Le Sars-CoV-2 et le Covid-19 ne doivent pas être minimisés

FMH
Édition
2020/41
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19275
Bull Med Suisses. 2020;101(41):1297-1298

Affiliations
Dr, médecin-chef en pneumologie et directeur du département de médecine interne, Klinik Barmelweid AG

Publié le 07.10.2020

Au sein de la population, on observe une banalisation croissante de la pandémie due au coronavirus 2 du SARS (SARS-CoV-2) et de la maladie qui y est associée (coronavirus disease-19, Covid-19). Le nombre de cas confirmés progresse de manière signi­ficative depuis juillet. Même si le nombre de décès n’augmente pas dans la même proportion, aucune raison pour l’instant de minimiser la situation: le virus semble circuler actuellement davantage auprès d’une population plus jeune. Tout médecin ayant accompagné des cas graves dans les hôpitaux sait qu’il peut s’écouler plusieurs mois avant que les fonctions de l’organisme ne soient complètement rétablies. Les informations relayées par les médias sont rarement basées sur une pratique fondée sur les preuves et les séquelles à long terme du Covid-19 restent ­inconnues. Il serait donc déplacé de minimiser la situation. Les médecins doivent assumer leur rôle avec prudence et vigilance, participer à l’élaboration des décisions politiques et soutenir les mesures mises en place.
Quatre personnes se réunissent pour une séance dans un espace clos et s’installent à 1,5 mètre de distance l’une de l’autre. Aucune d’elles ne porte de masque et toutes se sentent en bonne santé. Une situation de tous les jours.
Les quatre personnes sont contaminées par le virus. L’une se plaint de perte du goût, l’autre a de la fièvre pendant trois jours accompagnée de symptômes au niveau des voies respiratoires supérieures, une autre connaît une évolution plus douce de la maladie. Un homme doit être hospitalisé. Une semaine plus tard, il est intubé et mis sous respiration artificielle pendant plus de 8 jours; après 4 semaines de réadaptation et donc près de 7 semaines après les premiers symptômes, il peut rentrer chez lui. Il n’a pas encore recouvré sa capacité de travail. Cette situation s’est produit quelque part en Suisse mais peut se répéter n’importe où.
En tant que médecin-chef d’une clinique de réadaptation, j’observe avec inquiétude la manière avec laquelle la pandémie due au coronavirus 2 du SARS (SARS-CoV-2) et la maladie qui y est associée (coronavirus disease-19, Covid-19) sont minimisées. Il ne fait aucun doute que cette tendance reflète les connaissances accrues sur le sujet, l’évolution du nombre de cas et de la mortalité, la sollicitation du système de santé mais aussi l’accoutumance de la société aux mesures prises.

Que savons-nous sur le SARS-CoV-2 et le Covid-19?

Les caractéristiques virales (p. ex. structure, liaison aux récepteurs ACE2), la transmission, les symptômes, la période d’incubation (5 à 6 jours), l’infectiosité (de 2 jours avant à 8 jours après l’apparition des symptômes) ainsi que la pathophysiologie (altérations cytopathiques, réponses immunitaires excessives, hypercoagulabilité) qui se manifeste sur les organes les plus divers sont entre-temps bien connus. On sait aussi que statistiquement, près de 81% des cas sont sans gravité, 14% développent une forme grave et 5% une forme critique de la maladie. Inversement, un grand nombre de points demeurent inconnus: traitement médi­camenteux, biomarqueurs pronostiques, immunité humo­rale et cellulaire, pour n’en citer que quelques-uns. Grâce au conseil scientifique (National COVID-19 Science Task Force NCS-TF), nous savons que les hommes présentent un risque 25% plus élevé d’hospitalisation et 60% plus élevé d’hospitalisation en soins intensifs avec, pour eux, 50% de mise sous respiration artificielle. Le risque augmente avec l’âge, les maladies cardio-vasculaires préexistantes, le diabète et l’adiposité, les maladies des voies respiratoires et le tabagisme persistant. Dans cette constellation, la mortalité est la plus élevée entre le 14e et le 21e jour après l’apparition des symptômes. Permettez-moi d’insister encore sur la menace que représente cette situation et de mettre deux chiffres en perspective au niveau mondial: 770 0000 décès sur près de 38 millions de personnes atteintes du VIH contre, dans le cas du SARS-CoV-2, 900 000 morts sur 27 millions de personnes infectées, et ce en quelques mois et non en plusieurs années.

Comment les chiffres évoluent-ils?

En Suisse, les infections par le SARS-CoV-2 doivent être déclarées. Les laboratoires ainsi que les médecins ­traitants ont donc la responsabilité de les déclarer au canton. Ces chiffres sont collectés et analysés à la fois par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et par d’autres groupes d’intérêts.
Le canton de Bâle-Ville par exemple met à disposition un tableau de bord («dashboard») en ligne présentant des graphiques chronologiques avec des données actualisées toutes les heures (cf. https://data.bs.ch/pages/covid-19-dashboard/?flg=de). La stagnation autour de 100 à 150 cas de malades hospitalisés (en soins intensifs) par jour – après le pic du mois d’avril – y est parfaitement visible. Le nombre de cas confirmés progresse de manière significative depuis juillet alors que le nombre des décès n’augmente pas dans la même proportion. Cela signifie que le taux d’infection reste élevé ou qu’il augmente à nouveau actuellement, mais que la mortalité diminue. Ce constat ne doit pas ouvrir la voie à une minimali­sation de la situation. Il semblerait que les personnes jeunes soient actuellement les plus touchées. Ces personnes présentent, on le sait, un taux de morbidité et de mortalité moins élevé. Nous ignorons encore comment la maladie va évoluer pour les générations plus âgées.

Qu’en est-il du système de santé suisse?

On a tout à fait le droit de critiquer le système suisse de santé: préparation à une pandémie, gestion de la situation au sein d’un système fédéral, responsabilité de l’impact des décisions et transfert des connaissances, pour ne citer que quelques points. Néanmoins, hormis les quelques exceptions connues, le système de santé suisse n’a jamais atteint ses limites. Certes, selon la prise de ­position de la Société suisse de médecine intensive du 10 avril 2020, 98% des lits certifiés unités de soins intensifs pour adultes étaient occupés en Suisse par des patientes et des patients en situation critique, atteints ou non du Covid-19 (l’occupation des lits d’une unité de soins intensifs s’élève en moyenne annuelle à 75%). A cette période, des lits non certifiés supplémentaires pour le traitement des patients atteints du Covid-19 étaient disponibles dans les hôpitaux de soins aigus et les ­cliniques de réadaptation sur demande des cantons. D’après ce qu’on sait sur la pandémie (comparaison ville/campagne en Chine, différents systèmes de santé en Europe / dans le monde), le bon fonctionnement du système a un impact sur la mortalité. En Suisse, dans l’ensemble, cela s’est plutôt bien passé. Nous devons le reconnaître et non l’exprimer sous la forme d’un doute par rapport au danger que représente le Covid-19.

La vie continue

De nombreux résidents en Suisse ont eu probablement peu de, voire aucun, contact avec des patients présentant une forme grave ou critique de la maladie. Ils n’ont vécu que les restrictions liées aux mesures politiques et en ressentiront probablement les conséquences financières. On peut comprendre que cela puisse engendrer une certaine colère et une mauvaise évaluation de la situation. Les médecins ne sont d’ailleurs pas épargnés.
A ce jour, la clinique Barmelweid a soigné près de 90 patients présentant une forme grave ou critique de la maladie (âge moyen de 66 ans et 71% d’hommes). Nous avons traité des patients plus âgés présentant de nombreuses comorbidités et une forme relativement plus douce de la maladie, et des patients plus jeunes présentant une forme plus sévère et nécessitant une plus longue hospitalisation (âge 22 à 90 ans, durée moyenne de séjour en clinique de réadaptation 22 jours, max. 48 jours). Les premiers contrôles de suivi effectués 3 mois après la phase aiguë de la maladie indiquent qu’il faudra attendre probablement 3 à 6 mois, voire jusqu’à 12 mois, pour viser la restitutio ad integrum de toutes les fonctions de l’organisme. Les séquelles à long terme du Covid-10 demeurent inconnues. Ces chiffres sont sans ambiguïté. Je n’ai aucun doute quant au risque pour l’individu et pour la société.
En conclusion, il me paraît important de ne pas garder uniquement à l’esprit les nombres de cas positifs ou de décès, mais de mettre différents chiffres en perspective. C’est le seul moyen pour les scientifiques d’assumer un rôle de conseiller en vue de décisions politiques. C’est d’autant plus important dans le contexte actuel de médiatisation: les médias se sont emparés de la pandémie dans des proportions inégalées à ce jour et inondent tous les canaux possibles et imaginables. Ces informations sont rarement basées sur une pratique fondée sur les preuves et reposent plutôt sur un manque de connaissance. Les fake news côtoient des faits avérés: les distinguer n’est pas chose facile, même pour le lecteur avisé. Nous, médecins, devons donc être prudents et vigilants, participer à l’élaboration des décisions politiques et soutenir les mesures mises en place.
thomas.sigrist[at]barmelweid.ch.