Le poids des primes dans le budget des ménages – les chiffres de l’OFS

Que dépensons-nous pour les primes d’assurance maladie?

FMH
Édition
2020/36
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19176
Bull Med Suisses. 2020;101(36):1057-1060

Affiliations
a Dre phil., collaboratrice scientifique du président; b Dr méd., président de la FMH

Publié le 01.09.2020

En cette année de pandémie, la nécessité d’avoir un système de santé de qualité ­accessible à tous se vérifie chaque jour. Mais le montant des primes de l’assurance obligatoire des soins, qui financent une partie de ce système de santé, n’en est pas moins une question essentielle pour les ménages en Suisse. Sur la base des derniers chiffres de l’enquête de l’OFS sur le budget des ménages, nous montrons la place prise par les primes.
On peut être certain qu’au moins une fois par an – au moment d’annoncer leur évolution –, les primes de l’assurance obligatoire des soins (AOS) seront au cœur de l’attention des médias. Si la discussion est souvent ponctuée de déclarations suscitant l’inquiétude, voire l’alarmisme, certaines d’entre elles, émanant de partis politiques, des autorités et d’autres acteurs, s’avèrent difficilement crédibles lorsqu’elles sont examinées à la lumière des données disponibles [1]. Malheureusement, les chiffres structurés, qui permettraient une analyse objective de ce que les ménages suisses paient en primes, sont rares et peu clairs. Afin de contribuer à la discussion sur la charge que ces primes ­représentent, nous avons étudié les chiffres de la dernière enquête sur le budget des ménages de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Que montrent les données de l’enquête sur le budget des ménages?

Les données actuelles de l’enquête sur le budget des ménages (EBM) concernent la période d’observation de 2015 à 2017. Elles incluent tous les revenus et toutes les dépenses des ménages, présentés selon différents regroupements comme le type de ménage et les catégories de revenu. L’enquête distingue le revenu brut du ménage et le revenu disponible. Le premier englobe les salaires, les revenus de la fortune et de la location, les rentes, les transferts sociaux et les transferts monétaires reçus d’autres ménages, tandis que le second représente la somme qui reste aux ménages après déduction des ­dépenses obligatoires (impôts, assurances sociales et primes de l’assurance obligatoire) et après les transferts monétaires versés à d’autres ménages. Soulignons que le montant de l’épargne, qui indique ce que les ménages mettent de côté, peut également être négatif lorsque des économies sont utilisées pour le quotidien.
En présentant le montant des primes de l’AOS en pourcentage du revenu brut, le chiffre obtenu dépend du montant des primes mais aussi du montant des revenus. Lorsque les primes sont indiquées en pourcentage du revenu disponible, il faut aussi considérer dans quelle mesure le montant des autres dépenses obligatoires a déjà diminué ce revenu1. Or, ces deux pourcentages ne tiennent pas compte du fait que pour certains ménages, et les seniors en particulier, le quotidien est financé aussi en puisant dans les économies, et que ces ménages disposent donc de plus d’argent que les revenus mentionnés par l’EBM. La part de revenu attribuée aux primes est ainsi surévaluée.

La majorité des ménages dépense entre 5,9 et 8,8% du revenu brut pour les primes de l’AOS

Les données de l’OFS montrent qu’entre 2015 et 2017, le ménage moyen suisse se compose de 2,2 personnes, avec un revenu brut de 9951 francs, dont 27,6% sont attribués aux transferts obligatoires, soit 11,7% pour les impôts, 9,7% pour les assurances sociales et 6,2% pour les primes de l’AOS.
La part de budget attribuée aux primes varie considérablement d’un groupe de revenus à l’autre (tabl. 1). La majorité des ménages (60%) ne se situe pas dans le groupe de revenus le plus élevé ni dans celui le plus faible et consacre entre 5,9% et 8,8% du revenu brut aux primes de l’AOS, soit entre 7,7% et 10,9% du revenu disponible.
Parmi le cinquième des ménages au revenu le plus faible, 1,3 personne en moyenne dispose d’un ­revenu brut de 3389 francs. Ces ménages, composés majoritairement de retraités (58,3%), doivent affecter 14,1% de leur revenu brut, soit 16,5% de leur revenu disponible, aux primes. Ces chiffres ne tiennent pas compte de l’épargne négative (voir plus haut), qui s’élève pour eux à 706 francs. Inversement, les ménages aux revenus les plus élevés sont composés en moyenne de trois personnes et ne dépensent que 3,9% de leur revenu brut, soit 5,3% du revenu disponible, pour les primes de l’AOS. De la même manière, les ménages financièrement les plus faibles consacrent une part plus importante de leur revenu brut aux assurances complémentaires (2,2%) et à d’autres dépenses de santé (5,3%; p. ex. médicaments ou lunettes de vue) que les autres groupes de revenus.
Alors que la charge des primes de l’AOS est très différente d’un groupe à l’autre, l’ordre de grandeur de l’ensemble des contributions obligatoires reste toujours le même: dans tous les groupes, la part attribuée aux impôts, assurances sociales et primes de l’AOS oscille entre 25,9% et 29,0% du revenu brut (tabl. 1).
Tableau 1: Revenus des ménages et dépenses de transfert obligatoires selon la classe de revenu (source: enquête sur le budget des ménages, 2015–2017, T20.02.01.00.12, Office fédéral de la statistique).
Ménages par classe de revenuEns. des ménages1er quintile2e quintile3e quintile4e quintile5e quintile
Nbre de personnes par ménage2,21,31,72,22,63,0
Revenu brut:
en CHF
 <49144914–72647265–99909991–13 621>13 622
Revenu brut:
moyenne en CHF
995133896119857311 63720 023
Dépenses transfert oblig.a(CHF)27,6%
(2749)
27,6%
(937)25,9%
(1587)26,4%
(2260)27,1%
(3151)29,0%
(5805)
 Impôtsa
(CHF)
11,7%
(1166)10,5%
(358)10,2%
(625)10,1%
(868)10,5%
(1217)13,8%
(2757)
 Assurances socialesa
(CHF)
9,7%
(963)3,0% 
(102)7,0%
(426)9,0%
(772)10,7%
(1244)11,3%
(2268)
 Primes de l’AOSa
(assurance obligatoire)
6,2%(620)14,1%(477)8,8%(536)7,2%(619)5,9%(690)3,9%(779)
Primes en % du
revenu disponible
8,1%16,5%10,9%9,1%7,7%5,3%
Épargne14,7%(1460)–20,8%(–706)3,6%(223)11,2%(962)16,8%(1958)24,3%(4859)
aIndications en % du revenu brut du ménage et montant absolu en francs

Proportionnellement, le groupe le plus important dépense le moins pour les primes, et les seniors le plus

Parmi les différents types de ménage (fig. 1), le pourcentage le plus faible attribué aux dépenses pour les primes de l’AOS revient au groupe le plus important (41,4%), à savoir celui des personnes seules et des couples de moins de 65 ans, qui dépensent respectivement 4,7% et 4,9% en moyenne de leur revenu brut, soit 6,4% et 6,5% de leur revenu disponible, pour les primes.
Figure 1: Dépenses pour les primes de l’AOS en % du revenu brut du ménage (couleur foncée) et en % du revenu disponible (couleur claire) selon le type de ménage et la classe de revenu (enquête sur le budget des ménages, 2015–2017, Office fédéral de la statistique)a, b
a Une ventilation par quintile n’était malheureusement pas disponible pour les familles monoparentales.
b Les indications reposent sur le revenu établi par l’OFS, sans tenir compte du fait que la vie quotidienne se finance 
(en partie) par les économies. Il est donc possible que les fonds disponibles soient sous-évalués et la part attribuée aux 
primes surévaluée.
Inversement, les ménages de seniors concentrent les pourcentages les plus élevés. C’est particulièrement visible chez les seniors à faible revenu, qui représentent 5,2% de tous les ménages: d’après l’OFS, les personnes seules et les couples de plus de 65 ans, qui constituent le quintile financièrement le plus faible, disposent d’un revenu brut moyen respectif de 2298 et 3983 francs, même si le montant négatif de leur épargne (804 et 1095 francs) laisse supposer que le recours aux économies joue un rôle important dans le quotidien de ces ménages. Pour ce groupe, en considérant exclusivement le revenu brut, on remarque que les primes de l’AOS représentent pour les premières 17,4% et pour les seconds 19,2% de ce revenu. Mais chez les seniors aussi, les variations sont importantes. Le quintile le plus riche des personnes seules ne dépense que 4,5% du revenu brut contre 5,3% pour les couples de plus de 65 ans.
D’après l’enquête sur le budget des ménages, les couples avec enfants représentent 24,4% des ménages en Suisse et dépensent en moyenne 6,1% de leur revenu brut, soit 7,9% de leur revenu disponible, pour les primes de l’AOS. Si, indépendamment du nombre d’enfants, ces couples indiquent à peu près toujours devoir attribuer 22% de leur revenu brut aux impôts et aux ­assurances sociales, c’est la charge des primes de l’AOS qui augmente avec le nombre d’enfants, soit en moyenne, selon l’OFS, 5,6% du revenu brut et 7,3% du revenu disponible pour un couple avec un enfant, et respectivement 6,7% et 8,6% pour les couples avec trois enfants et plus (tabl. 2).
Tableau 2: Revenu du ménage et dépenses de transfert obligatoires des couples avec enfants (source: ­enquête sur le ­budget des ménages, 2015–2017, T20.02.01.00.43, Office fédéral de la statistique)
Couples avec enfants selon le nbre ­d’enfantsCouples avec 
enfantsCouples avec 
1 enfantCouples avec 
2 enfantsCouples avec >2 enfants
Nbre de personnes par ménage3,93,04,05,22
Part de ménages24,4%8,5%11,7%4,1%
Revenu brut:
(moyenne en CHF)
13 67713 31413 67014 448
Dépenses transfert oblig.a(CHF)27,6%
(3781)27,2%
(3620)27,7%(3791)28,3%(4086)
 Impôtsa
(CHF)
9,9%
(1360)10,1%
(1339)9,9%
(1356)9,8%
(1416)
 Assurances socialesa
(CHF)
11,6%
(1586)11,5% 
(1534)11,6%
(1583)11,8%
(1701)
 Primes de l’AOSa
(assurance obligatoire)
6,1%
(835)5,6%(747)6,2%(852)6,7%(969)
Primes en % du
revenu disponible
7,9%7,3%8,0%8,6%
Épargne17,7%
(2418)19,3%
(2570)16,7%(2279)17,3%(2497)
a Indications en % du revenu brut du ménage et montant absolu en francs

Conclusion: une large palette de variations et un double défi démographique

Le montant des primes de l’AOS revêt une importance très différente pour les ménages en Suisse. La majorité de la population, surtout les personnes seules et les couples de plus de 65 ans mais aussi beaucoup de familles, dépense moins de 10% du revenu disponible pour les primes de l’AOS. Les ménages appartenant au cinquième de la population avec le revenu le plus faible (dont un nombre important de seniors) doivent attribuer une part conséquente de leur revenu aux primes. En revanche, il est difficile de déterminer précisément, sur la base de l’enquête de l’OFS, quel est le poids des primes de l’AOS dans les ménages de seniors: comme l’enquête ne se penche pas sur les économies et leur rôle dans le budget des ménages, les revenus sont sous-évalués et la charge des primes surévaluée.
De la même manière, le fait que les familles dépensent un pourcentage plus faible de leur revenu pour les primes de l’AOS doit être interprété avec prudence: dans une famille suisse, 3,9 personnes en moyenne vivent sur le revenu d’un ménage. Les dépenses sont donc nettement supérieures à celles d’une personne seule ou d’un couple. Cela vaut particulièrement pour les familles nombreuses affectées par des dépenses courantes plus importantes, en plus des prélèvements obligatoires plus élevés.
La charge importante des primes de l’AOS qui pèse sur les ménages aux revenus faibles montre que les questions de politique sociale doivent prendre ici le pas sur la discussion des coûts en politique de la santé. Un système de santé efficace pouvant être financé durablement reste un objectif incontesté. Il n’en reste pas moins que la maîtrise des coûts voulue en politique de la santé ne permettra pas d’alléger de manière tangible la charge des ménages ayant un revenu brut de 3389 francs. Il faudrait bien plus pour les aider, notamment des réductions de prime. Par ailleurs, le fait que des ménages de seniors doivent attribuer une part plus importante de leur revenu aux primes constitue un double défi démographique: les seniors ont besoin de plus de soins de santé, mais ils ont aussi des revenus plus faibles, et ils sont de plus en plus nombreux. À ce titre, une prévoyance vieillesse viable et durable revêt aussi de l’importance pour la viabilité financière du système de santé.
L’analyse différenciée de la charge des primes dans le budget des ménages met en évidence le manque de pertinence dans la situation actuelle du budget global, dont il est maintenant question sous couvert de plafond contraignant ou de valeur cible. Une mesure de ce genre limiterait les soins de santé de tous les ménages, alors que la majeure partie les apprécie et est en mesure de les financer. En parallèle, les ménages à faible revenu ne seraient pas soulagés et seraient les premières victimes d’un accès aux soins moins favorable. Et on ne peut pas s’attendre à des gains d’efficacité avec une économie planifiée. En revanche, le financement uniforme des prestations ambulatoires et hospitalières serait prometteur et adapté à la situation: il libérerait un grand potentiel d’efficacité tout en allégeant la charge pesant sur les payeurs de primes – ce qui profiterait surtout aux ménages les moins nantis, compte tenu du fait que les primes de l’AOS sont des primes par tête qui ne tiennent pas compte de la situation économique.
Dre phil. Nora Wille
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