Repenser le système de santé suisse

Pour une réforme en faveur du patient

Tribüne
Édition
2020/44
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19290
Bull Med Suisses. 2020;101(44):1470-1473

Affiliations
a Prof. honoraire de médecine, Université de Genève; b Prof. honoraire d’économie, Université de Genève

Publié le 27.10.2020

Le système de santé doit être réformé, mais de quelle manière? Entre la difficulté des acteurs à s’entendre et une trop grande importance donnée à l’aspect financier, les propositions sur la table ne convainquent pas. Cet article* présente une idée de réforme centrée sur le patient et permettant de réduire les coûts.
Le système de santé en Suisse est considéré en général comme excellent. Cependant, les coûts de la santé ont plus que doublé depuis 1995 et augmenté par rapport au PIB de 9,3% à 11,9%. Les cotisations sont de plus en plus difficiles à supporter par des personnes et familles à bas revenus, qui doivent être partiellement, voire entièrement soutenues par l’Etat. D’autres renoncent aux soins pour des raisons financières. Enfin, les systèmes de facturation et de contrôle de qualité ont abouti à une bureaucratisation pesante pour tous les prestataires de santé. Le Conseil fédéral et le Parlement ont présenté plusieurs propositions pour diminuer les coûts du système de santé. (Deux initiatives visent ­également à les réduire.) La question de savoir où faire des économies a déclenché un combat acharné entre les différents acteurs impliqués.
Ainsi, les réformes dans le système de santé n’ont guère avancé à cause des intérêts opposés des différents intervenants et parce que la plupart des propositions n’ont abordé que l’aspect économique. Nous cherchons à donner une impulsion nouvelle au débat sur les réformes en offrant une autre perspective. Elle part de l’analyse des intérêts des acteurs du système de santé pour mettre le patient au centre des soins. Elle promeut une approche intégrée, de nouvelles formes de ­financement ainsi qu’un contrôle de qualité indé­pendant. En réduisant la bureaucratie, elle contribue à réduire les coûts et améliore les conditions de travail des prestataires. Enfin, elle s’interroge sur les conditions principales qui doivent être réunies pour sa mise en œuvre.

Le patient au centre du système de santé

L’idée de réformer le système de santé à partir des besoins du patient n’est pas nouvelle. Il ne s’agit pas ici de réformer les soins en suivant les intérêts des uns ou des autres acteurs, mais de les centrer sur le patient (patient centered care) [1] ou encore mieux sur la personne, car il s’agit aussi d’inclure la prévention pour des personnes en bonne santé (person centered care: PCC) [2]. Aux Etats-Unis, des organisations comme le Patient Centered Medical Home [3] ou l’Accountable Care Organizations [4] correspondent le plus au PCC. Comment faut-il s’imaginer une telle organisation ou ce ­réseau, symbolisés par l’image du Medical Home («maison de santé»)?
La «maison de santé» est un concept qui inclut des soins intégraux. Elle peut être «virtuelle», organisée en réseaux basés sur des plateformes informatiques, ou être regroupée en un lieu unique. La personne qui se sent malade s’y rend pour voir son médecin de famille. Dans le cas le plus simple – une foulure de la cheville – le médecin diagnostiquera l’affection et prescrira un traitement, et le patient sort. Mais la plupart du temps, les problèmes sont plus compliqués, en particulier en cas de maladie chronique ou de polymorbidité. La «maison de santé» permettra alors de faire des examens complémentaires comme le laboratoire et l’imagerie, d’aller à la pharmacie, d’organiser le suivi avec le corps infirmier, de faire de la prévention et d’informer sur la thérapie, de recourir à un spécialiste, d’envoyer le patient à l’hôpital, de préparer des soins à domicile si nécessaire ou encore d’organiser un soutien social. C’est le médecin de famille avec son équipe qui suit le patient tout au long de sa maladie. Son rôle est donc crucial dans le fonctionnement de la «maison de santé». Il ne doit pas seulement être érudit et professionnel, mais avoir la capacité de communiquer, collaborer, diriger, coordonner et promouvoir la santé. La «maison de santé» renforce donc la relation médecin-patient tout en offrant tous les aspects des soins au patient en incluant également la famille et l’environnement. La communication, qui inclut aussi bien le partage des informations – l’empowering, la sensibilité aux besoins des patients et le partenariat – que la collaboration interprofessionnelle et la promotion de la santé (management des cas, usage efficient des ressources), est une caractéristique importante.

Le financement du réseau de santé

Le financement de la «maison de santé» se base sur deux systèmes: la mutualisation et la capitation. Le statut de la mutuelle relève du principe de l’autogestion. Elle poursuit un but non lucratif dans l’intérêt de ses membres, moyennant le versement d’une cotisation et des actions de prévoyance, de solidarité et d’entraide. Les cotisations viennent des personnes traitées dans la «maison de santé» selon leur capacité de financement, soit selon leur revenu. Une contribution de l’Etat est possible pour des actions qui touchent des institutions de l’Etat (hôpitaux, actions sociales par exemple).
Aucune activité de la maison de santé n’est rétribuée par acte accompli, afin d’éviter des interventions inutiles, motivées par l’appât du gain. La rétribution est faite par capitation, c’est-à-dire selon le nombre de personnes qui y sont traitées. Le paiement par capitation n’inclut pas seulement les médecins ou les infirmières, mais tous les autres acteurs impliqués. Ainsi, la mutuelle «s’achètera» des consultations de spécialistes, des journées d’hôpital et des interventions à domicile, toujours selon le nombre de patients traités dans la «maison de santé» et selon leurs besoins. Sont aussi ­incluses certaines prestations sociales ayant trait à la santé, étant donné que le social joue souvent un rôle plus important que les facteurs biologiques dans la santé.
Une fois la cotisation payée, l’accès à toutes les prestations est gratuit. La participation aux frais actuellement plus ou moins élevée est unifiée et incluse dans la cotisation. Si le patient se fait soigner hors de la «maison de santé», il n’est pas couvert par la mutualité, sauf en cas d’urgence ou avec l’accord explicite du médecin de famille.

Le contrôle de qualité

Une telle organisation nécessite deux systèmes de contrôle de qualité. Les flux financiers réglés par la mutuelle doivent être contrôlés par une institution indépendante, mais responsable envers l’Etat (type FINMA en Suisse). Des organisations de patients doivent y être représentées.
Une institution similaire doit être mise en place pour le contrôle de la qualité des soins. Ici, le défi est d’être ­efficace et le moins bureaucratique possible. Le plus ­facile est de contrôler la qualité des soins verticalement, c’est-à-dire selon les pathologies (par exemple la valeur de la tension artérielle). C’est ce que les Anglais ont fait avec le Quality and Outcomes Framework [5]. Plus difficile à réaliser, mais plus pertinent est le contrôle de qualité «horizontal», c’est-à-dire des résultats du traitement des patients (Patient reported outcome measures). Ces systèmes de contrôle ont été critiqués et en partie abandonnés à cause de résultats douteux et de la bureaucratie qu’ils induisaient. Le contrôle de qualité interne à la «maison de santé» devrait se baser sur la responsabilité des prestataires par des cercles de qualité, selon leur déontologie et leur éthique, tout en s’appuyant sur les connaissances du moment (evidence based medicine). Un rapport annuel adressé à l’organe externe chargé du contrôle de ­qualité témoignerait de cette responsabilité. Des méthodes innovantes devraient être trouvées pour le contrôle externe: le défi est de mesurer lors d’entretiens personnels l’amélioration de l’état de santé des patients en termes de capacité d’autogestion et d’adaptation à leur contexte.

Exemples de cette forme d’organisation

Au niveau international, certains systèmes de santé s’apparentent au PCC. En Angleterre, le National Health Service (NHS) permet l’accès aux soins gratuits à tout le monde. Il a introduit des guidelines et des systèmes de contrôle de qualité et est globalement apprécié par la population. Le problème est que le NHS constitue un organisme public et dépend donc des ressources de l’Etat, qui peuvent varier selon les tendances politiques du moment. L’Australie dispose d’un système similaire. Aux Etats-Unis, des entreprises comme la Kayser-Permanente ont permis de fournir des soins selon le principe du PCC à des coûts raisonnables. Enfin, en Suisse, des institutions comme Cité Générations – Maison de Santé à Onex (GE) et le Center da sandà Engadiana bassa (GR) correspondent le plus à nos propositions [6]. Toutes ces organisations ont permis de réduire les coûts. Cependant, aucune ne remplit toutes les exigences, que ce soit une caisse mutuelle, la capitation pour tous les intervenants ou l’indépendance vis-à-vis de l’Etat.

Conditions de réussite

Notre proposition se base sur cinq principes: la mutualité du financement avec des cotisations selon le ­revenu, la rétribution de tous les prestataires selon la capitation, l’accès aux soins gratuit et un système de contrôle ­interne basé sur la responsabilité et externe selon les résultats d’amélioration de la santé. Enfin, les buts ­devraient être atteints avec le moins de bureaucratie possible.

Mutualité du financement

Selon la loi fédérale sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale (LSAMal), les assureurs doivent remplir plusieurs conditions (art. 5), notamment celles de «revêtir la forme juridique de la société anonyme, de la coopérative, de l’association ou de la fondation» (art. 5a) et de «pratiquer l’assurance-maladie sociale ­selon le principe de la mutualité» (art. 5f).
Les assureurs-maladie admis [7] revêtent ces différentes formes juridiques, mais ce sont surtout des sociétés anonymes dont le but principal est de réaliser des bénéfices. Il y a donc une certaine contradiction dans la LSAMal entre ses articles 5a et 5f.
Une contribution selon le revenu a été proposée par deux initiatives, mais refusée par le Parlement et la ­population. La Suisse est le seul pays en Europe à ne pas avoir introduit ce système, ce qui implique que l’Etat doit soutenir les personnes à faible revenu pour payer les cotisations. L’introduction d’un tel système épargnerait des coûts administratifs, mais elle n’est pas ­indispensable à la réalisation de notre vision.

Financement par capitation

L’introduction de la capitation pour toutes les activités est un point essentiel de la réforme. Elle n’implique pas seulement les médecins, comme déjà appliquée dans certains HMO en Suisse, mais aussi les spécialistes, les hospitalisations, les soins à domicile et même certaines mesures sociales qui peuvent améliorer l’état de santé. La capitation permet de diminuer la bureaucratie, car des factures détaillées – en ambulatoire Tarmed, en hospitalier DRG – ne seront plus nécessaires. De plus, des actes accomplis uniquement par appât du gain seront évités. La facturation par capitation est prévue à l’art. 43 c) de la LAMal pour tous les fournisseurs de prestations.

Accès gratuit aux soins

La participation aux frais de santé en Suisse est la plus importante d’Europe. Elle est composée de la franchise (de 300 à 2500 CHF) et de la participation de 10% pour toutes les prestations. Cela a pour conséquence qu’une partie non négligeable de la population renonce aux soins à cause des coûts [8]. Ce sont souvent ceux qui en ont le plus besoin [9]. Or nos parlementaires ont tendance à vouloir augmenter encore la franchise. Ceci contredit des études récentes [10, entre autres] qui montrent que l’accès gratuit aux soins augmente certes les consultations, mais diminue les hospitalisations et ainsi les frais totaux.

Contrôle de qualité

Un contrôle de qualité est indispensable dans tout système de santé. Il doit couvrir deux domaines: le contrôle des flux financiers et le contrôle des activités des prestataires. Actuellement, le contrôle des caisses se fait par l’OFSP. Nous pensons que l’Etat ne devrait pas lui-même contrôler le système de santé, mais ­déléguer cette tâche à une commission en prenant l’exemple de la FINMA: une organisation indépendante, mais responsable du bon fonctionnement de l’Etat. Le contrôle de qualité des prestataires doit être, lui aussi, réalisé par une commission indépendante. Une loi en ce sens est actuellement en préparation [11]. Ce contrôle doit être organisé comme décrit plus haut.

Réduction de la bureaucratie

Le fonctionnement actuel du système de santé suisse exige un travail administratif du personnel médical tellement important qu’il risque de dépasser le temps consacré au patient. Ceci contribue au burn out démesuré des médecins [12] et à l’abandon professionnel de presque la moitié des soignants [13]. Notre projet de réforme permet de réduire considérablement la bureaucratie, avec une facturation et un contrôle de qualité impliquant un minimum d’administration.

L’essentiel en bref

• Cette réforme met la patiente/le patient au centre. La «maison de santé» gérée par des médecins de famille et leurs collaborateurs permet d’organiser tous les aspects des soins.
• Le financement se base sur la mutualité. Tous les actes sont rétribués par un système de capitation.
• Le contrôle des flux financiers et le contrôle de qualité sont effectués par une commission de surveillance non étatique. Toutes ces propositions doivent diminuer les coûts de la santé.
hans.stalder[at]saez.ch
 1 Constand, M.K., MacDermid, J.C., Dal Bello-Haas, V. et al. Scoping review of patient-centered care approaches in healthcare. BMC Health Serv Res 14, 271 (2014). https://doi.org/10.1186/1472-6963-14-271
 2 Santana MJ, Manalili K, Jolley RJ, Zelinsky S, Quan H, Lu M. How to practice person centered care: A conceptual framework. Health Expect. 2018 Apr; 21(2): 429–40.
 3 Rosenthal TC. The Medical Home: Growing evidence to support a new approach to primary care. J Am Board Fam Med 2008; 21:427–40.
 4 Price RA, Elliott MN, Cleary PD, Zaslavsky AM, Hays RD. Should health care providers be accountable for patients’ care experiences? Gen Intern Med 2014;30:253–6 DOI: 10.1007/s11606-014-3111-7
 5 Roland M, Guthrie B. Quality and outcomes framework: what have we learnt? BMJ 2016;354:i4060
 6 Rippstein J. Nous devons sortir d’une médecine centrée sur l’hôpital. Bulletin des médecins suisses. 2020;101:384–6
 8 Bundesamt für Statistik BFS. Gesundheitszustand, Armut und Verzicht auf Pflegeleistungen. Erhebung über die Einkommen und die Lebensbedingungen (SILC) 2011. Neuenburg 2013.
 9 Wolff H, Gaspoz JM, Guessous I. Health care renunciation for economic reasons in Switzerland. SwissMedWkly.2011;141:w13165. DOI: https://doi.org/10.4414/smw.2011.13165
10 Moloo H, Mor V. Increased ambulatory care copayments and hospitalizations among the elderly. N Engl J Med 2010;362:320–8.
12 Kursner D, Danuser B. Arbeitsmedizin: Die Arbeitsmedizin nimmt die psychische Gesundheit der Schweizer Ärztinnen und Ärzte unter die Lupe. Schweiz Med Forum 2007;7:7–8