De l’importance de la langue

FMH
Édition
2021/15
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19758
Bull Med Suisses. 2021;102(15):487

Affiliations
Dr méd., membre du Comité central de la FMH, responsable du département Santé publique et professions de la santé

Publié le 14.04.2021

Nous vivons dans un monde où les langues et les cultures les plus variées se côtoient. Dans notre pays, qui compte pas moins de quatre langues nationales et un grand nombre de ressortissants étrangers, cette réalité est particulièrement présente. Et pour vous, chers membres, la possibilité de comprendre et de vous faire comprendre de vos patients est bien évidemment essentielle. Réaliser une anamnèse approfondie, prescrire des examens ou des thérapies complémentaires, expliquer les dosages et les modalités de prise des médicaments, prendre les décisions avec le patient et s’assurer de son adhésion au traitement, rien de tout cela ne serait possible sans la capacité à communiquer. Dans notre édition du 3 février 2021, nous consacrions déjà un article à l’inadéquation entre l’offre et la demande en matière d’interprétariat.
Il est fréquent que des proches jouent un rôle d’intermédiaire ou d’interprète dans les consultations où patient et médecin ne partagent pas une même langue. Or, on ne sait pas si ces personnes possèdent les compétences nécessaires pour traduire fidèlement, ni si elles jouissent de la totale confiance du patient pour lui permettre de s’exprimer librement. L’existence de tabous peut restreindre sensiblement l’échange et il peut y avoir rétention d’informations, supposément pour protéger le patient.
Les interprètes interculturels permettent d’abattre les barrières entravant la communication entre médecin et patient: la libre expression des préoccupations et des opinions et le franchissement des fossés culturels ne sont que quelques-uns des enjeux. Un accès simple et convivial aux prestations d’interprètes professionnels aiderait les médecins à assurer en tout temps une prise en charge optimale, quelle que soit la langue parlée par les patients.
Pour y parvenir, il faudrait faciliter l’accès aux pres­tations d’interprètes communautaires et mettre en place un système de financement simple. Aucune ­position tarifaire n’est prévue pour l’interprétariat dans le TARMED mais il se pourrait que les partenaires tarifaires acceptent d’en introduire dans le TARDOC. Reste à faire enfin approuver celui-ci par le Conseil ­fédéral.
Il serait également important d’assouplir les limitations temporelles frappant actuellement les consultations. Les crises, et avec elles les consultations chez le généraliste, ne connaissent pas un déroulement linéaire et régulièrement réparti sur l’année. Or il est établi qu’une mauvaise communication conduit à davantage d’analyses et de tests, ainsi qu’à des diagnostics erronés. L’impossibilité de mener un dialogue approfondi, du fait des limitations tarifaires imposées par le Conseil fédéral et de l’absence de services d’interprétariat, se traduit par une augmentation des coûts et une détérioration de la qualité des prestations, sans que l’on puisse en attribuer la responsabilité aux médecins. Cela a été démontré dans plusieurs études menées en Suisse comme à l’étranger, présentées à la Conférence suisse de santé publique de 2016 en présence d’un conseiller fédéral.
Des améliorations sont nécessaires. C’est notamment ce qui est ressorti d’une rencontre organisée le 8 décembre 2020 par le groupement Support for torture vict­ims de la Croix-Rouge suisse, à l’exemple d’une catégorie particulièrement vulnérable au sein de la population migrante. Le dossier constitué en vue de la rencontre, intitulée «Lost in Translation – L’interprétariat communautaire dans l’intervention en santé auprès des réfugiés»1, contient plusieurs articles et présentations sur ce thème. Lors du débat final, les intervenants ont clairement démontré que les difficultés tiennent moins aux professionnels de la santé ou aux assureurs, ouverts aux solutions, qu’à l’absence de structures permet­tant d’accéder simplement et rapidement à des prestations d’interprètes dont le financement serait assuré.