La numérisation, grande gagnante de la crise. Et le DEP?

FMH
Édition
2020/2526
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19021
Bull Med Suisses. 2020;101(2526):783

Affiliations
Dre méd., membre du Comité central de la FMH, responsable du département Numérisation / eHealth

Publié le 17.06.2020

En avril dernier, la NZZ déclarait le secteur numérique «grand gagnant de la crise du corona» [1]. A n’en pas douter, la situation actuelle met en évidence le potentiel des outils numériques. En bien des endroits, les systèmes de vidéoconsultation ont constitué une aide ­précieuse pour continuer d’assurer la prise en charge médicale, alors que la Confédération promeut l’application de traçage SwissCovid1, mise au point par l’EPFL. Grâce à elle, la Suisse a pu très vite se positionner en tête des pays européens.
Inutile en revanche, depuis le début de la pandémie, de chercher une quelconque mention dans la presse du plus grand projet de numérisation en cours dans le ­domaine de la santé, à savoir le dossier électronique du patient (DEP). Outre la focalisation actuelle sur le ­COVID-19, cela tient également au fait que contrairement à ce qui était prévu à l’origine, l’implémentation du dossier électronique aura lieu non pas ce printemps mais à la fin de cette année. Ce retard a du reste été causé moins par la pandémie que par la certification des communautés (de référence). Ce sont elles qui vont proposer le DEP, et elles doivent donc recevoir l’aval d’un organe de certification privé attestant leur conformité avec la loi fédérale sur le dossier électronique du patient (LDEP). Et ce processus de certification est plus complexe qu’estimé à l’origine.
Même en admettant que le processus de certification soit bouclé d’ici la fin de l’année, le DEP sera encore loin d’être mis en œuvre partout – le projet est bien trop complexe. Les grands projets du domaine de la santé font face aux mêmes difficultés que ceux d’autres secteurs d’activité et ont les mêmes chances de ne pas aboutir2. Il y a toutefois plusieurs points essentiels sur lesquels la santé fait exception: le déploiement de projets TIC dans ce secteur exige des standards d’interopérabilité et une terminologie clairement définis, ainsi que le respect d’une série d’exigences légales. De plus, les systèmes doivent être suffisamment modulables pour pouvoir être utilisés par une diversité d’organisations, du cabinet individuel aux grands réseaux de soins intégrés. Dans l’idéal, ils améliorent les processus de travail, réduisent les coûts et améliorent la qualité des prestations sans entraver les modes de communication et de collaboration éprouvés.
A la base de la réussite de tout grand projet national tel que le dossier électronique du patient, on trouve in­variablement une synergie positive entre des facteurs d’ordre organisationnel, comportemental, cognitif et social [2]. Il faut déterminer à un stade précoce qui va fixer les critères de «réussite» et à quel stade on va vérifier si ces critères sont remplis. La réussite se mesure dans plusieurs dimensions, dont l’amélioration de la qualité des informations et du système, la généralisation dudit système et les répercussions aux niveaux ­individuel et organisationnel [3]. Dans le cas du DEP, il apparaît clairement que dans la phase actuelle, la réussite se mesure essentiellement à l’aune de la mise en œuvre technique et du nombre des communautés de référence certifiées.
Au niveau individuel, les questions que les médecins se posent en lien avec le DEP et son utilisation sont tout à fait différentes. Comment se présente concrètement l’accès aux dossiers avec une identification à deux facteurs dans un cabinet médical ou dans un hôpital, lors d’un changement de lit, de pièce ou de patient? Comment parcourir rapidement un dossier électronique pour trouver les informations pertinentes? Début juin, le groupe de travail de la FMH dédié au DEP, constitué de délégués des sociétés cantonales de médecine et de praticiens ­disposant de contacts étroits avec les communautés (de référence), s’est réuni une première fois autour de ces questions. Ce groupe de travail a pour tâche de coor­donner les activités des médecins du canton relatives au DEP ainsi que d’élaborer des prises de position et des pro­positions communes pour résoudre les difficultés se posan­t en lien avec son introduction. Une fois de plus, on constate que le numérique ne pourra s’imposer qu’avec l’aide et l’expérience des professionnels concernés. Et dans ce cas précis, ce sont les médecins.
1 Simanowski R. Die Corona-Krise pflügt unsere Gesellschaft um – und wenn es einen Gewinner gibt, dann ist es die digitale Welt. Neue Zürcher Zeitung [Internet]. 2020 Apr 20; Available from: https://www.nzz.ch/meinung/es-gibt-einen-sieger-in-der-corona-krise-die-digitale-welt-ld.1551064
2 Kaplan B, Harris-Salamone KD. Health IT Success and Failure: Recom­mendations from Literature and an AMIA Workshop. J Am Med Informatics Assoc. 2009.
3 Zozus MN, Penning M, Hammond WE. Factors impacting physician use of information charted by others. JAMIA Open. 2019.