Le processus d’apprentissage du réseau de médecins xundart

Une démarche Qualité innovante et scientifiquement fondée

Weitere Organisationen und Institutionen
Édition
2021/15
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19681
Bull Med Suisses. 2021;102(15):502-504

Affiliations
a Dr phil., professeure à la Haute école spécialisée bernoise, département Travail Social, évaluatrice du projet-pilote xundart; b Dr méd., ­présidente de la FMH et membre du Conseil d’administration de xundart

Publié le 14.04.2021

Une démarche qualité non quantitative ne va pas sans exiger de ses participants confiance, acceptation de s’observer soi-même et d’être observé par des tiers ainsi qu’une volonté de quitter ses zones de confort. Cette approche demande de la part de ses initiateurs un travail minutieux de communication, du tact et de la patience.

xundart en territoire qualité inexploré

Le réseau de médecins xundart en Suisse orientale a les années passées investi des ressources considérables en temps et en finances dans le développement d’une démarche qualité «sur mesure», systémique et réflexive, sous la direction d’une équipe de projet interdisciplinaire1. La démarche se fonde sur le principe que l’activité médicale est de nature autant médicale que sociale, que le médecin est à la fois un expert médical et une personnalité propre et que la santé est un phénomène biopsychosocial complexe. De telles constatations, pouvant paraître banales au premier abord, se révèlent de première importance lorsqu’il s’agit d’aborder le développement de la qualité. Sur la base des ­prémisses exposées ci-dessus, un cercle qualité (CQ) xundart a mis en œuvre en 2020 de nouvelles formes de travail dans le cadre d’un projet-pilote. L’objectif de ces rencontres, organisées en plus des réunions Qualité ordinaires, consistait à proposer aux participants d’examiner spécifiquement plusieurs dimensions qualitatives primordiales d’une consultation, telles que le rôle joué par l’individualité du médecin et du/de la patient/e, la relation entre le médecin et le/la patient/e, la gestion des processus et du temps, la structure et l’organisation de la prestation médicale. Comment les médecins ont-ils été introduits à ces processus et accompagnés dans leur cheminement?

Une approche collective d’apprentissage et de formation continue des médecins

Les processus d’apprentissage collectif en atelier CQ ont comporté des apports théoriques, des références à la pratique médicale et des exercices d’intégration. Durant les semaines entre les ateliers, des thèmes spécifiques étaient approfondis par les médecins dans le cadre de leurs consultations au moyen de journaux d’apprentissage. La première partie de l’atelier suivant était consacrée à la réflexion collective de ces approfondissements individuels par le biais de deux approches de contenu analytiques. Ce processus d’appropriation, intégrant apprentissage, action, pensée et vie émotionnelle, montre l’imbrication des processus d’apprentissage individuels (intrapersonnels) et collectifs (interpersonnels). Des recherches récentes sur cet élément de la réflexion accordent une grande importance à la composante sociale de la réflexivité. En inter­agissant avec les autres, les individus prennent du recul vis-à-vis de leur biographie, de leur monde social et de leurs expériences et découvrent d’autres façons d’interpréter la réalité sociale [1]. Les groupes identifient au cours du débat les idées/désaccords potentiellement conflictuels et construisent une compréhension partagée de leur thème commun. Ohlsson [2] montre dans ce contexte que l’apprentissage au sein d’ensembles sociaux se fait par ce que l’on appelle des «doubles boucles»: l’appropriation individuelle et l’exposition de l’individu à des interprétations alternatives de sa réalité. Par l’expérience de la différence et la remise en question de sa propre compréhension de soi, l’individu se voit différemment ou au contraire confirmé. De telles formes institutionnalisées de réflexivité constituent un élément central des organisations apprenantes [3].

Redécouvrir le passé et appréhender le nouveau

Dans son examen scientifique du potentiel de l’écriture réflexive pour le développement professionnel, Bolton démontre la caractéristique propre au journal d’apprentissage, lui permettant de prendre en compte à la fois le passé, le présent et le futur. Elle décrit ici l’enchaînement des trois étapes description, réflexion et amélioration, et montre par là même le lien entre le journal d’apprentissage et le développement de la qualité. Cette séquence n’est pas nécessairement linéaire. Bolton [4] parle ainsi d’un auteur comme d’un «bricoleur»: elle imagine les auteurs de journaux d’apprentissage comme des «maçons, choisissant des bouts de leurs pensées et de leurs expériences, leur donnant taille et forme, et créant des constructions et des modèles possibles. En spéculant sur des idées qui ne sont ni justes ni fausses, les écrivains expérimentent des idées, des valeurs, des positions» [4].
L’intention aussi bien que la pratique des ateliers et des journaux d’apprentissage visaient ainsi tous deux tant à innover qu’à redécouvrir ce qui existait déjà.
Les journaux d’apprentissage ont
– favorisé l’auto-observation, l’«expérimentation» et le développement personnel dans la pratique;
– conscientisé ce qui était inconscient;
– permis la découverte de nouvelles perspectives et champs d’action en plaçant les participants hors de leur cadre familier;
– encouragé les individus à explorer leur propre poten­tiel de développement;
– affiné la perception individuelle de la vie et du travail;
– eu un impact non seulement sur le médecin mais aussi sur le patient;
– offert une base commune de réflexion dans le cadre de l’atelier.
Il convient de signaler le rôle majeur joué par la confiance mutuelle et le courage individuel lorsqu’il s’agit de permettre aux ­collègues de porter un regard sur sa propre manière de travailler.

Rendre la connaissance tangible

La variété de modèles et techniques utilisés a favorisé le développement continu de la qualité dans la pratique des participants. Grâce aux nouvelles perspectives proposées, ceux-ci pouvaient redécouvrir et comprendre autrement leur vécu quotidien. Les ateliers leur offraient un cadre dans lequel discuter et approfondir les contenus en groupes restreints et en plénum. Divers formats didactiques furent utilisés, dont l’un des buts consistait à faire faire l’expérience, y compris physiquement, des contenus transmis pour mieux les comprendre et les intégrer.
Les échanges ont permis de mettre en évidence les similitudes et les différences entre les biographies professionnelles et les styles de travail des participants, leur permettant de mieux se connaître tout en identifiant leur propre parcours de manière plus différenciée. Le fait de s’expliquer mutuellement les modèles théoriques dans leur «langage», tout en s’appuyant sur des exemples pratiques, constituait en soi un processus d’apprentissage partagé. Les participants, tous médecins, avaient l’entière responsabilité de leur propre développement qualité. Des inputs ciblés leur fournissaient le cadre approprié leur permettant par exemple de choisir eux-mêmes et de mettre en œuvre leurs propres objectifs par le biais des journaux d’apprentissage. Les périodes entre les ateliers étaient les espaces privilégiés et essentiels pour réaliser l’observation de soi et «expérimenter».

Défis

L’évaluation a également révélé quelques zones critiques. Il convient en tout premier lieu de signaler le rôle majeur joué par la confiance mutuelle et le courage individuel lorsqu’il s’agit de permettre aux collègues de porter un regard sur sa propre manière de travailler [4, 5]. Cela est d’autant plus le cas pour un atelier ne se proposant pas de «seulement» transmettre des connaissances médicales, mais également d’inviter à la réflexion personnelle et tierce de vécus propres.
La disponibilité de ressources en temps a également constitué un défi. Les participants aux ateliers ont été amenés dans leur temps de travail à fournir des ressources en temps supplémentaires pour la rédaction de leur journal d’apprentissage.

Conclusion

L’évaluation a permis de constater que les ateliers et les journaux d’apprentissage favorisaient l’initiation de processus individuels et de groupe pertinents en matière qualité, processus non seulement évaluables mais également observés par les participants eux-mêmes. L’analyse de contenu des 61 journaux d’apprentissage a de plus permis d’établir qu’ils ont non seulement favorisé le développement personnel des individus mais étaient également porteurs de méthodes, d’actions et de réflexions inhérentes à la qualité pouvant être utiles à d’autres médecins.
Plusieurs interrogations vont accompagner xundart dans la poursuite de son travail Qualité:
– Comment favoriser l’engagement et le courage individuels des médecins pour ce type de démarche Qualité?
– Quels éléments de son approche définit xundart comme non négociables et quels domaines doivent être confiés au libre-choix et à la motivation intrinsèque des participants?
– Comment les contenus de cette approche qualité peuvent-ils s’intégrer dans le travail «classique» des cercles qualité et devenir ainsi «mainstream»?
Ne pas inclure des approches telles que celle présentée ici dans la gamme reconnue de développement continu de la Qualité serait une occasion manquée pour la médecine ambulatoire. Nous devons travailler ensemble pour faire en sorte que nos approches de la Qualité soient alignées sur le continuum global de l’Evidence-­Based Medicine, tel que formulé par David Sackett dans les années 1990 [6], qui ne se réduit pas aux seuls éléments facilement mesurables. Cela exige une ouverture interdisciplinaire et une réflexivité professionnelle institutionnalisée telles que les pratique xundart.

L’essentiel en bref

– Le réseau de médecins de Suisse orientale xundart s’attelle à développer une démarche qualité systémique et réflexive. Pour lui, l’activité médicale est autant médicale que sociale, le médecin un expert médical et un individu à part entière, la santé un phénomène biopsychosocial complexe. Un cercle de qualité (CQ) s’est penché sur les aspects qualitatifs d’une consultation.
– L’interaction avec les autres permet de se distancer vis-à-vis de ses propres expériences et de découvrir d’autres façons d’interpréter la réalité sociale.
– Les échanges mettent en évidence les similitudes et les différences entre les parcours professionnels et façons de travailler, ce qui permet d’analyser sa propre trajectoire sous un autre angle.
– Ateliers et journaux d’apprentissage favorisent l’initiation de processus individuels et de groupe en matière de qualité.
Dr phil. Andrea Abraham
Berner Fachhochschule Soziale Arbeit
Hallerstrasse 10
CH-3012 Berne
Tél. 031 848 46 17
andrea.abraham[at]bfh.ch

Martin Brühlmann
xundart AG
Obere Bahnhofstrasse 49
CH-9500 Wil
martin.bruehlmann[at]caremail.ch
www.xundart.ch
1 Rantatalo O, Karp S. Collective reflection in practice: an ethno­graphic study of Swedish police training. Reflective Practice. 2017;17(6):708–23.
2 Ohlsson J. Team learning: Collective reflection processes in teacher teams. Journal of Workplace Learning. 2013;25:296–309.
3 Borie M, Gustafsson K, Obermeister N, Turnhout E, Bridgewater P. Institutionalising reflexivity? Transformative learning and the Intergovernmental science-policy. Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES). Environmental Science & Policy. 2020;110:71–6.
4 Bolton G. Reflective practice. Writing and professional development. Los Angeles: SAGE; 2010.
5 Abraham A, Kissling B. Qualität in der Medizin. Briefe zwischen einem Hausarzt und einer Ethnologin. Muttenz: EMH Media; 2015.