Demandes d'information du Ministère public: comment y répondre?

Tribüne
Édition
2021/17
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19597
Bull Med Suisses. 2021;102(17):585-586

Affiliations
Dr iur., HEP & Partner GmbH, Berne

Publié le 28.04.2021

Il n’est pas toujours facile pour les médecins de savoir s’ils doivent ou non répondre aux demandes des autorités quant à la transmission des données de patients dans une procédure pénale. Se pose la question d’une éventuelle incompatibilité de la ­divulgation des données avec le secret professionnel ou de l’existence d’une réglementation obligeant les médecins à coopérer dans le cadre d’enquêtes sur des ­infractions pénales.
Transmettre aveuglément des informations n’est pas indiqué, comme le montre un arrêt du Tribunal fédéral d’octobre 2020 [1]. Le Ministère public a demandé à un centre psychiatrique de lui fournir le dossier médical d’un patient soupçonné d’avoir abusé d’une personne. L’établissement a donné suite à la demande, mais l’accusé a exigé la mise sous scellés des documents. Le Tribunal fédéral a refusé de la lever.

Refus de fournir des informations

Lors de procédures pénales, les médecins et leurs auxiliaires sont tenus [2] de refuser de témoigner sur les ­secrets qui leur ont été confié de par leur profession ou qu’ils ont appris en exerçant celle-ci. C’est ce que prévoit l’article 171, paragraphe 1, du Code de procédure pénale (CPP). Le secret professionnel doit également déployer ses effets dans le cadre de procédures pénales.
Ils ne sont tenus de témoigner que dans les trois cas suivants [3]:
– ils sont soumis à l’obligation de dénoncer;
– ils ont été déliés, par écrit, du secret professionnel par l’autorité compétente;
– ils ont été déliés du secret par le patient concerné.
Les médecins ne peuvent ainsi fournir documents et objets résultant du traitement d’une personne accusée que si l’un des trois cas mentionnés ci-dessus s’applique.

Obligation de dénoncer

Le secret professionnel prévu à l’article 321 du code ­pénal est une institution juridique importante du droit fédéral. Elle découle du droit constitutionnel à la vie privée et sert à protéger la relation de confiance particulière entre le médecin et le patient. Des exceptions au secret professionnel nécessitent donc une disposition claire dans la loi fédérale. Une telle disposition se trouve à l’art. 171 al. 2 let. a CPP: ce n’est que s’il y a obligation de dénoncer qu’un médecin doit témoigner ou publier un document. La législation en matière de droit de procédure pénale étant du ressort de la Confédération (art. 123 al. 1 de la Constitution fédérale), seule l’obligation de dénoncer au niveau fédéral est concernée. Les réglementations cantonales (droits ou devoirs de communiquer dans les lois cantonales sur la santé publique) ne sont pas valables. Dans l’arrêt précité, le Tribunal fédéral indique clairement que les dispositions administratives cantonales ne peuvent pas se soustraire aux dispositions fédérales sur la protection des secrets professionnels et sur les obligations de publier des pièces et de témoigner dans le cadre d’une procédure pénale [4].
Le fait que l’art. 321 ch. 3 CP se réfère aux droits cantonaux de communiquer et de coopérer est un vestige de l’époque où les lois cantonales de procédure pénale étaient encore en vigueur. Les dispositions cantonales «sur l’obligation de témoigner» n’existent plus depuis l’entrée en vigueur du CPP (depuis 2011).
De ce fait, un détenteur de secret professionnel est obligé de témoigner ou de publier des pièces dans une procédure pénale (et n’est autorisé à le faire qu’à ce moment) s’il existe une obligation de dénoncer nationale (p. ex. le signalement d’un décès exceptionnel [5] ou sur la base d’une obligation fédérale d’informer en vertu d’une loi spéciale telle que la loi sur les épidémies). Ce que prévoient les lois cantonales, en particulier les lois sur la santé avec leurs droits et devoirs de commu­niquer, n’a pas d’importance pour les procédures péna­les [6].

Déliement par l’autorité de surveillance

Un déliement par l’autorité de surveillance peut également conduire à une obligation de témoigner ou de ­publier des pièces. Il est important de rappeler que le médecin lui-même doit toujours demander à être délié du secret. Par conséquent, il sait si cette condition est remplie, étant donné qu’il doit initier lui-même cette demande. Concernant la décision susmentionnée, c’est le procureur général qui a demandé à l’autorité de vérifier si le destinataire de la transmission d’information devait être délié du secret. Le procureur a indiqué qu’un déliement n’était pas nécessaire car le médecin en l’espèce était exempté en vertu d’une disposition cantonale. Cette réponse, qui, comme ­expliqué ci-dessus, est erronée, a été considérée par le Ministère public comme une information «équivalente» à un déliement. Le Tribunal fédéral a contredit cet avis et rappelé que les conditions de forme légales (déclaration claire sous forme d’ordre administrative, information sur le droit de recours) pour un déliement doivent toujours être remplies et qu’une demande ne peut être déposée que par le médecin et non par le ­Ministère public.

Déliement du secret par le patient

Le secret professionnel sert avant tout au patient, celui-ci doit également avoir la possibilité de libérer les professionnels de la santé de leur obligation de refuser de témoigner et de permettre qu’ils fournissent des informations aux autorités de poursuite. Si un tel déliement de l’obligation de garder le secret médical existe, il doit être documenté et la demande d’édition d’actes peut se réaliser.

Demandes de renseignements illicites

Si la personne ayant le droit de refuser de témoigner est confrontée à une demande d’édition qui est jugée illicite, elle ne peut pas la contester, mais doit demander que les documents à fournir soient mis sous scellés (art. 248 al. 1 CPP). Cette demande ne doit pas nécessairement être formulée de manière formelle, soit sous une forme spéciale. L’indication ou la seule affirmation par l’intéressé d’un droit de refuser de témoigner ou de déposer déclenche l’obligation auprès des autorités de mettre sous scellés les documents. La mise sous scellés signifie que, bien que les documents doivent être remis, ils ne peuvent pas être inspectés par les autorités (il n’y a ainsi pas de violation du secret professionnel de la part de la personne qui remet les documents). Seule la levée des scellés par un tribunal (tribunal des mesures obligatoires) permet une inspection.
Ainsi, indépendamment de l’existence d’une obligation de dénoncer ou d’un déliement, on pourrait toujours exiger une mise sous scellés. Ce qui a toutefois peu de sens et entraînerait des procédures inutiles, les tribunaux des mesures obligatoires devant se prononcer sur des requêtes absurdes.
Par conséquent, dans le cas d’une demande de divulgation, les professionnels de la santé doivent vérifier s’il existe un droit de refuser de témoigner et si une demande de mise sous scellés doit être faite ou s’il existe une des raisons susmentionnées qui les oblige à transmettre des informations.

L’essentiel en bref

• Les médecins doivent connaître leurs responsabilités dans les procédures pénales. Ils doivent toujours user de leur droit de refuser de témoigner, s’il ne s’agit pas de cas qu’ils ont signalés aux autorités sur la base d’une obligation nationale de dénoncer (dans la plupart des cas, il s’agira d’un décès extraordinaire [DMA]).
• Ils remplissent cette obligation en exigeant que les documents édités soient mis sous scellés.
• Si le médecin veut se conformer à une demande d’information, malgré l’absence d’une telle obligation, il doit se faire délier du secret professionnel par le patient ou par l’autorité de surveillance, respectivement le service compétent de la Direction de la santé publique.
Dr iur. Christian Peter
HEP & Partner GmbH
Schauplatzgasse 9
CH-3011 Berne
christian.peter[at]hep-partner.ch
1 L’arrêt du Tribunal fédéral du 14 octobre 2020; 1B_545/2019.
2 Le Tribunal fédéral parle d’une obligation de refuser de témoigner (1B_545/2019, consid. 4.6). Ainsi, déjà dans l’arrêt du tribunal fédéral 1B_96/2013 du 20 août 2013 consid. 5.1.
3 Art. 171 al. 2 CPP.
4 L’arrêt du Tribunal fédéral du 14 octobre 2020, consid. 4.9, ainsi déjà dans l’arrêt du Tribunal fédéral 1B_96/2013 du 20 août 2013 consid. 5.1.
5 Art. 253 al. 4 CPP.
6 En dehors des procédures pénales, les droits et obligations de dénoncer restent pertinents.