents qui se montrent ­réticents et «bloquent». Nous menons toujours au moins une consultation avec les parents, puis nous voyons l’enfant ou l’adolescent seul. Cet équilibre est important.
A quoi ressemble votre patientèle type?
L’âge moyen est de 16,7 ans. Plus de 60% sont des jeunes filles. Une grande partie de la patientèle se répartit entre la Riviera et le Chablais valaisan, jusqu’à Martigny.
Vous avez 60 patientes et patients sur liste d’attente, songez-vous à vous agrandir?
Oui, nous avons le projet d’ouvrir des antennes notamment en Valais et à Fribourg. La facilité d’accès aux soins pour cette frange de la population ne doit pas se limiter à l’Arc lémanique. C’est toutefois encore une musique d’avenir: l’ouverture d’un cabinet est très complexe, les démarches administratives immenses. Le Centre Ados Riviera aurait dû ouvrir ses portes en mai 2020, mais les autorisations ont été difficiles à obtenir.

Une offre singulière hors hôpital

Situé à côté de la Gare de Montreux, le Centre Ados Riviera compte une salle gynécologique, un laboratoire, deux salles de soins somatiques et cinq salles de consultation. Jennifer Helfer y exerce en tant que spécialiste en médecine interne générale aux côtés de deux pédiatres, une gynécologue, un pédopsychiatre, deux psychologues et une ergothérapeute. Un infirmier mobile va à la rencontre des jeunes dans la rue pour les sensi­biliser aux soins en santé psychique. L’offre du centre est unique en Suisse romande en milieu non hospitalier, selon Jennifer Helfer. Depuis l’ouverture en mars 2021, quelque 1000 consultations ont été menées. Les coûts se sont montés à environ un million de francs dont 500 000 pour les travaux. L’installation et l’administration du centre sont le fruit d’une collaboration avec PraxaMed Center SA, société spécialisée dans la mise en place et le conseil pour les cabinets de groupe et centres médicaux. Etant une SA, le centre n’a pas reçu de subventions publiques, mais a bénéficié du soutien de la Fondation Avenir et Santé.
Plus d’informations: https://centreadosriviera.ch/
julia.rippstein[at]emh.ch