«Je me sens en adéquation totale avec la mentalité suisse»

Tribüne
Édition
2021/21
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19808
Bull Med Suisses. 2021;102(21):710-711

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Rédactrice print et online

Publié le 26.05.2021

Plus d’un tiers des médecins en Suisse viennent de l’étranger. Pourquoi ont-ils quitté leur pays? Quels écueils ont-ils rencontré? Que disent-ils de notre système de santé? La rubrique «Bonjour la Suisse» tente de répondre à ces questions. Dans ce numéro, nous avons interrogé le jeune urgentiste Hugo Delsert qui a troqué la douceur toulousaine pour les verdoyantes collines fribourgeoises, pas qu’il a franchi en 2013.
«Mon nom de famille est d’origine suisse, il vient de ‘Delessert’. Quelque part, j’avais envie de retourner aux sources», explique avec un sourire dans la voix Hugo Delsert, médecin français généraliste installé à Romont (FR) depuis 2013. Ce jeune homme de 35 ans a toujours eu «la bougeotte». Originaire du Nord de la France, non loin de Lille, il étudie la médecine à Toulouse, se spécialise en médecine d’urgence puis en médecine d’urgence de montagne, avant d’exercer pour le SAMU (n.d.l.r., équivalent du SMUR en Suisse) en Hautes-Pyrénées. Il y assouvit son amour des montagnes et de l’alpinisme lors de sauvetages périlleux. Est-ce l’appel des Alpes qui l’a poussé à venir en Suisse? «C’est sûr que le côté alpin m’attirait, mais ce n’est pas ce qui m’a décidé.» En 2012, un sympathisant d’Al-Qaïda tire sur des enfants qui rentraient dans une école à Toulouse, ville où Hugo Delsert suivait sa formation au SAMU. Cette attaque terroriste le choque profondément; il est sur le point de devenir père. «Cet événement tragique m’a beaucoup fait ­réfléchir. Avais-je vraiment envie de voir grandir mes enfants dans ce contexte?» Il repère dans Le Quo­tidien du médecin l’annonce d’un médecin fri­bourgeois à la recherche d’un successeur pour son ­cabinet à Romont. L’urgentiste tout juste diplômé en parle à l’un de ses chefs toulousains, sa décision est prise: il va tenter sa chance en Suisse. «Sur le plan ­sécuritaire, on ne peut pas trouver mieux que la Suisse», souligne celui qui est désormais père de deux enfants.
C’est l’attentat terroriste à Toulouse de 2012 qui a décidé Hugo Delsert à quitter la France.

Des Fribourgeois accueillants

Son nom a beau avoir des racines vaudoises, ce n’est pas pour autant que le Lillérois connaissait notre petit pays. «Mis à part mes lointaines origines suisses, qui m’intriguaient, je ne savais rien de la Suisse. Je me lançais en terre inconnue.» Le choc culturel a-t-il été d’autant plus grand? «Peu de choses m’ont surpris, je n’ai jamais été frappé par la réserve que l’on attribue aux Suisses. J’ai été extrêmement bien accueilli dans le canton de Fribourg.» Ses voisins sont par exemple devenus des amis proches. Comme c’est une région qui manque de généralistes et où les médecins français s’installent – encore – peu, il pense que c’est en partie pourquoi il y a été accueilli à bras grand ouverts. Son jeune âge semble aussi avoir fait mouche. «A l’époque, j’avais 27 ans. J’étais parmi les tout jeunes médecins français, si ce n’est le plus jeune, à m’installer en Suisse.»

L’étonnante barrière de rösti

L’urgentiste a immédiatement tenu en estime la mentalité helvétique. «Les gens ne râlent pas, ils sont disciplinés. On mise sur la confiance, alors qu’en France, on se méfie beaucoup. Les Suisses sont travailleurs, je le suis aussi. Je me sens vraiment en adéquation avec cette mentalité.» Ce qui l’a cependant surpris, c’est le Röstigraben, barrière linguistique et culturelle entre ­Romands et Alémaniques: «C’est fou de voir cela dans un si petit pays!» Une barrière qui se manifeste aussi dans les airs. Féru d’aviation, Hugo Delsert a passé son brevet de pilote en Suisse et s’est amusé de constater que «même les pilotes romands aguerris évitent de ­voler au-dessus de la Suisse alémanique à cause des instructions en dialecte». Lui se débrouille bien en Hoch­deutsch et comprend un peu le suisse allemand, «mais pas le singinois», précise-t-il. Engagé à l’Hôpital cantonal de Fribourg (HFR) depuis mars 2020 dans la lutte contre le Covid-19, l’expatrié s’est vite rendu compte que l’allemand était indispensable dans ce ­canton bilingue.
Hugo Delsert sur l’héliport de l’HFR: «Je vois mon engagement à l’hôpital 
comme une réelle mission depuis le début de la pandémie.»

Le premier à Vuisternens-devant-Romont

Son engagement à l’HFR lui tient beaucoup à cœur, ce qui lui a permis de devenir médecin agréé, «mission» qu’il remplit en plus de son cabinet à Romont. Il est l’un des rares médecins à jongler entre hôpital et propre ­cabinet depuis le début de la pandémie. «Je suis hyper­actif, je fais plein de choses en même temps», admet Hugo Delsert. Passionné par son métier, il aime transmettre son savoir et forme des étudiants de l’Université de Fribourg en master de médecine générale. «J’ai envie de montrer que la médecine rurale peut être excitante et très variée. Si j’arrive à faire passer ce message et éveiller l’intérêt des étudiants, je suis comblé.» Infatigable, le jeune généraliste est en train de faire construire un nouveau cabinet, qu’il investira en juillet, à Vuisternens-devant-Romont. «Historiquement, j’en serai le premier médecin», dit-il avec fierté. Une de ses anciennes étudiantes projette de s’associer à lui, preuve que la transmission de savoir porte ses fruits.
Que dire du système de santé suisse? Même s’il n’a que peu connu la médecine générale en France, il est convaincu de la très haute qualité des soins en Suisse: «Tout est fait pour qu’on puisse se concentrer sur le ­patient, sur la médecine en elle-même.» «En France, les médecins n’ont pas d’assistantes médicales, ce métier n’existe pas», poursuit-il. Hugo Delsert constate qu’il y a davantage de «gaspillage» dans le système de santé français: «Deux consultations sont nécessaires pour une simple prise de sang, idem pour les radiographies. On multiplie les interventions. En Suisse, on peut faire de nombreux examens de laboratoires sur place, ce qui permet d’optimiser le temps du patient et les coûts. Dans le système français, le médecin géné­raliste semble ne pas être jugé assez compétent pour gérer un laboratoire et les radiographies. J’aime, en Suisse, la confiance accordée aux médecins de premier recours.»

Injustice face aux diplômes

Il y a toutefois un bémol, que le Français espère voir s’améliorer: l’épineux problème de la reconnaissance de son diplôme et de ceux de ses compatriotes. «On est reconnu comme médecin praticien, mais pas comme spécialiste en médecine interne, alors qu’on fait le même travail.» Le Fribourgeois d’adoption devrait rattraper plusieurs années de formation postgrade afin d’obtenir le titre équivalent – ce qui est difficile à concilier avec un travail en cabinet. Il comprend que l’équivalence fasse l’objet d’une évaluation minutieuse, mais estime qu’elle pourrait être facilitée, par exemple en faisant passer l’examen fédéral aux médecins étrangers après un certain nombre d’années de pratique. Le généraliste rappelle que la Suisse dépend beaucoup de ces médecins, français notamment: «D’un côté, on a besoin de nous pour faire face à la pandémie et pour pallier la pénurie de médecins, de l’autre nous ne sommes pas reconnus à notre juste valeur.»
Il l’assure, c’est le seul point noir. D’ailleurs, il n’a ­aucune intention de rentrer en France. «Je suis bientôt éligible à la nationalité suisse. Dès que je le pourrai, je ferai ma demande de naturalisation». Hugo Delsert et sa famille sont très bien intégrés, ses enfants se sentent plus suisses que français. Si son fils est né en France, sa fille a vu le jour en Suisse. «Mon plus beau souvenir ­depuis que je suis ici», se remémore le trentenaire, «c’est un sentiment à la fois étrange et très fort de voir son enfant naître dans un autre pays. C’est comme si on prenait racine, laissait une trace.»
Pour la rubrique «Bonjour la Suisse», nous recherchons des médecins étrangers intéressés à raconter ce qui les a motivés à venir en Suisse et comment ils y vivent. Vous pouvez nous faire part de votre intérêt par courriel: julia.rippstein[at]emh.ch
julia.rippstein[at]emh.ch