La vulnérabilité humaine

Zu guter Letzt
Édition
2020/3132
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19050
Bull Med Suisses. 2020;101(3132):960

Affiliations
Journaliste indépendant

Publié le 28.07.2020

La première fois que j’ai entendu le terme de «patients vulnérables», j’ai été un peu déconcerté: Tous les patients ne sont-ils pas vulnérables justement parce qu’ils sont atteints dans leur santé? La journée d’éthique à l’Hôpital universitaire de Zurich en février dernier m’a permis d’approfondir la question. Cette journée de réflexion, consacrée à la situation des patients vulnérables dans les hôpitaux de soins aigus, m’a fait réaliser que le terme vulnérable ne s’appliquait pas de la même façon à tous les patients. La vulnérabilité se définit de beaucoup de différentes manières, mais en substance, elle implique que contrairement aux patients dits «robustes» atteints d’une maladie spécifique, les patientes et patients vulnérables sont plus fragiles ou désavantagés notamment en raison de leurs connaissances linguistiques, leur formation, leur santé psychique, leur handicap ou leur précarité économique.
Prendre en compte la vulnérabilité des patients signifie respecter leur diversité et leurs besoins spécifiques. C’est l’exigence que s’est fixée un certain nombre d’hôpitaux suisses regroupés dans le réseau «Swiss Hospitals for Equity» dans le but d’offrir à tous les patients des soins de grande qualité. Ce qui peut paraître évident au premier abord représente de facto un réel défi, notamment en matière de communication avec des migrants qui nécessite parfois l’intervention d’un interprète. Le réseau s’est inspiré d’un projet européen pour des hôpitaux adaptés aux besoins des migrants. En rajoutant le terme equity (équité), le projet suisse met l’accent sur le fait que tous les patients, et pas seulement les migrants, peuvent se retrouver en situation de vulnérabilité. Les patients économiquement défavorisés renoncent souvent à consulter par peur des coûts. Des études montrent ­également que certaines maladies considérées à tort comme typiquement masculines ou féminines ne sont pas toujours correctement diagnostiquées chez l’autre sexe (les dépressions chez les hommes, les crises cardiaques chez les femmes p. ex.).
Pour pouvoir apprécier la vulnérabilité des êtres ­humains, il faut d’abord savoir la reconnaître, ce qui nécessite du tact et certaines connaissances. Des outils d’évaluation de la vulnérabilité peuvent également être utiles, notamment les approches telles que l’anam­nèse sociale et l’évaluation de la santé psychique.
Une fois la vulnérabilité reconnue, il importe de pro­poser des offres de soutien appropriées et d’impliquer dans la prise en charge le service social, l’équipe de soutien d’urgence (care team) ou de l’aumônerie de l’hôpital. Ce principe s’applique également aux médecins en pratique privée et à leur réseau. Prendre en compte la vulnérabilité des patients demande certes plus de temps, mais constitue une marque de respect de la dignité humaine qui aura un impact positif sur le traitement. Quand une patiente ou un patient vulnérable se sent pris au sérieux et soutenu, elle ou il collabore mieux à la recherche des causes de sa maladie et adhère mieux au traitement.
La question de la vulnérabilité trouve de plus en plus d’écho en médecine. Certains hôpitaux ont par exemple mis sur pied un service de consultations pour les personnes malentendantes, édité des guides de bonne pratique sur l’hospitalisation de personnes handi­capées ou lancé des projets pour un hôpital adapté aux personnes atteintes de démence.
Concevoir la situation des patientes et des patients dans son ensemble et respecter leur vulnérabilité est à la base de la pratique de la médecine au quotidien. Il s’agit d’une «médecine personnalisée» qui va bien ­au-delà des tests génétiques et qui rend notre système de santé véritablement humain.
adrianritter[at]gmx.ch