Entretien avec Sophie de Seigneux Matthey, co-lauréate du Prix Stern-Gattiker 2020

«Un changement de mentalité durable est en cours»

Tribüne
Édition
2021/18
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19713
Bull Med Suisses. 2021;102(18):625-627

Affiliations
Rédactrice BMS

Publié le 05.05.2021

Si une majorité de femmes ont un diplôme de médecine en poche, elles restent rares aux postes de cadre et du corps professoral. Une carrière académique est pourtant possible, à l’image du parcours de Sophie de Seigneux Matthey. Pro­fesseure et, dès novembre, première médecin cheffe de service de néphrologie des Hôpitaux univer­sitaires de Genève (HUG), elle a reçu le Prix Stern-Gattiker 2020.

A propos de Sophie de Seigneux Matthey

Sophie de Seigneux Matthey termine ses études de médecine à Genève en 2001. Après son doctorat, elle se spécialise en médecine interne puis étudie la pathophysiologie rénale à Aarhus, au Danemark, de 2004 à 2008, où elle obtient un PhD. Elle poursuit sa spécialisation en néphrologie à Genève et à Paris. Depuis 2009, elle combine médecine clinique et recherche fondamentale, en tant que cheffe de clinique scientifique, puis comme boursière du FNS. Depuis 2011, elle fait partie d’un pôle de recherche national en néphrologie. En 2014, la néphrologue est nommée privat-docent de la Faculté de médecine de l’Université de Genève et médecin adjointe agrégée au service de néphro­logie des HUG. Elle est professeure assistante au Département de médecine ­interne des spécialités de la Faculté de médecine depuis 2015. A 43 ans, elle est mère de deux enfants et vit à ­Genève.
Prof. de Seigneux Matthey, tout d’abord toutes mes félicitations pour votre distinction. Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris être la co-lauréate du Prix Stern-Gattiker?
J’étais à la fois très heureuse et surprise. C’est un grand honneur pour moi et une belle reconnaissance vis-à-vis de l’engagement que j’ai investi dans ma carrière. Je suis extrêmement honorée d’être considérée comme un modèle et que ma carrière puisse inspirer et encourager d’autres femmes à poursuivre leurs ­ambitions.
Comment êtes-vous venue à vous présenter?
Je ne connaissais pas ce prix, c’est une étudiante en MD-PhD dans notre équipe qui tenait à m’y inscrire. J’ai accepté sans vraiment y croire. Ma surprise a été d’autant plus grande et belle!
Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en néphrologie?
La complexité du rein me fascine depuis longtemps. J’ai toujours été intéressée à faire de la recherche ­fondamentale tout en ayant une activité clinique. La néphrologie combine ces deux aspects et est un domaine très vaste où beaucoup de découvertes restent à faire.
Votre récompense coïncide avec les 50 ans du droit de vote des femmes en Suisse. Qu’est-ce que cela vous évoque?
C’est une belle coïncidence. Si de nombreux progrès ont été faits en matière d’égalité femmes-hommes depuis 1971, beaucoup d’obstacles peu visibles persistent, notamment dans le monde médical. Il est donc important que des outils de promotion des carrières féminines continuent de voir le jour, dont le Prix Stern- ­Gattiker, et soient mis en valeur dans les médias. Il est essentiel de montrer à la jeune génération que l’on peut, en tant que femme, faire une carrière dans la ­recherche et en clinique.
Quelles sont ces barrières invisibles dont vous parlez?
Je pense que les femmes ont malheureusement parfois encore tendance à être sous-estimées et à se sous-estimer. A compétences égales, elles auront tendance à moins se valoriser que les hommes. On part généralement du principe que les femmes ont moins d’autorité, ce qui les oblige à se battre davantage pour atteindre leur objectif. La maternité est encore souvent perçue comme un obstacle à la carrière par la société. Heureusement, ceci est en train de changer, et plus il y aura de femmes menant carrière et vie de famille, moins il y aura de problèmes à ce niveau-là.
Sophie de Seigneux Matthey (deuxième depuis la gauche, premier rang) entourée de son équipe de recherche. Elle sera cheffe de service de néphrologie des HUG à partir de novembre 2021 – la première femme à ce poste.
Pourtant, on est encore loin du compte: la Confédération vise un quota de 25% de femmes dans le corps ­professoral et de 40% de femmes parmi les professeurs assistants. Un but non atteint. Or, il y a davantage de femmes qui terminent des études de médecine.
C’est effectivement ainsi, mais il y a un réel changement en cours qui va à mon avis se poursuivre. C’est aussi une question de génération, il faut du temps pour que l’égalité s’installe durablement. Dans la médecine, le nombre de femmes augmente d’année en année: peu à peu, il atteindra aussi les échelons supérieurs. Rappelons que l’organisation y est très hiérarchique, surtout dans les hôpitaux. Il existe de nombreux a priori vis-
à-vis des femmes aux postes de managers.
Comment peut-on améliorer la situation afin d’encourager davantage les carrières académiques féminines?
A l’image du Prix Stern-Gattiker, il est essentiel que la jeune génération ait des modèles. Plus il y aura des femmes à des hauts postes, professeures et cheffes de service, plus il semblera naturel que ces fonctions sont accessibles. Que les Hautes écoles se dotent de commission de l’égalité me paraît aussi très judicieux. C’est le cas de l’Université de Genève. Pour que les préjugés disparaissent et que les femmes se sentent encouragées à monter les échelons, il est nécessaire de former tôt au management. Car qui dit carrière, dit forcément gestion d’équipe. Ainsi, elles auront rapidement les outils en main pour occuper un tel poste. Une formation en ce sens pourrait être intégrée aux études de médecine, ce qui se fait en partie déjà.
Mais est-ce suffisant? Ne faut-il pas une intervention de la politique et la mise en place d’un cadre contraignant?
Trop de contraintes peuvent être contreproductives. Ce que j’ai personnellement constaté, c’est la réelle ­nécessité d’améliorer les possibilités de garde des enfants, trop rares et chères. J’ai heureusement pu me ­débrouiller grâce à l’appui familial. Mais toutes les femmes n’ont pas cette chance. En améliorant cela, on peut aider substantiellement la promotion des carrières féminines. Rembourser les congés maternité à 100% à l’employeur ainsi que les arrêts avant accouchement pourrait également aider à ce que la grossesse soit moins considérée comme un obstacle.
Le temps partiel peut-il aussi être un outil de promotion des carrières féminines?
Je pense que nous devons nous adapter aux nouveaux besoins des jeunes médecins, femmes et hommes. Cela passe par une meilleure acceptation et prise en compte du temps partiel pour tous. Un changement de mentalité à ce niveau est en train de s’opérer, mais le temps partiel reste encore difficile à instaurer dans les hôpitaux en début de carrière.
Vous n’êtes pas que professeure et future cheffe de service, mais aussi mère de deux enfants. Comment avez-vous réussi à concilier vie professionnelle et famille?
Même si faire carrière a toujours été une évidence pour moi, j’ai aussi traversé des périodes de doute difficiles, notamment au moment de songer à fonder une famille, alors que je n’avais pas de stabilité professionnelle. En plus d’une forte volonté, j’y suis arrivée grâce au soutien de mon mari et de ma famille, qui s’occupent aussi des enfants. Il y a toute une organisation à mettre en place et un budget qui s’ensuit pour que les deux parents puissent continuer à travailler à un taux élevé. Un soutien plus généreux des structures de garde faciliterait énormément cela.
Quel message adresseriez-vous aux jeunes femmes médecins voulant faire carrière mais qui doutent? 
Tout d’abord, elles doivent savoir qu’une carrière est absolument à portée de main. Malgré les accrocs, il est important de garder son objectif en vue. Pour cela, je leur conseille de définir tôt leur parcours en fonction de leurs ambitions. Cela leur permet d’avoir un fil conducteur et de s’entourer des personnes prêtes à les soutenir et à les guider. Avoir un ou une mentor est très précieux. Dans la vie privée, elles ne doivent surtout pas hésiter à demander de l’aide pour la prise en charge des enfants et des tâches domestiques. Pouvoir compter sur un partenaire pour le partage de ces tâches est indispensable.
Quelles personnes ont influencé votre carrière?
Mon principal mentor a été le Prof. Martin, chef du service actuel denéphrologie à Genève, pour ses qualités humaines et ses compétences médicales. J’ai par ailleurs eu la chance de côtoyer de nombreuses person­nes, femmes et hommes, qui m’ont servi d’exemple et poussée à aller plus loin, que ce soit en clinique ou dans la recherche.

Prix Stern-Gattiker

En 2018, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a lancé le Prix Stern-Gattiker, doté de 15 000 francs. L’objectif est de saluer le rôle des femmes actives dans la médecine académique et d’encourager la relève féminine dans ce domaine. Le prix porte le nom de deux femmes médecins: Lina Stern, qui ­devint en 1918 la première professeure à la Faculté de médecine de Genève, et Ruth Gattiker, l’une des premières professeures à la Faculté de médecine de Zurich dans les années 1970.
Le prochain délai de soumission est fixé au printemps 2022.
Retrouvez l‘interview avec Sara C. Meyer (Hôpital unversitaire de Bâle), autre co-lauréate du Prix Stern Gattiker 2020, dans le prochain numéro.
julia.rippstein[at]emh.ch