Un retour au travail réussi

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Édition
2021/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.19418
Bull Med Suisses. 2021;102(0102):16-18

Affiliations
a Chef d’agence Suva; b Dr, Cadre médical de la médecine des assurances, Suva

Publié le 05.01.2021

Des conventions de collaboration entre les médecins, les associations d’employeurs et les assurances sociales ont été conclues dans différents cantons suisses dans le but de garantir une réinsertion rapide des employés malades ou accidentés. Pour Dr Pierre-André Luchinger, c’est l’aboutissement formel de ce qu’il promeut depuis longtemps déjà.
Dans le canton de Fribourg, une convention de collaboration a été signée il y a près de deux ans sur l’initiative de la Suva et de l’office AI. Elle stipule que l’ensemble des parties prenantes désirent faire tout leur possible pour aider les personnes malades et accidentées à réintégrer rapidement et en toute sécurité leur environnement de travail habituel. «C’est Philippe Riedo, le chef de l’agence Suva Fribourg, qui m’en a parlé pour la première fois», explique le Dr Pierre-André Luchinger, spécialiste en médecine générale et tropicale, installé dans un cabinet à Bulle. «J’ai été agréablement surpris. En tant que médecin, j’applique en effet depuis très longtemps ces principes. La collaboration constitue un facteur de réussite essentiel en vue de la réinsertion et offre de nombreuses possibilités pour favoriser la guérison des personnes malades ou accidentées.»
Pierre-André Luchinger en est convaincu: 
«Il n’y a pas d’autre solution que de collaborer.»

Le plus difficile: faire le premier pas

Dans le cadre de ses activités de médecin consultant pour différentes entreprises, il a régulièrement re­marqué que le travailleur, personne clé du processus, n’était souvent pas impliqué dans cette collaboration et que chacune des parties prenantes attendait qu’une autre fasse le premier pas. Les médecins éprouvent eux aussi des difficultés à initier une telle coopération, freinés notamment par le secret médical. «C’est une fausse excuse», explique le Dr Luchinger. «Il n’est pas nécessaire que l’employeur connaisse le diagnostic. L’important est qu’il sache ce que le collaborateur est capable de faire et dans quelle mesure, afin de pouvoir éventuellement lui proposer un poste de travail aménagé. Souvent, les médecins n’ont pas la description précise du poste et peuvent donc difficilement savoir si et pendant combien de temps le patient peut exercer de nouveau son activité. En outre, ils ont peur de l’ampleur des tâches administratives qu’une telle collaboration pourrait engendrer. Or, des solutions existent pour tout cela.»

Le scénario idéal

Selon le Dr Luchinger, l’initiative doit venir de l’employeur. Idéalement, il faudrait qu’après un accident, celui-ci soit à l’écoute du collaborateur et lui fournisse une lettre à transmettre au médecin. «Il doit préciser dans ce document qu’il souhaite que l’employé réintègre rapidement l’entreprise et qu’il est disposé à proposer à ce dernier un poste aménagé. Une description détaillée du poste ainsi qu’un questionnaire doivent en outre être joints. Lors de la consultation, le patient transmet ensuite ces documents au médecin, qui les vérifie et les complète. Ainsi, non seulement on s’épargne de très nombreuses tâches administratives qui peuvent être directement déduites via la consultation, mais on fait aussi gagner beaucoup de temps à l’ensemble des acteurs concernés dans le cadre de la recherche d’une solution adéquate. Il est important que ces documents ne soient pas envoyés par la poste, mais directement transmis par le patient lors de la consultation. On assure ainsi une dynamique constructive et positive.»

Faire du patient un ambassadeur

Le patient fait alors office d’ambassadeur. «Il en résulte un tout autre état d’esprit vis-à-vis de la collaboration», poursuit le Dr Luchinger. «En voyant que son patient a un intérêt à reprendre le travail aussi rapidement que possible, le médecin est d’autant plus incité à apporter sa pierre à l’édifice. Les assurés doivent donc jouer un rôle proactif. C’est pour eux que le corps médical doit mener à bien ces tâches administratives de façon efficiente – sans toutefois ménager ses efforts – et prendre contact avec le médecin consultant de l’entreprise. Lorsque l’incitation vient du patient lui-même, les médecins se sentent aussi davantage impliqués. L’important n’est pas de gagner plus ou moins d’argent, mais de se préoccuper de la santé et du bien-être de l’employé. Tous ont un intérêt à cela.»

Les employeurs ont aussi un rôle à jouer

Pour le Dr Luchinger, il est essentiel que les médecins soient davantage informés au sujet de cette convention de collaboration et la mettent en œuvre. Mais il est tout aussi important de la faire connaître auprès des employeurs qui doivent pouvoir et vouloir proposer un poste de travail aménagé. Or, cela s’effectue généralement trop tard. «Je le constate bien trop souvent, le collaborateur appelle son entreprise pour lui annoncer qu’il a subi un accident et qu’il sera absent deux mois, puis il reste sans nouvelle de son employeur pendant tout ce temps. Il a alors l’impression qu’on l’a oublié», ajoute-t-il.
En règle générale, les grandes entreprises peuvent plus facilement proposer des postes de travail aménagés. «Mais c’est avant tout une question de culture: l’employeur doit souhaiter que ses collaborateurs réintègrent au plus vite l’entreprise. Les personnes qui ont du plaisir à travailler, s’identifient à leur entreprise et sont satisfaites de leur poste veulent revenir rapidement. Il faut alors que l’employeur puisse et veuille leur proposer des tâches adaptées, même à temps partiel. C’est le cas dans de nombreuses entreprises, mais on rencontre aussi régulièrement des employeurs qui souhaitent que seules des personnes totalement opérationnelles travaillent.»

Des expériences positives

Pierre-André Luchinger peut citer de nombreux exemples positifs, et ce, dans des cas d’accidents comme de maladie. Il se souvient notamment d’un patient qui pouvait retravailler avec un fixateur externe, mais dans un poste adapté. Ou d’un autre qui souffrait de graves brûlures aux mains mais qui désirait reprendre rapidement le travail. Conjointement avec le médecin de famille, il a été fait en sorte qu’il puisse travailler dans de bonnes conditions – tant en matière de sécurité que d’hygiène – et des tâches simples de contrôle ont rapidement pu lui être confiées. Le Dr Luchinger se souvient aussi de l’exemple d’une femme licenciée après 28 ans au même poste. Il a fait valoir que l’entreprise avait créé un cas social, la patiente n’ayant jamais assumé d’autres types de tâches. L’entreprise est alors revenue sur sa décision. Il est également intervenu en faveur d’un homme congédié en raison de difficultés au travail: celui-ci oubliait parfois de prendre des médicaments pour sa santé psychique. L’employeur a fini par changer d’avis, allant jusqu’à s’assurer les services du Dr Luchinger en tant que médecin consultant.

La capacité de travail, un vrai casse-tête

«Le plus difficile est de déterminer ce que l’assuré est en mesure de faire, et à partir de quand», explique-t-il. «Là aussi, le médecin peut fournir des renseignements sans pour autant donner de précisions sur la nature de la blessure ou de la maladie. Il est censé le faire rapidement et spontanément, ce qui est toutefois rarement le cas dans la pratique. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui ne savent pas qu’un poste peut être aménagé le temps de sa guérison uniquement, et non pas pour tout le reste de la carrière de l’assuré. Après trois mois, l’entreprise aura peut-être besoin de proposer ce poste à un autre collaborateur accidenté. Par ailleurs, une telle activité ne présuppose pas forcément une pleine capacité de travail, et tout le monde n’a pas conscience du fait que le taux de la capacité de travail défini ne reflète pas nécessairement le rendement réel du collaborateur. Il est donc important de le clarifier.»

Collaboration indispensable

«La Suisse dispose d’un système d’assurance solide, et la Suva est elle aussi un modèle de réussite qui fait des envieux à l’étranger», ajoute-t-il. «C’est l’aspect humain qui fait ici la différence: les employés ne veulent pas seulement recevoir un salaire à la fin du mois, mais aussi donner un sens à leur travail, se sentir bien et apporter leur pierre à l’édifice. Les bons cadres, de même que le personnel des RH, assument leurs responsabilités et disposent de compétences et valeurs humaines et sociales telles que le respect ou la confiance. Si ces compétences ouvrent de nombreuses perspectives, elles font souvent défaut dans les entreprises. Il en résulte une forte pression et beaucoup de fatigue, ce qui influe négativement le moral des collaborateurs et a un impact sur le risque d’accident. On voit ainsi fréquemment une imbrication de troubles physiques et psychiques.»
Pour Pierre-André Luchinger, il est indispensable que toutes les parties prenantes collaborent pour le bien de leurs patients, travailleurs ou assurés. «Il n’y a pas d’autre solution que de collaborer», conclut-il. «Nous devons favoriser une culture d’entreprise positive et assurer une collaboration dynamique et constructive entre tous les acteurs. Cela profitera également à notre société dans son ensemble.»

L’essentiel en bref

• La coopération de toutes les parties concernées est nécessaire pour permettre aux employés malades ou blessés de retrouver facilement leur emploi. Des accords de coopération entre médecins, représentants des entreprises et compagnies d’assurance sont en train d’être mis sur pied dans différents cantons.
• Dr méd. Pierre-André Luchinger, de Bulle, a une longue expérience dans ce domaine. Il s’inquiète que l’employeur soit fréquemment laissé en dehors du processus de réinté­gration. Il recommande aux supérieurs de fournir aux personnes concernées une description du poste et un questionnaire que celles-ci remettent lors de la consultation médicale. Le médecin se charge de vérifier les documents et de les remplir. Ce processus doit, dans la mesure du possible, constituer la base en vue d’une reprise de l’activité professionnelle.
Philippe Riedo
Chef d’agence Suva
Rue de Locarno 3
CH-1701 Fribourg
philippe.riedo[at]suva.ch