Entretien avec Roland Sigrist, directeur du Cybathlon

«Il n'y a pas de compétition comparable»

Tribüne
Édition
2020/50
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19396
Bull Med Suisses. 2020;101(50):1694-1696

Publié le 08.12.2020

Se lever d’un canapé à l’aide d’un exosquelette, ouvrir des pots de confiture avec une prothèse: au Cybathlon, des personnes avec un handicap relèvent des défis du quotidien grâce aux meilleures technologies. Le but? Encourager l’innovation et la recherche. La compétition s’est tenue pour la première fois virtuellement.
Roland Sigrist est le directeur du Cybathlon.
Roland Sigrist, qu’est-ce que le Cybathlon?
Cette compétition unique est une initiative de l’ETH de Zurich. Pendant l’événement, les participants, qui ont un handicap physique, réalisent des exercices du quotidien à l’aide d’équipements et technologies de pointe. C’est donc plus qu’une simple compétition: le Cybathlon vise à améliorer l’intégration des personnes avec un handicap dans la vie quotidienne. L’objectif est de promouvoir la recherche et le développement dans le domaine des systèmes d’assistance destinés à ce public. Le Cybathlon sert aussi de plateforme pour montrer ce qui existe déjà et où des lacunes subsistent. Il n’y a pas de compétition comparable dans le monde.
Comment est née cette compétition?
D’un côté, de nombreux projets de recherche sur les systèmes d’assistance sont menés dans les Hautes écoles du monde entier, de l’autre côté, ils trouvent rarement application dans le quotidien. Le Cybathlon a pour but de rapprocher le milieu de la recherche et le public cible, soit les personnes avec un handicap, pour qu’une collaboration plus intensive se crée.
Quelles technologies peut-on voir au Cybathlon?
Chaque équipe développe ses propres technologies pour la compétition, en fonction du handicap du ou de la concurrente. Tous les participants en fauteuil roulant n’ont pas les mêmes limitations et ne requièrent pas tous le même système de contrôle. C’est pourquoi des technologies très diverses sont utilisées. Certaines ont été adaptées à partir de dispositifs déjà commercialisés, alors que d’autres sont des solutions totalement nouvelles, encore au stade de prototypes. Il existe par exemple des prothèses de bras capables de transmettre automatiquement le signal de mouvement de l’utilisateur à la prothèse. D’autres prothèses permettent même d’avoir la sensation du toucher.
Que signifie une victoire pour une équipe? Que la technologie utilisée est meilleure que les autres?
Si une équipe gagne, cela ne signifie pas que son innovation est ensuite prioritaire dans la recherche. Notre objectif est de montrer les différentes prouesses technologiques afin que chaque personne avec un handicap puisse trouver celle qui sera la mieux adaptée pour son usage quotidien.
Le Cybathlon 2020 aurait dû se tenir à Zurich en mai. En raison de la pandémie, il a d’abord été reporté, puis le format entièrement revu. Comment le public a-t-il pu suivre la compétition les 13 et 14 novembre?
Avec plus de 50 équipes de 20 pays, le Cybathlon est un événement international. En raison de la crise ­sanitaire, il était impossible d’inviter les participants à Zurich. Nous demandant comment maintenir malgré tout l’événement, nous avons eu l’idée que les équipes allaient concourir dans leur propre pays et nous, en tant qu’organisateurs, allions retransmet­tre le tout dans un programme en direct. Les disciplines et les tâches restaient les mêmes, seul le lieu changeait.
Quels défis avez-vous dû surmonter?
L’équipe de pilotage a tout dû contrôler et coordonner à distance: elle était par exemple chargée de trouver des responsables des courses qui veillent à ce que les règles soient appliquées. Nous avons dû recruter et former les arbitres sur place, par vidéoconférence. Les tests techniques et médicaux sont effectués conjointement par des experts sur place et des spécialistes à Zurich, le tout via écran interposé. Nous avons mené d’innombrables visioconférences afin que toutes les équipes connaissent les règles et le déroulement précis de la compétition. Ces réunions en ligne ont aussi été bénéfiques pour renforcer les échanges et l’enthousiasme au sein de la communauté.
Les exercices ont-ils dû être adaptés?
Oui, en partie. C’est par exemple le cas de la course à vélo. Dans cette discipline, les participants ont couru sur un entraîneur intelligent, car il n’était pas possible d’aménager les mêmes pistes de course dans chaque pays. Le parcours était donc stationnaire, mais plus long et donc plus intense. Les règles du Cybathlon sont renouvelées tous les quatre ans: comme la compétition a été organisée pour la première fois en 2016, un nouveau règlement a été appliqué cette année. Les tâches étaient similaires, mais certaines comportaient des difficultés supplémentaires. Cela devait favoriser l’innovation.
Pouvez-vous donner des exemples de tâches 
nouvellement définies?
Dans la course en fauteuil roulant motorisé, un des obstacles consiste à ouvrir une porte. Il était jusqu’ici autorisé d’utiliser sa force musculaire. Or, certaines personnes en fauteuil ne parvenant plus bien à bouger leurs bras, nous avons décidé qu’il fallait recourir à un bras robotisé. Dans la discipline des prothèses de bras, les participants devaient sentir des objets. Cette nouvelle tâche vise à encourager le développement de prothèses sensorielles.
Le parcours avec l’exosquelette consiste en des activités quotidiennes telles que monter des escaliers, des rampes et des pentes ou se lever d’un canapé. Encore peu répandus, les exosquelettes sont utilisés presque exclusivement dans les hôpitaux et cliniques de réadaptation en physiothérapie.
Qui définit les tâches?
C’est l’équipe d’organisation qui a le dernier mot sur les règles, mais pour cela, nous échangeons en amont étroitement avec la communauté, qui est composée des personnes avec handicap et des chercheurs dans ce domaine. Elle seule est à même de savoir quels exercices sont les plus pertinents. Voilà pourquoi le dialogue entre les participants et nous, organisateurs, est si important. Nous ne réalisons pas toujours quels sont les défis auxquels les personnes avec un handicap sont confrontées.
Grâce au format virtuel de cette édition, vous avez pu atteindre un public beaucoup plus large.
Oui, c’était un grand avantage. Dans les dernières semaines avant l’événement, nous avons tout fait pour optimiser la qualité de la retransmission afin qu’elle soit accessible à tous et partout. Le fait que la compétition ait eu lieu à plusieurs endroits a aussi permis de jouir d’une plus grande attention à l’étranger: la presse locale a mieux pu suivre l’événement sur place, ce qui a amélioré la qualité de la couverture médiatique. Une nouvelle dynamique sur ces sites de compétition s’est ainsi créée.
Pourquoi le Cybathlon n’a-t-il pas été reporté à 2021? Cela n’aurait-il pas été plus facile?
Cela devait avoir lieu cette année encore afin de donner aux équipes une plateforme pour leurs innovations. Avec un report, on courait le risque que les équipes ne soient plus financées ou ne travaillent plus ensemble. En tant qu’organisateur, il nous incombait de montrer ce que les équipes ont développé, l’avancée dans la recherche ainsi que les potentiels d’amélioration. Nous allons, dès 2021, entamer une nouvelle période du Cybathlon, avec de nouveaux défis, en partie plus difficiles. Qui dit nouveaux exercices, dit nouvelles innovations. Il s’agit in fine de faire avancer la recherche. Reporter l’événement stopperait toute avancée. Ce n’est pas ce que nous voulons. Et puis cela aurait été une grande déception pour tous les participants qui travaillent des années en vue de la compétition, du développement de la technologie à l’entraînement proprement dit en passant par les tests.
Y aura-t-il un événement similaire l’année prochaine?
Oui, le projet va se poursuivre à l’ETH Zurich ces prochaines années. La période 2021–2024 avec son nouveau règlement sera bientôt annoncée. Nous souhaitons développer le projet CYBATHLON @school, qui consiste en des modules d’enseignement autour des thèmes de l’inclusion et de la robotique, ainsi que d’autres événements tels que des compétitions «décentralisées». L’événement principal devrait probablement se tenir en 2024.

Medical Checks

Avant que les participants ne s’élancent dans la course, ils doivent se soumettre à un contrôle médical. Une équipe dirigée par deux neurologues de la clinique Schulthess est chargée de la préparation médicale et de la réalisation de ces examens. Les experts évaluent tous les participants à distance, mais sont généralement assistés par un spécialiste sur place. Les spécialistes sur place sont recrutés au préalable et formés pour effectuer l’examen. Selon la discipline, l’équipe médicale vérifie d’autres ­aspects en menant par exemple des tests neurologiques. Les contrôles médicaux doivent assurer la sécurité des participants et veiller à ce que les conditions de départ soient égales. Il s’agit entre autres de vérifier si une personne est réellement paralysée et à quel endroit ou si un appareil est sûr.
La FMH soutient l’événement en mettant son logo à disposition. Plus d’informations sur le Cybathlon: https://cybathlon.ethz.ch/de
julia.rippstein[at]emh.ch