Les derniers seront les premiers

Zu guter Letzt
Édition
2021/11
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19653
Bull Med Suisses. 2021;102(11):412

Affiliations
Prof. Dre théol., membre de la rédaction Ethique

Publié le 16.03.2021

Une nouvelle saison arrive, la saison de la vaccination! Elle a débuté en janvier et se maintiendra au cours des prochains mois. Certains la craignent, d’autres sont impatients de la voir arriver, comme pour toutes les saisons d’ailleurs.
La saison de la vaccination a cependant suscité des ­réactions particulièrement vives – pas la vaccination en elle-même, mais bien la saison. Il a fallu du temps pour tout mettre en place: système d’inscription, centres de vaccination, doses de vaccin et, bien sûr, les personnes éligibles! Et c’est bien là que le bât blesse: certains protestent, d’autres s’impatientent. Et on ne peut pas vraiment dire à celles et ceux qui ne veulent pas se faire vacciner «tant pis pour vous», car la vac­cination ne relève pas tant d’un individu isolé, mais de nous tous en tant que membres d’une communauté. On se fait non seulement vacciner pour ne pas tomber malade, mais aussi pour ne pas transmettre la maladie. Ou, au contraire, on ne se fait pas vacciner car on croit que le faire serait se mettre à la merci d’une autorité ­supérieure qui chercherait à diriger le monde, ou alors peut-être simplement par manque de confiance dans l’industrie pharmaceutique. Quoi qu’il en soit, cette ­décision ne concerne pas que ma propre personne, c’est presque une posture politique, une sorte de me too
Si l’on adopte le point de vue des personnes favorables à la vaccination (ce à quoi je me prête volontiers), la question de savoir qui doit être vacciné en premier est tout aussi politique! Qui échappera en premier au risque de contracter le virus et qui devra attendre plus longtemps, voire très longtemps dans le pire des cas, pour pouvoir s’en prémunir.
On aurait tôt fait de penser qu’au vu de ce que la société et plus spécifiquement l’économie ont subi ces derniers mois, il serait judicieux de vacciner d’abord les personnes qui travaillent. C’est le choix qu’a fait l’Indonésie où la vaccination des 18 à 59 ans a été privilégiée au motif que les personnes actives se déplacent beaucoup et qu’elles pourront ainsi continuer d’assurer la productivité du pays.
Boris Palmer, le maire de Tubingue dans le Land du Bade-Wurtemberg, a quant à lui critiqué les mesures prises lors de la première vague: «En Allemagne, nous sauvons des gens qui risquent de mourir dans les six mois à venir en raison de leur grand âge ou de leur polymorbidité.» Ses propos ont suscité un tollé. L’Allemagne, la Suisse et de nombreux autres pays ont choisi de ne pas vacciner en premier les citoyens les plus forts, les plus productifs ou les plus influents, mais les personnes âgées et vulnérables, celles avec des antécédents médicaux et celles en maisons de retraite. Le but étant de protéger en priorité ces personnes et celles qui en prennent soin. Elles seront les premières à avoir droit aux vaccins disponibles et ce, non pas pour répondre aux besoins de l’économie, mais parce que c’est elles qui en ont le plus besoin.
Dans le préambule à la Constitution fédérale, il est écrit «que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres». Peut-être n’est-ce pas tant la convoitise qui crée des remous lorsque des millionnaires ou des actionnaires majoritaires font pression pour se faire vacciner en premier, mais plutôt la conviction profonde et intuitive selon laquelle il ne saurait être question de qui jouera le mieux des coudes ou aura le porte-monnaie le mieux garni, mais au contraire de savoir sur quelles valeurs une société se construit.
Dans l’Evangile de Matthieu, Jésus dit à ceux qui se sentent injustement traités: «Les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers.» Un jour viendra où, celles et ceux qui sont en bout de course recevront autant que celles et ceux qui caracolent en tête. Mais pas sur cette terre, où les premiers le restent souvent: ici c’est plutôt «l’effet Matthieu» (maxime tirée du même Evangile) selon lequel «il sera donné à celui qui a» qui s’applique.
Le premier exemple est un avant-goût du Royaume de Dieu, régi par d’autres règles que la loi du plus fort. Il est intéressant de se rappeler, avec une crise sanitaire telle que celle que nous traversons aujourd’hui, que les choses pourraient être autrement et comment une ­société pourrait se construire autour du soin aux plus faibles en leur assurant une protection particulière. En matière de vaccination, les derniers sont ainsi devenus les premiers. S’en souviendra-t-on une fois la pandémie derrière nous?
christina.ausderau[at]phtg.ch