ProRaris, qui défend les personnes atteintes de maladies rares, fête ses 10 ans

La reconnaissance, et après?

Tribüne
Édition
2020/2930
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.18920
Bull Med Suisses. 2020;101(2930):909-910

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Publié le 14.07.2020

ProRaris, l’association faîtière qui défend les personnes atteintes de maladies rares en Suisse, a été fondée il y a dix ans. Si cette décennie a permis de mettre ses revendications à l’agenda, celles-ci peinent à se concrétiser. Sa présidente, Anne-Françoise Auberson, évoque un «bilan mitigé».
ProRaris a soufflé ses dix bougies le 29 février dernier à Genève, lors de la 10e Journée internationale des maladies rares en Suisse. Avez-vous pu célébrer l’événement malgré la crise liée au coronavirus?
Oui, nous avons heureusement pu fêter cet anniversaire presque comme prévu, en prenant certaines mesures de pré­caution et avec un public restreint. C’était une journée quelque part symbolique et donc importante pour nous. Elle a donné lieu à des échanges intéressants et, je l’espère, fructueux pour la suite.
Qu’a-t-il été dit lors de cette journée?
Spécialistes et associations membres de ProRaris ont évoqué les avancées dans le domaine du diagnostic, telles que l’ouverture l’année passée du Centre de génomique médicale des Hôpitaux universitaires de Genève pour des diagnostics plus rapides et précis, le développement des thérapies, les ressources à disposition des patients et de leurs proches, comme UniRares, une association dédiée aux malades isolés. Il a aussi été question des défis actuels, liés notamment à la politique de la santé. Car ils sont encore nombreux.
Quel bilan tirez-vous de ces dix années?
Nous avons parcouru un chemin énorme depuis 2010, c’est indéniable. Réunir nos forces a permis de nous faire connaître et reconnaître par les autorités, le corps médical et la population. Nous sommes parvenus à inscrire notre cause à l’ordre du jour public et à faire valoir nos revendications. Cela se traduit par exemple par le Concept national maladies rares décrété par le Conseil fédéral en 2014 et validé en 2015 par un plan de mise en œuvre dans lequel ProRaris est impliqué comme partenaire clé. Ce plan doit se terminer en 2021. La concrétisation effective de toute une série d’objectifs reste toutefois laborieuse. Nous sommes certes reconnus, mais au final peu soutenus.
Qu’est- ce que le Concept national maladies rares?
Il s’agit d’une stratégie visant à améliorer la situation des malades par la mise en œuvre de 19 mesures. Y figurent notamment l’accès au diagnostic et aux thérapies et à leur remboursement, le soutien socioprofessionnel et administratif des patients, la contribution de la Suisse à la recherche internationale et les efforts en documentation clinique et formation. Certaines acti­ons ont déjà été menées à bien, comme la mise en place de «helplines» spécialisées dans plusieurs régions et l’inclusion du thème des maladies rares dans les études de médecine. Les travaux en vue d’ouvrir un registre national de toutes les maladies rares, indispensable pour améliorer le diagnostic et les thérapies, avancent petit à petit. Nous planchons aussi sur les critères de reconnaissance et de validation des centres de référence et des centres pour maladies rares, en collaboration avec et sous l’égide de la kosek qui est l’organe de coordination nationale chargé de la mise en place des mesures. Il a été fondé par l’association Médecine Universitaire Suisse unimedsuisse, ProRaris, les cantons, l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM), l’Alliance Suisse des Hôpitaux pour enfants (AllKidS) et un groupe d’hôpitaux et cliniques non universitaires. Je dresse toutefois un bilan mitigé. Par rapport aux efforts fournis, le résultat reste modeste.
Membre fondatrice de ProRaris, ­Anne-Françoise Auberson en est la présidente depuis près de neuf ans. © ProRaris
Pourquoi cela?
Si nous avons fait tout ce chemin en dix ans, c’est avant tout grâce aux patients. De par leur vécu et leur expérience en tant que personne malade, ils ont apporté leur expertise qui contribue à améliorer les connaissances dans le domaine des maladies rares et, partant, de la réponse que l’on peut y donner. Sans autodétermination, il est très difficile de se faire traiter en Suisse lorsqu’on souffre d’une telle pathologie. Beaucoup de petites associations de patients sont à bout de souffle, elles ne parviennent plus à faire face seules et risquent de disparaître faute de soutien extérieur, politique notamment, et de finance­ment. C’est le revers de la médaille de l’expertise du patient. Celui-ci est totalement livré à lui-même.
Le plus grand défi est donc celui du soutien financier?
Oui. Ni la prise en charge des personnes malades ni la recherche ne bénéficient d’un financement garanti. En fait, il manque les bases légales nécessaires. Nous fonctionnons en quelque sorte à contre-courant: nous n’avons pas de budget, nous le cherchons. Nous devons donc nous battre pour obtenir un soutien finan­cier. L’aide pour la mise en œuvre du Concept national devrait venir de la politique, mais nous n’en voyons pas tant la couleur. Quant à la recherche de financement à proprement parler de l’activité de ProRaris, elle est aussi très ardue.
Et le secteur privé, la pharma notamment, ne ­s’intéresse pas non plus à votre cause, s’agissant de maladies «rares»…
C’est un peu l’histoire du serpent qui se mord la queue. Il existe un nombre énorme de maladies rares qui concer­nent tout de même 6 à 8% de la population mondiale, mais certaines pathologies ne comptent qu’une dizaine de patients dans le monde. Ce n’est de toute évidence pas lucratif pour l’industrie pharmaceutique. On constate toutefois un regain d’intérêt de la recherche internationale pour les maladies rares. Reste que les médicaments développés coûtent extrêmement chers, une charge impossible à assumer pour les patients. Et les assurances ne veulent pas rembourser des thérapies hors de prix.
Qu’en est-il de la collaboration avec l’étranger?
Les spécialistes en Suisse entretiennent des contacts avec leurs homologues à l’étranger. Il existe certes des réseaux de référence européens, mais la Suisse n’y participe pas. Beaucoup de patients prennent eux-mêmes l’initiative de contacter des associations à l’étranger pour être répertoriés et éventuellement participer à une étude internationale – et espérer un diagnostic. Mais ce n’est de loin pas systématique et, encore une fois, la démarche part du patient. D’où l’importance d’un registre national de toutes les ­maladies rares: en répertoriant systématiquement chaque patient, on peut beaucoup plus facilement l’intégrer à une étude. Mais, là aussi, le financement de cet outil pose problème.
En fait, le combat que vous menez est frustrant.
Oui, extrêmement. Je suis inquiète pour la suite, car rien n’est réglé sur le plan financier. Nous sommes certes parfaitement reconnus et formons un partenaire clé pour le Concept national, mais après? Qu’est-ce qui va réellement changer? Un nombre impressionnant de personnes n’ont pas de diagnostic. Pour y remédier, il faut des moyens.
Quelles possibles solutions entrevoyez-vous?
Une vaste campagne publique d’information, chapeautée par l’Office fédéral de la santé publique, me semble primordiale. Il faudrait en lancer une maintenant: avec la pandémie de coronavirus, l’accès aux soins est devenu difficile pour tout le monde. Personnellement, j’aimerais organiser un grand débat éthique et soulever des questions qui dérangent comme le prix exorbitant des médicaments, l’inégalité de traitement entre caisses maladie et cantons. Histoire de réveiller les consciences. De manière plus pragmatique, je pense que la collaboration est indispensable: les efforts pour améliorer la prise en charge, le diagnostic et les thérapies doivent être coordonnés et mutualisés. On ne peut pas se permettre que chaque acteur travaille dans son coin.
Que souhaitez-vous, en tant présidente, pour ProRaris et les personnes atteintes de maladies rares?
Je souhaite qu’au moins chaque patient atteint d’une maladie rare soit pris en charge, qu’il ne doive plus errer de médecin en médecin pour entendre: «Votre diag­nostic est qu’il n’y a pas de diagnostic.» Il nous faut atteindre et sensibiliser les médecins de premier recours, car l’information est le maître mot pour par­venir à améliorer les conditions de vie des patients.

A propos de l’alliance ProRaris

ProRaris a été fondée en 2010 aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) par plusieurs associations de patients atteints de maladies rares afin d’unir les forces au niveau national. L’organisation faîtière se bat notamment pour l’information des personnes concernées en Suisse, l’amélioration du diagnostic, l’accès égal aux soins et une prise en charge adéquate. Elle milite pour la recherche dans ce domaine et des traitements suffisants. Une maladie rare se définit comme une affection qui touche moins d’une personne sur 2000. On dénombre à ce jour plus de 7000 maladies rares. Elles toucheraient 7,2% de la population en Suisse, soit quelque 600 000 personnes. Il n’existe très souvent aucun traitement spécifique. Plus d’infos: www.proraris.ch
julia.rippstein[at]emh.ch