Valeur ou dignité?

Zu guter Letzt
Édition
2020/49
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19385
Bull Med Suisses. 2020;101(49):1668

Affiliations
Prof. Dr théol., membre de la rédaction éthique

Publié le 02.12.2020

«Faut-il laisser mourir les plus de 85 ans?» titrait la NZZ début novembre. Le contexte était l’aggravation de la situation dans les services de soins intensifs. Au printemps déjà, l’ASSM avait complété ses directives «Mesure de soins intensifs» de 2013 par des directives médico-éthiques sur les critères de décision de triage. Elles indiquent explicitement que l’âge du patient ne doit pas être un critère en soi. Un âge supérieur à 85 ans était toutefois mentionné dans la liste détaillée des ­critères de non-admission, notamment en relation avec une étude du Wuhan. La remarque suivante: «Le patient n’est pas admis en soins intensifs en présence d’un critère de non-admission», avait suscité de nombreuses critiques, également dans le Bulletin des médecins suisses. Ce point a été discuté en détail sur le plan juridique par Schwestermann et Tobler [1] qui ont recommandé de rayer purement et simplement le ­critère de l’âge.
La discussion reprend actuellement. Pratiquement la moitié des personnes ayant participé à une enquête de l’ASSM à ce sujet pensent qu’il est bon de déterminer les critères à l’avance. Les trois quarts soutiennent le principe d’une non-discrimination [2], mais deux tiers choisissent cependant la personne jeune et non la personne âgée lorsqu’il s’agit d’attribuer un respirateur en cas de pénurie de ressources. Qu’en penser?
Les directives de l’ASSM déclarent explicitement qu’appliquer l’âge en tant que critère revient à dire qu’une personne âgée a moins de valeur qu’une jeune, ce qui viole l’interdiction de discrimination, mais elles incluent néanmoins un âge supérieur à 85 ans dans la liste des critères. Une contradiction interne ici aussi?
Considérer la dignité du patient au lieu de sa valeur pourrait aider, puisque la valeur d’un être humain peut manifestement fluctuer. Selon cette approche, les personnes prioritaires en cas d’urgence ont donc plus de valeur que celles qui doivent attendre. La personne qui reçoit le dernier respirateur a plus de valeur que celle qui ne le reçoit pas. Dans cette perspective, la lutte pour les mêmes ressources est défendable, de même qu’il est légitime de voir une discrimination là où un traitement égalitaire des patients devient impossible.
Mais qu’en est-il lorsque la dignité des femmes et des hommes, des jeunes et des vieux, des personnes saines et malades entre en jeu? Un plus ou un moins digne n’existe pas. La dignité est intangible, indivisible et incalculable. Que signifie le respect de cette dignité en période de ressources limitées et de discussions houleuses?
Ce respect ne commence pas devant la porte du service de soins intensifs. Et surtout, il ne finit pas avec un consensus sur des critères si possible universels. La dignité de l’être humain couvre sa vie tout comme sa mort.
Les spécialistes de l’éthique médicale mettent en garde contre un «triage silencieux», où la décision de ne plus hospitaliser un patient atteint du coronavirus est prise par le home médicalisé. Mais cette décision n’est pas seulement basée sur l’opinion des responsables selon laquelle traiter cette personne serait inutile. Ne se pourrait-il pas que cette décision soit également liée au fait que l’on ne veut pas arracher le patient à son environnement familier et à ses personnes de confiance? Se pourrait-il qu’en accord avec les proches, la priorité soit accordée à l’ajout de vie aux jours plutôt qu’à l’ajout de jours à la vie, comme dans la citation du calendrier? Et se pourrait-il aussi que cette vie ne mérite pas seulement une lutte pour les soins intensifs, mais aussi la prise en charge et l’accompagnement dans le home qui, effectivement, mènent peut-être à moins de jours de vie, mais surtout à des jours paisibles et sereins?
Au vu des conséquences à long terme qui se profilent à l’horizon, il s’agit assurément d’une discussion à mener également. Que signifient une vie et une mort dignes en temps de coronavirus? Que pèsent les interventions médicales possibles par rapport aux affres ­associés aux soins intensifs et à l’isolation? Quelle est l’importance des contacts physiques et des relations humaines? Le domaine du possible est-il toujours au service de la dignité des patientes et des patients?
Des décisions difficiles devront être prises dans un futur proche et les médecins ne doivent pas être laissés seuls face à ce dilemme. Un débat de société sur les critères de triage est indispensable, mais, ce faisant, nous ne devons pas oublier que les critères médicalement quantifiables ne sont pas les seuls critères qui définissent la vie d’un être humain.
christina.ausderau[at]phtg.ch
1 Schwestermann MA, Tobler C. Altersdiskriminierung bei medizinischer Ressourcenknappheit? Jusletter du 14 avril 2020.