Mouvements sociétaux pro-climat et protection des «communs»

L’humain face à une révolution ­copernicienne

Horizonte
Édition
2020/2728
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.18848
Bull Med Suisses. 2020;101(2728):871

Affiliations
Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 30.06.2020

Judith Rochfeld
Justice pour le climat! 
Les nouvelles formes de mobilisation ­citoyenne
Paris: Odile Jacob; 2019
Professeure de droit à la Sorbonne, à Paris, Judith Rochfeld publie un livre très bien renseigné et passionnant sur les dimensions juridiques de la problé­matique du climat et de la biodiversité. L’auteure en souligne bien l’enjeu: «L’humain souhaiterait pouvoir continuer à vivre comme avant. A la place il affronte une véritable révolution copernicienne: il redécouvre qu’il ­dépend d’entités naturelles autres, qu’il doit composer avec un monde qui évolue à l’inverse de la vision anthropocène.» L’ouvrage présente les démarches judiciaires lancées, d’abord contre des corporations pollueuses et pathogènes – notamment multinationales, plus récemment à l’endroit de gouvernements qui ne prennent pas de mesures suffisantes contre le dérèglement climatique. Certaines ont connu le succès, à l’image de la cause Urgenda aux Pays-Bas (pour la Suisse sont mentionnées les «Aînées pour la protection du climat»).
L’auteure se penche attentivement sur la notion de biens communs, ou simplement les «communs», ces dimensions de la biosphère qui devraient rester librement, équitablement et gratuitement accessibles à tous: air, eau, nature, etc. Ces choses qui en principe n’appartiennent à personne et dont nous avons tous besoin. Or on connaît les menaces de commercialisation privée que des évolutions actuelles font peser sur l’accès à l’eau. Il importe de vivement conscientiser ­société et autorités, d’inventer et formaliser des concepts et règles, voire des institutions, pour protéger les communs.
Judith Rochfeld avertit de la menace planant sur ces biens: «Nous vivons la fin des ‘choses’, au moins de celles qui ne peuvent plus être des marchandises avec ce statut uniforme pensé comme soutien du capitalisme.» Sont rappelées les récentes inscriptions constitutionnelles dans plusieurs pays instituant des droits pour des entités naturelles, qui en font un nouveau type de «personnes» au sens de la loi: «Il s’agit de remettre en question cette grande dichotomie fondatrice sur laquelle nous sommes construits, celle de la Nature et/contre les humains.» Et de passer de l’anthropocentrisme au biocentrisme, à savoir donner la priorité à la vie de l’ensemble de l’écosystème.
Aujourd’hui on s’intéresse à la collectivité, mais comme à une «bande de ‘moi’»: un ensemble de personnes très individualistes, sans réaliser que la satisfaction de tous les besoins individuels est au détriment du bien commun. Importance d’une vision planétaire d’une part, et qui considère ceux qui nous suivent d’autre part.
L’ouvrage de Judith Rochfeld contient une substantielle liste, commentée, de procès climatiques. Est abordé le rôle des juges, mis en évidence récemment: «Les procès climatiques déclenchent la conscientisation des populations et des gouvernements; ils rencontrent parfois la compréhension et la volonté de juges décidés à prendre au sérieux l’urgence de la situation et d’y apporter des réponses en termes de contraintes et d’exigences; juges conscients, cependant, de souvent déborder des rives du cadre classique de la séparation des pouvoirs.» En Suisse, on pense au verdict du 13 janvier dernier du Tribunal de police de Lausanne, acquittant les jeunes militants ayant occupé une succursale d’une grande banque.
En conclusion, il y a lieu de reconsidérer la notion et le statut de ce que, de longue date, nous appelons choses et cesser de permettre que la faune, la flore, la nature – et le climat – soient livrés sans réflexion ni discernement à l’exploitation voire à l’anéantissement par l’humain. L’auteure se dit à cet égard favorable aux idées d’instituer une troisième Chambre des parlements: «Chambre du futur» ou «Assemblée du long terme».
jean.martin[at]saez.ch