Un Working Paper assorti de standards et de recommandations

L’interprofessionnalité ne s’improvise pas

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Édition
2020/5152
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19394
Bull Med Suisses. 2020;101(5152):1730-1732

Affiliations
a Dr phil., M.A., collaborateur scientifique, Fondation Careum, département Gestion de la formation, Zurich; b Dr méd., MPH, amstad-kor, Bâle; c Dr méd. vét., président de la Société des Vétérinaires Suisses, Berne; d Dr rer. nat., MBA, Fondation Careum, direction du département Gestion de la ­formation, Zurich

Publié le 15.12.2020

Dans un Working Paper, la Fondation Careum (Zurich) a regroupé les caractéristiques d’une formation interprofessionnelle performante pour les professionnels du système de santé. Le document s’appuie sur une littérature internationale et des entretiens réalisés avec des spécialistes de nombreux pays. Une feuille de route indique en outre les mesures permettant d’obtenir d’autres améliorations en Suisse.
Le système de santé suisse est malade: ses coûts ont connu une augmentation massive en raison de l’évolution démographique et du nombre croissant de maladies chroniques qui en découle. Des traitements ­toujours plus complexes accentuent également ce phénomène [1]. Dans le même temps, on observe une pénu­rie flagrante de professionnels de santé, qui n’est ­atténuée que par l’arrivée de spécialistes étrangers [2]. La collaboration interprofessionnelle entre les spécialistes concernés (médecins, personnel soignant, diététiciens, physiothérapeutes, ergothérapeutes par ex.) est à de nombreux égards considérée comme une solution possible. Sur la base du concept quadruple aim [3], plusieurs suppositions sont établies. La collaboration interprofessionnelle peut: 1. améliorer la santé de la population et 2. le ressenti des patients, 3. tout en ­réduisant les dépenses de santé par habitant et 4. en ­accroissant la satisfaction des professionnels de santé.
Cependant, la collaboration interprofessionnelle a aussi besoin d’un terreau pour se développer. Les ­organisations de santé et associations spécialisées, tant ­nationales qu’internationales, partagent donc un consensus: la collaboration interprofessionnelle ne peut fonctionner que si les professionnels de santé possèdent des compétences interprofessionnelles qu’ils doivent acquérir pendant leur formation [4, 5].
Les progrès observés en Suisse dans le domaine de la formation et de la collaboration interprofessionnelle doivent être considérés comme significatifs d’un point de vue international. Les acteurs majeurs dans le cadre de l’interprofessionnalité sont les suivants: Office fédéral de la santé publique OFSP, Académie Suisse des Sciences Médicales ASSM, établissements de formation et autres initiatives, à l’image de la Plateforme Interprofessionnalité ou de l’association SwissIPE (Swiss ­Interprofessional Education Course). Aujourd’hui, le ­programme de promotion Interprofessionnalité de la Confédération qui a soutenu 18 projets de recherche interprofessionnels pour un total de trois millions de francs, a touché à sa fin [6]. En réponse à la dynamique de ces dernières années, l’ASSM a publié à l’automne 2020 la Charte 2.0 Collaboration interprofessionnelle dans le système de santé [7].

Un Working Paper comme catalyseur

Cela fait déjà plusieurs années que la Fondation Careum à Zurich s’engage en faveur de l’interprofessionnalité par le biais de diverses mesures. Il y a peu de temps, elle a publié un Working Paper, qui doit poser de nouveaux jalons pour l’avenir de la formation interprofessionnelle en Suisse [8]. Partant de la situation réelle de la formation interprofessionnelle en Suisse, le document décrit également les caractéristiques d’une bonne formation interprofessionnelle sur la base de travaux synoptiques pertinents et d’entretiens menés avec des experts de renommée internationale et d’autres personnes concernées. Les recommandations et mesures formulées sur cette base ont été discutées à l’occasion d’un atelier d’experts et concrétisées sous la forme d’une feuille de route pour la Suisse.
Le Working Paper a vocation à servir de catalyseur pour encourager le débat sur la formation interprofessionnelle dans les établissements de recherche, de formation et ceux spécialisés dans la pratique. Dans l’idéal, il déclenchera d’autres initiatives dans toute la Suisse.

Caractéristiques d’une formation ­interprofessionnelle fructueuse

Dans une partie à visée empirique, le Working Paper présente les résultats des travaux de synthèse pertinents sur la formation interprofessionnelle et des entretiens réalisés avec des experts internationaux. Entre évaluation de la littérature et entretiens avec les experts est apparu un consensus: les conditions cadres ont une grande importance. Il y a lieu de prévoir par exemple les ressources nécessaires (personnel et finances) et aussi de reconnaître et d’encourager l’action des facilitateurs1 en tant que modèles ainsi que celle des apprenants et étudiants dans leur rôle de concepteurs actifs de leur propre formation. La formation des facilitateurs est considérée comme une condition ­cruciale pour la bonne mise en œuvre de la formation interprofessionnelle.
Le fait que ni la littérature ni les experts ne recommandent de méthode concrète pour transmettre des compétences interprofessionnelles ne doit pas nécessairement être vu comme un désavantage. L’hétérogénéité des formats d’apprentissage interprofessionnels permet en effet une action méthodologique et didactique à la fois flexible et diversifiée (objectifs d’apprentissage, étape de formation, groupes professionnels impliqués, etc.) en fonction des conditions cadres existantes. Il est toutefois essentiel que les formats de formation soient réalistes et orientés vers la pratique. Dans ce contexte, les stations cliniques de formation interprofessionnelle jouent un grand rôle.

Une feuille de route en guise d’étape intermédiaire

Sur la base de la revue de la littérature et des entretiens réalisés, le Working Paper propose six recommandations:
1. Les parties prenantes des domaines de la formation, de la recherche, de la pratique et de la politique doivent être impliquées dans le développement et la mise en œuvre des formats de la formation interprofessionnelle.
2. Une compréhension commune des objectifs d’apprentissage et des compétences interprofessionnels est nécessaire.
3. Les contenus des formations interprofessionnelles doivent être intégrés dans les programmes.
4. Le rôle essentiel des facilitateurs pour la réussite de l’apprentissage des apprenants doit être pris en compte.
5. La formation interprofessionnelle doit être conçu de manière efficace et axée sur la pratique.
6. Le potentiel de la recherche dans le domaine de la formation interprofessionnelle doit être exploité.
Les actions recommandées ne se veulent en aucun cas exhaustives et ne sauraient constituer une recette miracle. Elles doivent plus être considérées comme des idées et pistes de réflexion.
A l’invitation de la Fondation Careum, 24 experts suisses du domaine de l’interprofessionnalité ont discuté début juillet 2020 des recommandations proposées et des mesures correspondantes. Dans le cadre de trois ateliers réalisés en allemand et d’un autre atelier en français, ils ont ainsi établi une feuille de route pour l’avenir de la formation interprofessionnelle en Suisse. Le tableau 1 propose un extrait de cette feuille de route. Une mesure (parmi d’autres) correspondant à chaque recommandation est proposée à titre d’exemple.
Tableau 1: Feuille de route pour les six recommandations d’action du document de travail (extrait).
RecommandationMesure exemplaireEtapes ultérieuresActeursEchéance
1. Les parties prenantes des domaines de la formation, de la recherche, de la pratique et de la politique doivent être impliquées, selon le contexte, dans le développement et la mise en œuvre des formats interprofessionnels de formation.Mise en place d’un réseau national composé d’établissements de recherche, de pratique et de formation actifs dans le domaine de l’interprofessionnalité et mise en réseau avec des réseaux locaux interinstitutionnels– Création d’un comité regroupant des participants internationaux, qui lance la création d’un réseau national (sous le patronage des organes suivants: OFSP, SEFRI, ASSM, Fondation Careum)– Responsables des filières de formation initiale, de formation continue et de perfectionnement dans les domaines médical, thérapeutique, médico-technique et en rapport avec les soins
– Représentants des patients
– Représentants de différentes branches de soins
fin 2021
2. Mise en place d’une compréhension commune des objectifs d’apprentissage et des compétences pour des soins aux patients dans une perspective interprofessionnelleElaboration et mise en œuvre, pour toutes les filières, de compétences et d’objectifs d’apprentissage interprofessionnels applicables à l’échelle du pays– Elaboration d’un inventaire recensant les compétences et les objectifs d’apprentissage internationaux existants– Fondation Careum le cas échéantmi-2021
– Formulation des compétences et des objectifs d’apprentissage applicables à l’échelle du pays dans le contexte de la situation interprofessionnelle des soins en Suisse– Réseau national (voir les mesures relatives à la ­recommandation 1)fin 2022
3. Les contenus des ­formations interprofessionnelles doivent être intégrés dans les programmes.Exploitation des possibilités pour un ancrage durable, intégratif et curriculaire des contenus de formation multiprofessionnels et interprofessionnels afin de déclencher un changement culturel par une formation théorique et pratique– Lancement d’une discussion entre les parties prenantes (sous le patronage des organes ­suivants: ASSM, OFSP, SEFRI, Fondation Careum)– Etablissements de formation sur place
– Groupes d’intérêts spécifiques des niveaux de ­formation
2020/2021
4. Dans le cadre de la formation et de la pratique des soins, toutes les professions de santé et professions médicales intègrent activement le rôle du «facilitateur»1.Conception et mise en œuvre d’une boîte à outils pour les facilitateurs afin de soutenir la qualité de la formation et la constitution d’une communauté de pratique– Rédaction d’une publication visant à expliquer le terme de «facilitateur», exemples pratiques à l’appui– Participants à l’atelierdébut 2021
– Conception de la boîte à outils du facilitateur en guise de prototype– Fondation Careum le cas échéantmi-2021
– Constitution d’une communauté de pratique des facilitateurs– Le cas échéant, Fondation Careum en tant que ­soutienfin 2021
5. La formation inter­professionnelle doit être conçue pour être efficace et axée sur la pratique.Intégration de l’approche patient as teacher (patient en tant qu’enseignant) ou implication des patients / personnes concernées dans la réalisation des cours interprofessionnels (le cas échéant avec le concours des organisations de patients)– Analyse et identification des configurations et des programmes de formation existants sur le thème patient as teacher en Suisse– Fondation Careum2021
– Professionnalisation ou création de structures afin de soutenir l’approche patient as teacher en ce qui concerne le financement, la formation et la clarification des rôles et des tâches– Etablissements de formation
– Organisations de patients
– Institut d’enseignement médical de la faculté de­l’Université de Berne
– Fondation Careum
2022
6. Le potentiel de la ­recherche dans le domaine de la formation interprofessionnelle doit être exploité.Mise en place à long terme de groupes de recherche multi-institutionnels et interprofessionnels– Soutien aux configurations multi-institutionnelles innovantes pour la mise en œuvre de 
projets de recherche interprofessionnels ­(dominante de la recherche ambulatoire par ex.) en clarifiant la question du cofinancement par d’autres bailleurs de fonds (assurances par ex.)– DFI dans le cadre de la Stratégie santé 20302023
OFSP: Office fédéral de la santé publique; DFI: Département fédéral de l’intérieur; ASSM: Académie Suisse des Sciences Médicales; SEFRI: Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation.

La Fondation Careum entend être ­partenaire

En Suisse, l’interprofessionnalité est un domaine très dynamique impliquant de nombreux acteurs. Une tentative a certes été menée pour matérialiser les recommandations et mesures sous la forme d’une feuille de route et de désigner les acteurs potentiels. Néanmoins, le travail n’est pas achevé et il s’agit désormais d’appliquer cette feuille de route. La Fondation Careum ­entend ici jouer le rôle de partenaire pour vérifier et lancer des projets concrets avec divers acteurs.
gert.ulrich[at]careum.ch
1 ASSM. Développement durable du système de santé – Feuille de route de l’Académie Suisse des Sciences Médicales. Swiss ­Academies Communication. 2019;14(2).
2 Merçay C, Burla L, Widmer M. Personnel de santé en Suisse. Etat des lieux et projections à l’horizon 2030 (Obsan Rapport 71). ­Neuchâtel: Observatoire suisse de la santé; 2016.
3 Bodenheimer T, Sinsky C. From triple to quadruple aim: Care of the patient requires care of the provider. Ann Fam Med. 2014;12(6):573–6.
4 World Health Organization. Framework for action on interprofessional education and collaborative practice. 2010. http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/70185/1/WHO_HRH_HPN_10.3_eng.pdf
6 OFSP. Programme de promotion Interprofessionnalité dans le domaine de la santé – rapport annuel 2019. 2020. www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/publikationen/taetigkeitsberichte/­jahresberichte-foerderprogramm-interprofessionalitaet-im-­gesundh.html
7 ASSM. Charte 2.0 Collaboration interprofessionnelle dans le ­système de santé. 2020. doi.org/10.5281/zenodo.3865147