Dossier électronique du patient (DEP): la position de la FMH

Que faut-il pour que le DEP soit utile aux médecins?

FMH
Édition
2021/18
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19811
Bull Med Suisses. 2021;102(18):597-600

Affiliations
Dr rer. biol. hum., chef de la division Numérisation/eHealth FMH

Publié le 05.05.2021

Au cours de cette année encore, toutes les habitantes et tous les habitants en Suisse pourront ouvrir un dossier électronique du patient (DEP). Le processus d’ouverture devrait se dérouler facilement, et surtout, de manière sécurisée puisqu’il s’agit d’informations médicales sensibles mises à disposition par les médecins sur un système d’archivage décentralisé.
Avec l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur le dossier électronique (LDEP) en 2017, le législateur a prévu que, dans un délai transitoire de trois ans, des hôpitaux ­seront tenus de s’affilier à une communauté ou communauté de référence certifiée au sens de la LDEP. A partir de 2022, des maternités et des établissements médico-sociaux seront eux aussi tenus de s’affilier à une communauté DEP. A l’exception de l’affiliation obligatoire des fournisseurs de prestations hospitalières, la participation au DEP est encore facul­tative tant pour les patients que pour les four­nisseurs de prestations ambulatoires. Mais peu de temps avant que le DEP ne soit introduit dans toute la Suisse, le Conseil fédéral a décidé de supprimer ce ­caractère facultatif, du moins pour les médecins du secteur ambulatoire: le 19 juin 2020, le Parlement a adopté la modification de la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (admission des fournisseurs de prestations). La nouvelle réglementation proposée vise à lier l’admission des médecins à leur affiliation à une communauté certifiée ou à une communauté de référence au sens de l’art. 11 let. a de la LDEP.1 Par l’approbation de la motion 19.3955 en mars de cette année, le Conseil ­fédéral a désormais le mandat de supprimer entièrement le caractère facultatif pour les médecins qui exercent en ambulatoire. Or, en raison de la lourdeur de la procédure de certification, seules deux communautés DEP sur dix ont pu être certifiées jusqu’à présent. Le principal obstacle à l’introduction du DEP ­réside dans les retards pris dans l’accréditation des sociétés de certification accordée par le Service d’accréditation de la Confédération.

Comment fonctionne le DEP?

Le dossier électronique du patient (DEP) est un système d’archivage destiné aux informations pertinentes pour le traitement. Il contient des éléments tirés du dossier médical informatisé. Participer au DEP ne délie donc pas pour autant les médecins de leur obligation de consigner les informations relatives à leurs patients sous la forme d’un dossier médical. Les patients qui ouvrent un DEP décident eux-mêmes quelles informations ils veulent partager avec d’autres professionnels de la santé. Pour les médecins, la Loi fédérale sur le dossier électronique du patient (LDEP) prévoit que ceux qui participent au DEP y saisissent les informations pertinentes pour le traitement. Grâce à l’architecture du DEP, ces informations sont toujours stockées sur un site d’archivage décentralisé. Ces sites d’archivage sont gérés par des communautés ou communautés de référence auxquelles peuvent s’affilier les professionnels de la santé. Les informations enregistrées sur les sites d’archivage peuvent être ­regroupées en un dossier afin de pouvoir être consultées en ligne. Une procédure de certification et des contrôles réguliers permettent de garantir le respect de la protection et de la sécurité des données qui sont par ailleurs stockées de manière chiffrée et peuvent donc être exclusivement consultées par les patients et les professionnels de santé autorisés.
En lien avec l’introduction du DEP dans les cabinets médicaux, la FMH a demandé en 2018 un avis de droit portant sur différentes questions d’ordre juridique concernant le DEP.2 En particulier parce que la LDEP ne contient aucune réglementation spécifique à la responsabilité civile dans le cadre de l’utilisation du DEP, et aussi parce que les cas de responsabilité civile en relation avec le DEP seront jugés sur la base des règles ­générales en vigueur sur la responsabilité civile et le devoir de diligence. Au vu de ces impondérables juridiques, il semble opportun de mettre à disposition du corps médical des lignes directrices plus détaillées ­allant dans le sens d’une aide pratique à la décision. C’est pourquoi la FMH a mis sur pied un groupe de ­travail, en impliquant les personnes concernées qui devront utiliser le DEP à l’avenir, afin de formuler, sous la forme d’une prise de position du corps médical3, les exigences requises pour l’introduction d’un DEP susceptible d’apporter des avantages aux professionnels de la santé. Cette position, adoptée par le Comité central et l’Assemblée des délégués de la FMH au printemps 2021, se penche sur la saisie des données dans le DEP et la nécessité de pouvoir y retrouver les informations pertinentes pour le traitement, sur la question de l’accès et des droits d’accès et sur l’indemnisation du travail occasionné par la gestion du DEP.4

La position de la FMH

Utilité pour les patients et encouragement des compétences en matière de santé

Selon le législateur, l’introduction du DEP a pour but de renforcer la qualité du traitement médical, d’améliorer les processus de traitement, d’accroître la sécurité du patient, et d’augmenter l’efficience du système de santé ainsi que d’encourager la compétence en matière de santé des patients. Ce sont les patients qui décident des types d’informations qu’ils aimeraient partager avec d’autres professionnels de la santé. Ils ont la possibilité de saisir leurs propres données dans le DEP et sont ainsi en mesure de gérer eux-mêmes leurs informations de santé. Même s’il n’existe à ce jour aucune preuve claire d’amélioration du traitement due à l’octroi de l’accès au dossier du patient, son utilité dans la communication entre le médecin et le patient est incontestée [1, 2]. Des études actuelles provenant des Etats-Unis qui analysent l’utilisation des portails de ­patients dans le processus de traitement montrent, en revanche, que l’acquisition par les patients d’une compétence en matière de santé est une condition préalable fondamentale à l’utilisation du DEP, et qu’elle ne peut pas être un effet souhaité du DEP. L’intérêt et les capacités des patients d’utiliser les portails de patients sont fortement marqués par des facteurs individuels tels que l’âge, l’appartenance ethnique, le niveau de formation, la compétence en santé ou l’état de santé. En outre, la convivialité du système revêt de l’importance pour tous ceux qui utilisent ces portails – à savoir tant les médecins que les patients – et constitue une demande importante allant dans le sens de ce dont a besoin le corps médical [3]. Promouvoir la compétence en matière de santé est un préalable nécessaire à l’utilisation du DEP et doit, à ce titre, être impérativement une mesure d’accompagnement à l’introduction du DEP. Il faut par ailleurs s’attendre à ce que des patients s’adressent à des médecins qui participent au DEP, et que cela crée une charge de travail supplémentaire pendant la consultation médicale.

Au sujet de l’accès aux informations pertinentes pour le traitement

Avec le DEP, des médecins peuvent consulter des informations de leurs patients par le biais d’un canal de communication défini de manière uniforme.5 Même en cas d’urgence, ces informations sont disponibles pour autant que les patients en soient informés après coup. Les patients peuvent donc partager leurs informations avec d’autres professionnels de la santé. Cet archivage commun à tous les acteurs impliqués dans le processus du traitement a pour but d’encourager la ­collaboration interprofessionnelle.
Toutefois, l’accès aux informations du DEP et leur ­exhaustivité ne sont garantis qu’à condition que les ­patients fassent un usage actif de leurs possibilités d’administrer les droits d’accès. Au niveau européen, la Suisse est l’un des rares pays qui dispose d’un système complexe pour garantir l’autodétermination infor­mationnelle6: le droit d’exécution du DEP prévoit en ­effet trois niveaux de confidentialité. En outre, les patients peuvent attribuer ou refuser individuellement les droits d’accès aux professionnels de la santé, et peuvent aussi en limiter la durée. Enfin, les patients peuvent restreindre le droit d’accès aux situations d’urgence médicale et, de ce fait, bloquer tout accès au DEP. En raison du grand nombre de possibilités, les patients se voient impartir une obligation de collaboration afin de faire en sorte que les médecins disposent des informations les plus complètes possibles. La FMH se prononce en faveur de l’introduction d’un concept simple de droits d’accès où les patients gardent la vue d’ensemble et savent ainsi à quels professionnels de la santé et donc aussi à quels médecins ils ont accordé les droits requis pour accéder le moment voulu aux bonnes informations du DEP. La FMH plaide aussi pour un accès plus ouvert au DEP, accompagné d’une solution qui attribue un droit de rétractation du patient. Cette solution prévoit l’ouverture d’un DEP pour chaque personne assurée en Suisse en lui laissant toujours la possibilité de se rétracter et de sortir du DEP.

Le DEP, un instrument de communication pour les médecins?

Pour les professionnels de la santé, le DEP n’est pas un outil de communication ciblé. Il faut faire la lumière sur un malentendu largement répandu selon lequel le DEP contiendrait les possibilités d’un instrument de communication. En effet, lorsque les patients ne participent pas au DEP ou n’ont pas attribué de droit d’accès à leurs médecins traitants, les différents professionnels de la santé continueront à échanger entre eux les informations pertinentes pour le traitement sous la forme de rapports, soit par voie électronique, soit par courrier postal. Des services supplémentaires auraient pu être créés en complément au DEP afin de simplifier la communication, à savoir la possibilité de transmettre en ligne les résultats d’examens médicaux, les rapports de transfert ou l’attribution de mandats. Malheureusement, l’Office fédéral de la santé publique s’est prononcé contre l’inclusion de services supplémentaires dans l’infrastructure déjà en place. Il faudra donc en créer une deuxième, ce qui pourrait engloutir encore une fois des millions de francs.
Fin 2019, la FMH, Health Info Net SA (HIN SA) et la Caisse des médecins ont fondé la «communauté DEP AD Swiss» (AD Swiss Net SA) permettant ainsi à leurs membres de s’affilier à une communauté propre aux médecins et conforme aux prescriptions de la LDEP. En plus de la compatibilité avec le DEP, AD Swiss Net SA développe d’autres services offrant notamment une véritable communication entre professionnels de la santé. Grâce à la participation de la FMH dans HIN SA et AD Swiss Net SA, le corps médical bénéficie ainsi d’importantes possibilités de faire valoir ses besoins.

Informations pertinentes pour le traitement saisies par les médecins

De manière générale, la LDEP n’instaure aucune obligation de saisie des données dans le DEP. Selon l’art. 10, al. 1, let. a LDEP, les «communautés» au sens de la LDEP sont tenues de garantir que les données sont accessibles dans le DEP, et cette obligation concerne exclusivement les communautés en tant que personnes morales. Toutefois, en vertu de leur devoir légal ou contractuel de diligence et de documentation, les médecins sont tenus d’utiliser le DEP de manière adéquate aussitôt qu’ils se sont affiliés à une communauté DEP.
A la différence de la législation d’autres pays, la LDEP en vigueur en Suisse ne contient aucune indication concrète sur les types de documents qui doivent être saisis dans le DEP. Le législateur a prévu que les informations pertinentes pour le traitement inscrites dans le dossier médical doivent être contenues dans le DEP. Il a intentionnellement renoncé à une définition précise, car il part du principe que l’étendue des informations pertinentes pour le traitement peut être déterminée au cas par cas sur la base d’une appréciation médicale. Dans ce contexte, la FMH considère que les diagnostics et les listes de médicaments sont des informations essentielles devant figurer dans le DEP. Pour être en mesure de trouver les informations dans le DEP mais aussi pour garantir leur «intégration en profondeur» dans le dossier médical informatisé, il est primordial que ces informations soient disponibles sous une forme qui facilite leur réutilisation. De ce fait, lorsque les données ne sont pas structurées et les fonctionnalités ne répondent pas aux processus propres des cabinets médicaux, le DEP reste non seulement un instrument peu attrayant pour le corps médical, mais augmente aussi les charges administratives.
Pour être en mesure de trouver les informations dans le DEP mais aussi pour garantir leur «intégration en profondeur» dans le dossier médical informatisé, il est primordial que ces informations soient disponibles sous une forme qui facilite leur réutilisation.
Aujourd’hui déjà, on prévoit que l’«intégration en profondeur» de ces informations ne sera pas disponible dans tous les systèmes informatiques des cabinets médicaux, générant ainsi une charge de travail supplémentaire lors de la saisie des informations pertinentes pour le traitement (gestion de deux dossiers) car il faut que les documents soient, d’une part, transférés vers le portail destiné aux professionnels de la santé donnant accès aux communautés DEP et, d’autre part, leur attribuer des indications supplémentaires afin que l’on puisse les retrouver en dehors de sa propre communauté. A cela s’ajoute la question de l’accès au DEP, qui doit être absolument sécurisé tout en répondant aux processus de travail d’un cabinet médical.

Remboursement de prestations dans le DEP

La mise en place du DEP en Suisse est estimée à 92 millions de francs par la Confédération sans compter les dépenses pour l’exploitation du DEP qui s’élèvent à 75 millions par an [4]. Ne sont pas inclus dans le calcul les investissements nécessaires pour l’introduction du DEP dans les cabinets médicaux. En fonction du cabinet, il faut ajouter un investissement initial d’au moins 50 000 francs. En outre, les dépenses courantes pour la maintenance et l’infrastructure s’élèvent à près de 1000 francs par mois, auxquels s’ajoutent les coûts périodiques pour les frais de licence et les mises à jour.
A l’inverse de ses pays voisins, la Suisse répercute en partie ces coûts sur ceux qui font en sorte que le DEP contienne les informations pertinentes pour le traitement. L’Allemagne contribue chaque année à hauteur de 1 euro par assuré et les médecins perçoivent un montant forfaitaire exceptionnel pour financer l’infrastructure, auquel s’ajoutent des fonds destinés à couvrir les coûts d’exploitation et les adaptations logicielles requises. En France également, les médecins bénéficient d’incitatifs financiers pour mettre à niveau leurs dossiers médicaux électroniques et améliorer l’interopérabilité avec le Dossier médical partagé. Enfin, le manque d’incitatifs financiers, le défaut des forces du marché ou l’absence d’exigences plus strictes au niveau de la législation ou de la conformité aux standards ne donnent aucun élan aux prestataires de logiciels de gestion des cabinets médicaux pour améliorer le système [5].
Contrairement à la réponse du Conseil fédéral à l’interpellation 17.36947, la FMH estime qu’il faut mettre en place des positions spécifiques permettant de facturer de manière appropriée les prestations relatives au DEP. Les différentes charges de travail supplémentaires liées à l’introduction du DEP ne peuvent pas être fac­turées. Une rémunération adéquate notamment pendant la phase d’introduction revêt une importance ­dé­ter­minante parce qu’au cours de cette phase, il est vraisemblable que le DEP n’apportera que peu d’utilité aux ­médecins pour les raisons évoquées ici. Dans ce contexte, la FMH plaide pour une rémunération adéquate mais aussi pour un bénéfice objectivable du DEP dans un proche avenir. Ce n’est qu’ainsi que le DEP apportera le succès que nous souhaitons tous pour aller dans le sens du renforcement de la qualité du traitement.
Dr Reinhold Sojer
Numérisation/eHealth
FMH
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Tél. 031 359 12 04
reinhold.sojer[at]fmh.ch
1 Dendere R, Slade C, Burton-Jones A, Sullivan C, Staib A, Janda M. Patient portals facilitating engagement with inpatient electronic medical records: A systematic review. Journal of Medical Internet Research. 2019;(21):4. https://doi.org/10.2196/12779
2 Lyles CR, Nelson EC, Frampton S, Dykes PC, Cemballi AG, Sarkar U. Using Electronic Health Record Portals to Improve Patient Engagement: Research Priorities and Best Practices. Annals of Internal Medicine. 2020;172(11 Suppl):S123–9. https://doi.org/10.7326/M19-0876
3 Irizarry T, DeVito Dabbs A, Curran CR. Patient Portals and Patient Engagement: A State of the Science Review. Journal of Medical ­Internet Research. 2015;17(6):e148. https://doi.org/10.2196/jmir.4255
4 Zurkinden T. XAD-Newsletter. Der Luzerner Arzt. 2020;123:22–4.
5 Tomlinson J. My Health Record implementation in private specialist practice. The Medical Journal of Australia. 2019;210:S32–4. ­https://doi.org/10.5694/mja2.50030