Le plafonnement des coûts manque l'objectif visé

FMH
Édition
2021/22
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19910
Bull Med Suisses. 2021;102(22):723

Affiliations
Dr méd., membre du Comité central de la FMH, responsable du département Médecine et tarifs ambulatoires

Publié le 02.06.2021

Quel que soit le nom qu’on veuille lui donner, objectif de maîtrise des coûts ou frein à l’augmentation des coûts [1], la mesure n’est qu’un plafond de coûts déguisé, imposé dans le secteur ambulatoire. On ne trouve bien entendu rien de tel dans la LAMal. Dans un avis de droit que lui a demandé la FMH, le Prof. Ueli Kieser conclut d’ailleurs à la non-constitutionnalité de la mesure. La LAMal se fonde en effet sur le principe de l’assurance et garantit aux assurés l’accès aux prestations définies dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins (AOS). Cet accès ne peut souffrir aucune restriction destinée à piloter les coûts ou à en freiner l’évolution. Prenons l’exemple d’une assurance auto: imaginerait-on qu’un assureur refuse de couvrir un sinistre au prétexte qu’il a atteint son quota d’accidents?
Maintenant que la mesure «objectifs de coûts» a été sortie du 2e volet de mesures et transformée en contre-projet indirect à l’initiative pour un frein aux coûts (cf. en p. 728, «L’objectif de maîtrise des coûts et son étonnant parcours au Conseil fédéral»), il nous faut l’examiner à la loupe et vérifier si elle peut effectivement faire office de contre-projet. On voit tout de suite que les économies visées se feraient aux dépens des patients, car elles entraveraient l’accès aux prestations et péjoreraient la qualité des soins. On veut inciter les médecins à «piloter» la prise en charge des patients selon des critères de coûts politiques et donc – de facto – à restreindre leurs prestations.
Un plafond de coûts entraîne nécessairement une restriction des prestations. Il prolonge les délais d’attente et, en incitant à privilégier les assurances privées, il conduit à une médecine à deux vitesses. Dans ses explications, le Conseil fédéral promet que l’accès aux soins sera dans tous les cas garanti pour la population générale. Mais pour qu’un budget induise des économies de coûts, il faut bien qu’il limite les prestations, c’est de la pure logique mathématique. Si au contraire il faut continuer de garantir la totalité des prestations assurées, le budget ne peut pas permettre d’économies, sans compter que les coûts administratifs risquent d’augmenter. On constatera avec intérêt que les pays qui ont plafonné leurs coûts ne voient pas ceux-ci augmenter moins que les autres à long terme. L’analyse des données des pays de l’OCDE montre qu’en points de PIB, les Pays-Bas par exemple n’enregistrent aucun avantage en termes de coûts et présentent même, par rapport à la Suisse, une évolution encore moins favorable.
Qui dit objectif de coûts dit nécessairement prévisions quant aux coûts, et donc possibilité de prévoir l’évolution des besoins en matière de prestations médicales. Or, ces besoins dépendent eux-mêmes d’une grande variété de facteurs complexes. Une épidémie grippale un peu sous-évaluée suffit à elle seule à bouleverser ce type de prévisions, un constat particulièrement cuisant dans le contexte actuel. Ces dernières années, la Confédération a de manière répétée échoué à prévoir correctement l’évolution des coûts. Résultat? Des années durant, les primes ont été fixées trop haut par rapport aux coûts des soins de base [2]. Si l’on admet que les prévisions de la Confédération étaient justes, cela signifierait que nous avons prodigué trop peu de soins. A l’inverse, si la Confédération avait budgété trop bas, nous n’aurions pas eu les fonds nécessaires pour soigner nos patients, et le haut niveau de qualité des soins en Suisse aurait été compromis.
Durant la deuxième vague de la pandémie de coronavirus, le Conseil fédéral se gardait bien de prévoir les taux d’occupation des services de réanimation pour les cinq jours à venir [3]. Et maintenant il prétend pouvoir prédire les coûts de la médecine sur les deux années à venir, dans le détail, par secteur et par canton.
Nous maintenons que l’objectif de coûts promu sous la bannière de «l’initiative pour un frein aux coûts» n’est autre qu’un plafond de coûts déguisé et ne permettrait pas d’atteindre l’objectif d’un système de soins efficace et économe.