Actualisation des directives «Décisions de réanimation»

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Édition
2021/2728
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19940
Bull Med Suisses. 2021;102(2728):921-923

Affiliations
Medizin & Ethik & Recht, Bâle

Publié le 06.07.2021

Les décisions concernant la réanimation et leurs conséquences représentent une lourde charge pour toutes les personnes impliquées. En soutien au personnel de la santé, l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) a publié en 2008 des directives médico-éthiques à ce sujet, qui ont été récemment révisées. Les directives actualisées sont disponibles en français, allemand, italien et anglais.
Pour l’actualisation des directives de 2008 [1], la sous-­commission [2] instaurée par la Commission Centrale d’Ethique de l’ASSM et dirigée par le Prof. Reto Stocker de Zurich a tenu compte des connaissances scientifiques actuelles concernant les critères de pronostic et les résultats des mesures de réanimation. Elle a abordé les nouveaux développements tels que, par exemple, la réanimation extracorporelle et le concept de la planification anticipée concernant la santé, auquel les directives accordent une grande importance. Le projet de texte était en consultation du 11 décembre 2020 au 11 mars 2021.

Résultats de la consultation publique

Les 54 prises de position parvenues à l’ASSM pendant la période de consultation proviennent de nombreuses sociétés de discipline ainsi que de divers organismes professionnels, organisations et associations: la FMH, neuf sociétés de discipline, dont la Société Suisse de Médecine Intensive, la Société Suisse d’Anesthésie et Réanimation et la Société Suisse de Neurologie (SSN), le Swiss Resuscitation Council, l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), les Swiss Nurse Leaders, des hôpitaux et des cantons ainsi que l’Organisation suisse des patients OSP. Les retours ont été très positifs et portaient principalement sur des formulations et des demandes de précisions et des questions.
Le chapitre «Mesures de réanimation en vue d’une transplantation d’organes» a prêté à controverse. Celui-ci serait en contradiction avec l’attitude plus libérale vis-à-vis de la réanimation avant que la volonté du patient ou de la patiente ne soit connue et avec les directives pour le diagnostic de la mort en vue de la transplantation d’organes [3]. Dès lors, ce chapitre a été retiré dans la version définitive des directives révisées. L’ASSM suit les débats politiques actuels concernant l’introduction du modèle du consentement présumé [4] et approfondira ce thème lors de la prochaine révision des directives sur le diagnostic de la mort dans le contexte de la transplantation d’organes.

Eléments clés: autonomie et non-malfaisance

En termes de résultat et de pronostic, les directives se basent sur la «qualité de vie après une réanimation» plutôt que sur les données relatives à la «survie à la sortie de l’hôpital». La qualité de vie après une réanimation est en étroite corrélation avec le résultat neuro­logique d’une part, et est fortement influencée par des facteurs subjectifs (vécu et préférence de la patiente ou du patient) d’autre part.
Pourtant, les chances moyennes de survie après un arrêt circulatoire restent faibles. On dispose de données statistiques concernant des collectifs de patientes et patients, mais elles ne permettent souvent pas de tirer des conclusions précises sur les cas individuels. L’évaluation du pronostic individuel est particulièrement difficile. Toutefois, la proportion de réanimations réussies avec un bon résultat neurologique a globalement augmenté. Trois facteurs y ont largement contribué:
– l’amélioration de la «chaîne de secours»;
– une meilleure connaissance des facteurs défavorables au pronostic (exposés de manière nuancée dans les directives) et donc moins de réanimations;
– la volonté de la patiente ou du patient est recherchée et documentée plus activement.
Les directives accordent une importance élevée à l’autonomie des patientes et patients. D’après celles-ci, l’équipe de secours peut se baser sur les directives anticipées et les ordonnances d’urgence médicale et re­noncer à une tentative de réanimation si la personne concernée s’y oppose. Il est d’autant plus important de soutenir patientes et patients dans la prise de décision pour ou contre une réanimation après qu’elles et ils ont donné leurs préférences. Ce soutien passe par des informations personnalisées (pronostic) et l’échange avec les personnes de référence. A cet égard, les directives se fondent sur le concept de la planification anticipée concernant la santé [5].
Les directives soulignent que les mesures de réanimation dénuées de sens ne sont pas justifiées du point de vue éthique. Elles éprouveraient inutilement la personne concernée et ne feraient que prolonger son agonie. Actuellement, l’ASSM approfondit le thème de ­l’absence de perspectivedans le cadre de diverses interventions médicales; il est prévu de publier des recommandations à ce sujet.
Au vu des retours de la consultation, la position adoptée dans les directives «pas de médecine maximale, mais des décisions nuancées» chez les personnes très âgées a été formulée de manière plus pondérée. Ainsi, ce n’est plus l’âge en soi qui est considéré comme un facteur pronostic, mais plutôt le grand âge combiné à la fragilité. Les directives se réfèrent ici à une nouvelle étude de registre avec plus de 10 000 cas de réanimations intrahospitalières chez des personnes de plus de 70 ans [6]. Celle-ci a révélé que la réanimation de patientes et patients très âgés hospitalisés peut être couronnée de succès (environ 10% de survie neurologique intacte même chez les personnes de 90 ans). Par ailleurs, plusieurs études [7] montrent que chez les personnes très âgées et fragiles, le pronostic d’une tentative de réanimation est mauvais. Informer de manière empathique et adaptée à la situation – basée sur une évaluation réaliste du pronostic – peut contribuer à ce que les tentatives de réanimation ne soient pas entreprises dans des situations désespérées. Certaines études montrent que la majorité des personnes en fin de vie souhaitent des mesures qui soulagent les symptômes.

Questions et réponses

Quand une réanimation est-elle considérée comme réussie?
Selon les directives, une réanimation considérée comme réussie ne se limite pas au rétablissement de la circulation spontanée (ROSC; return of spontaneous circulation) et à la survie de la personne jusqu’à sa sortie de l’hôpital. Ce qui est déterminant, c’est que la patiente ou le patient puisse vivre sans séquelles neurologiques sévères et avec une qualité de vie qu’elle ou il juge satisfaisante. Pour l’évaluation de l’état neuro­logique, les directives se basent sur la classification dite Cerebral Performance Category, classification CPC. Néanmoins, les critères CPC ne reflètent pas toutes les conséquences possibles à long terme. Pour évaluer le résultat d’une réanimation, le vécu subjectif de la personne et sa satisfaction avec sa (nouvelle) vie sont des facteurs tout aussi importants.
Quand une tentative de réanimation est-elle dénuée de sens?
Une tentative de réanimation est considérée comme dénuée de sens si, du point de vue du pronostic, on peut très vraisemblablement exclure une prolongation de la vie à court ou moyen terme avec une qualité de vie acceptable pour la personne.
Pourquoi est-il important d’encourager les patientes et patients à décider tôt si elles et ils souhaitent être réanimés ou non dans la situation aiguë d’un arrêt circulatoire?
L’âge avancé, les comorbidités et la fragilité augmentent la probabilité de la survenue d’un arrêt circulatoire. Au plus tard lorsqu’une telle situation se présente, il est judicieux d’aborder la question de la réanimation – par exemple dans le cadre d’une planification anticipée concernant la santé (ACP) – et de consigner la volonté de la personne dans un document ayant une validité juridique. Pour être en mesure d’établir un pronostic réaliste, il est recommandé de consulter une experte ou un expert. Toutefois, les patientes et patients peuvent également rédiger leur volonté sans l’aide d’une ou d’un professionnel et, par exemple, la consigner dans des directives anticipées. Un entretien entre la personne concernée resp. le représentant légal, les proches et le personnel de santé peut s’avérer utile pour l’évaluation individuelle des risques et des bénéfices et pour soutenir la décision pour ou contre une réanimation. Même lorsqu’elle a été enregistrée, une décision peut être modifiée à tout moment par la personne capable de discernement. Cette modification doit également être documentée.
A quels éléments l’équipe de secours s’oriente-t-elle dans la situation aiguë d’un arrêt circulatoire?
En principe, l’exigence du consentement explicite à un traitement s’applique également aux mesures de réanimation. Face à une personne victime d’un arrêt ­circulatoire incapable de discernement [8], il est impossible d’obtenir son consentement éclairé à ce moment-là. Dans une telle situation d’urgence, le Code civil suisse [9] stipule que le corps médical peut prendre des mesures médicales conformes à la volonté présumée et à l’intérêt de la personne incapable de discernement. Si la volonté (présumée) est connue, toutes les mesures doivent s’orienter dans ce sens. Pour autant que les circonstances (contraintes de temps, lieu de l’arrêt circulatoire, etc.) le permettent, l’équipe de secours doit rechercher des indices permettant de déterminer la volonté (présumée) de la personne concernée. Si celle-ci refuse les tentatives de réanimation, aucune mesure de réanimation ne peut être entreprise. S’il n’est pas possible de déterminer la volonté (présumée) de la personne, ses intérêts sont déterminants. Dans cette situation, sa vie doit, si possible, être préservée, mais les tentatives de réanimation doivent être interrompues si elles sont dénuées de sens.
Est-il toujours pertinent d’appliquer des mesures de réanimation lorsque la personne le souhaite ou que sa volonté n’est pas connue?
La décision pour ou contre une réanimation et sa documentation dans le dossier médical est lourde de conséquences. Dès lors, chaque décision doit reposer sur les principes éthiques d’une bonne pratique médicale. Il s’agit, entre autres, du respect de l’autonomie d’une personne et du respect des principes de bienfaisance et de non-malfaisance. Ceux-ci engagent à préserver la vie d’une personne dans la mesure du possible, mais aussi à renoncer aux efforts de réanimation s’ils sont dénués de sens. Les directives stipulent que les mesures de réanimation dénuées de sens ne se justifient pas du point de vue éthique. Elles éprouveraient inutilement la personne et ne feraient que prolonger son agonie.

L’essentiel en bref

• Pour soutenir les professionnels de la santé, l’Académie suisse des sciences médicales a publié en 2008 des directives médico-éthiques, qu’elle vient de réviser.
• Les directives actualisées accordent une importance élevée à l’autonomie des patientes et des patients ainsi qu’au concept de planification anticipée concernant la santé.
• Dans la décision Rea-oui/Rea-non, les directives ne sont pas basées sur la «survie après la sortie de l’hôpital», mais plutôt sur la «qualité de vie après la réanimation».
Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM)
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CH-3001 Berne
ethics[at]samw.ch
1 En 2012, les directives ont été adaptées au nouveau droit de protection de l’enfant et de l’adulte entré en vigueur le 1.1.2013 (Code civil suisse; protection des adultes, droit des personnes et droit des enfants; modification du 19 décembre 2008).
2 Composition de la sous-commission: Prof. Dr méd. Reto Stocker, Zurich (président), médecine intensive; Beat Baumgartner, Spiez, secouriste; Luk de Crom, Affoltern am Albis, soins infirmiers/réhabilitation; PD Dr méd. Karin Diserens, Lausanne, neuro-réhabilitation; Dr méd. Gudrun Jäger, Saint-Gall, pédiatrie; Prof. Dr méd. Tanja Krones, Zurich, éthique; Angelika Lehmann, BSc, MNS, Bâle, soins intensifs; Nicole Rapin Christen, Zurich, OSP Organisation suisse des patients; Prof. Dr méd. Bara Ricou, Genève, médecine intensive; lic. iur. Michelle Salathé MAE, SAMW, ex officio, Berne; Prof. Dr méd. Jürg Steiger, Bâle, président CCE (jusqu’au 31.12.2020), médecine interne; Prof. Dr méd. Andreas Stuck, Berne, gériatrie; Prof. Dr iur. Marc Thommen, Zurich, droit; Prof. Dr méd. Wolfgang Ummenhofer, Bâle, médecine d’urgence.
3 Cf. «Diagnostic de la mort en vue de la transplantation d’organes et préparation du prélèvement d’organes». Directives médico-éthiques de l’ASSM (2017).
5 Cf. assm.ch/planification-anticipee-sante
6 Cf. Hirlekar G, Karlsson T, Aune S, Ravn-Fischer A, Albertsson P, et al. Survival and neurological outcome in the elderly after in-hospital cardiac arrest. Resuscitation. 2017;118:101–6.
7 Cf. Andrew E, Mercier E, Nehme Z, Bernard S, Smith K. Long-term functional recovery and health-related quality of life of elderly out-of-hospital cardiac survivors. Resuscitation. 2018;126:118–24; Druwé P, Benoit DD, Monsieurs KG, Gagg J, Nakahara S, et al. Cardiopulmonary Resuscitation in Adults Over 80: Outcome and the Perception of Appropriateness by Clinicians. J Am Geriatr Soc. 2020;68(1):39–45; Pape M, Rajan S, Hansen SM, Mortensen RN, Riddersholm S, et al. Survival after out-of-hospital cardiac arrest in nursing homes – A nationwide study. Resuscitation. 2018;125:90–8.
8 Cf. «La capacité de discernement dans la pratique médicale». Directives médico-éthiques de l’ASSM (2019).
9 Cf. Art. 379 CCS.