Mentorat clinique pour les expertes et les experts en soins

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Édition
2020/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.18599
Bull Med Suisses. 2020;101(07):204-206

Affiliations
a Prof. Dr phil., MScN, membre du Comité de direction de l’ASSM; b MScN, Careum Haute Ecole de la Santé, membre de la Haute École Spécialisée Kalaidos; c Dr méd. et phil., Institut für Hausarztmedizin und Community Care, Luzern; d Dr méd. et PhD (cand.), Institut für Hausarztmedizin und Community Care, Luzern

Publié le 11.02.2020

Il y a quelques années à peine, le profil professionnel «Nurse Practitioner» est apparu dans le système de santé suisse. Développé aux États-Unis et au Canada, ce concept a été opérationnalisé et a fait l’objet de recherches depuis plus de 50 ans. En Suisse, la profession d’experte et d’expert clinique en soins infirmiers MSc reste toutefois une terre inconnue. Une étude de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) s’interroge sur la manière dont le mentorat clinique peut encourager cette expertise avancée dans notre pays.
Comme en témoigne la longue expérience internationale, l’expertise clinique en soins infirmiers MSc avec le profil de Nurse Practitioner (NP) contribue largement à une prise en charge médicale plus accessible, de haute qualité et plus économique [1]. Pour développer ce profil en Suisse, des compétences infirmières cliniques approfondies incluant un mentorat clinique comparable à celui existant aux États-Unis et au Canada depuis les années 1960 [2, 3] sont nécessaires. Bien que l’Institut des sciences infirmières de l’Université de Bâle fête cette année son 20e anniversaire et qu’il existe désormais huit filières d’études en sciences ­infirmières dans l’ensemble de la Suisse, le mentorat clinique n’a été intégré dans certaines filières de master et de formations postgraduées qu’en 2013, faute de ressources. Comme aux débuts des NP à l’étranger, le mentorat clinique est principalement assuré par des médecins expérimentés, jusqu’à ce que les compétences et les expériences des diplômés soient suffisantes pour leur permettre d’assumer le mentorat ­clinique au sein de leur profession. Actuellement, ­certaines questions concernant le mentorat clinique restent toutefois ouvertes; celles-ci sont abordées dans l’étude de l’ASSM qui examine la mise en œuvre et la faisabilité du mentorat clinique à l’interface entre la formation et la pratique.

Objectif et questionnements de l’étude de l’ASSM

L’objectif de cette étude exploratoire est d’analyser les premières expériences de mentorat clinique (Clinical Preceptorship en anglais) et d’en déduire des recommandations pour la pratique, la formation et la politique. L’accent est mis sur les questions concernant 
le développement du mentorat clinique en Suisse, ­l’implication des médecins et l’évaluation des coûts, et donc également des modèles de financement ou de remboursement nécessaires à une mise en œuvre durable.

En savoir plus sur les expertes et ­experts cliniques en soins infirmiers MSc/ANP

Le Parlement fédéral n’a pas intégré le niveau master dans la loi sur les professions de la santé (LPSan) en automne 2016; en revanche, le canton de Vaud l’a inclus dans la «Loi sur la Santé ­publique» en 2017. Dans la plupart des cantons, le développement des compétences et la sécurité des patients relèvent de la responsabilité des hautes écoles et des fournisseurs de prestations. Ces derniers ont une marge de manœuvre considérable en ­matière de formation et d’engagement d’expertes et d’experts cliniques en soins infirmiers MSc/ANP, qu’ils peuvent utiliser de manière proactive (par exemple réf. 6 et 7).
Par ailleurs, après deux ans de travail sur le projet, l’association «APN-CH: Organisation de la réglementation» qui définira les règles de la pratique professionnelle des experts en soins in­firmiers ANP (Advanced Nursing Practice) a été fondée en novembre 2019. Ainsi, les dirigeants, les professionnels de la santé et les patients/proches pourront à l’avenir reconnaître simplement les compétences des experts cliniques en soins infirmiers MSc/ANP grâce au titre «expert en soins infirmiers ANP».

Méthodologie

L’analyse de la littérature scientifique concernant le mentorat clinique ainsi que les concepts et les contenus de l’enseignement qui s’y rapportent ont servi de base aux 24 entretiens d’experts fondés sur un guide d’entretien et menés de façon itérative avec des mentors cliniques et des personnes clés des domaines de la formation, de la pratique, ainsi que des représentants des autorités, de la politique et des assurances (données collectées de l’été 2017 au printemps 2018). Les passages importants ont été transcrits et examinés sur la base d’une analyse qualitative du contenu [4].

Principaux résultats

1. Développement des programmes d’études

En s’appuyant sur le bachelor en sciences infirmières, l’évaluation clinique a été développée et étendue depuis 2001 dans les cursus de master et de formations postgraduées en sciences infirmières, en combinaison avec des spécialisations en pathophysiologie et en pharmacologie. A partir de 2013, le mentorat clinique 
a été intégré dans certaines filières d’études. Ce volet de la formation permet d’approfondir les techniques d’examen, d’acquérir une certaine routine, de reconnaître les liens entre les problématiques de soins, le diagnostic et le traitement, d’adopter des mesures de manière réfléchie, d’observer de manière proactive le déroulement des événements, de détecter précocement les signaux d’alarme et d’agir en conséquence à court et à long terme.

2. Eléments clés du mentorat clinique

Le mentorat clinique se déroule dans la réalité du monde du travail pendant environ deux années de formation en alternance, soit sous forme de stages, soit en continu sur son propre lieu de travail. Compte tenu des différents programmes d’études adoptés parallèlement à l’activité professionnelle, il est encore impossible de quantifier le nombre d’heures réservées aux rencontres directes entre les mentors et les mentees. En ce qui concerne les lieux de mentorat, la remarque suivante peut être faite. Tandis que le cabinet du mé­decin de famille offre une plus grande marge de manœuvre pour les maladies les plus diverses, les hôpitaux disposent d’une tradition et d’une expérience plus établies dans la formation des experts cliniques en soins infirmiers et peuvent ainsi promouvoir le développement des rôles d’une manière plus ciblée.

3. Rôles des mentors et des mentees cliniques

Le mentorat clinique suppose de la part des mentors un minimum d’engagement pour la transmission de connaissances et d’expériences – habituellement ce sont les étudiants en médecine ou les médecins-assistants qui en bénéficient. Dans l’idéal, cette expérience d’enseignement est associée à une collaboration avec des NP lors d’un séjour à l’étranger. Ainsi, les mentors médicaux participent également au développement des rôles des experts locaux en soins infirmiers MSc. Actuellement, un nombre indéfini de NP formés vivent en Suisse. Soit ces personnes sont des Suisses qui se sont formés à l’étranger, soit ce sont des NP étrangers qui se sont installés en Suisse et qui y travaillent. Grâce à leurs expériences du Clinical Preceptorship, elles contribuent largement à l’établissement du mentorat clinique en Suisse et à son développement futur.
Les mentees ont souvent de nombreuses années d’expérience professionnelle. Dans leur nouveau rôle d’étudiant, ils redeviennent toutefois des débutants pour l’acquisition de nouvelles compétences cliniques. En termes de contenu, les situations standards leur servent de point de départ. Ils peuvent ensuite, grâce à leur vision globale, aborder rapidement des sujets plus complexes, par exemple avec des patients âgés multimorbides, en faisant également appel aux connaissances pharmacologiques et physiopathologiques approfondies acquises au cours de leurs études.

4. Intégration et avantages

Les interactions et l’organisation du travail entre les mentors et les mentees sont essentielles à la réussite du mentorat clinique. Par ailleurs, la coordination temporelle et spatiale dans les différents processus opérationnels est importante. Celle-ci varie en fonction du domaine: en chirurgie, par exemple, elle diffère de la pratique en cabinet médical. Les avantages du mentorat se manifestent particulièrement dans les soins et les traitements de longue durée en médecine de premier recours (cabinets médicaux, Spitex, centres de soins). Car c’est dans ce domaine que l’on trouve, dès aujourd’hui et plus encore à l’avenir, le groupe des patients atteints de maladies chroniques et multiples. Ceux-ci profitent le plus de l’étendue de la pratique professionnelle avancée des experts cliniques en soins infirmiers MSc – même lorsque ces derniers travaillent dans des hôpitaux de soins aigus où ils s’occupent de patients.

Financement

Pour les mentors, le mentorat clinique va de pair avec un engagement supplémentaire et un ralentissement de leur activité quotidienne. Actuellement, le travail de mentorat repose donc principalement sur la bonne volonté de personnes et d’institutions isolées. Alors qu’en milieu hospitalier, les coûts du mentorat peuvent être financés par les DRG ou sont prévus dans le budget ­annuel, dans le domaine de la médecine de premier ­recours, un modèle similaire à l’assistanat en cabinet médical, cofinancé par le canton, serait approprié. La tarification des prestations médicales re­présente une zone grise juridique, car le TARMED ­s’applique aux prestations médicales et non pas aux prestations de soins infirmiers cliniques. Les interviews ont mis à jour divers modèles de tarification novateurs développés par les fournisseurs de prestations.

Discussion et conclusion

Pour un établissement durable du mentorat clinique, les hautes écoles et les fournisseurs de prestations doivent collaborer pour renforcer les compétences finales de l’expertise clinique en soins infirmiers MSc, définir les structures et les contenus du mentorat clinique et évaluer son utilité. Ce faisant, le concept ­d’Entrustable Professional Activities, EPA [5], favorise la confiance dans les compétences cliniques nouvellement acquises. En outre, les mesures incitatives sont importantes pour augmenter le nombre d’étudiants, tant en sciences infirmières et en médecine que dans d’autres professions de la santé. À cet égard, les cantons peuvent superviser et encourager le mentorat clinique d’une manière analogue à l’assistanat médical et, en collaboration avec les caisses-maladie, mettre en œuvre des projets pilotes des hautes écoles et des fournisseurs de prestations. La Confédération et les cantons peuvent, en outre, intégrer le niveau master dans leurs bases légales respectives.
Par conséquent, l’appel ne s’adresse pas uniquement aux personnes qui ont fait œuvre de pionniers, mais à tous les acteurs qui souhaitent encourager un mentorat clinique pour les jeunes expertes et experts cliniques en soins infirmiers MSc, que ceux-ci pourront ensuite prendre en charge eux-mêmes.
La nouvelle publication peut être téléchargée sur le site web de l’ASSM: assm.ch/recommandations

L’essentiel en bref

• Le mentorat clinique par des médecins dans la formation pré et postgraduée des expertes et experts cliniques en soins infirmiers MSc est essentiel pour le champ d’action de la pratique professionnelle avancée.
• L’étude de l’ASSM présente les premiers résultats du mentorat clinique et son intégration auprès des fournisseurs de prestations ainsi que les ressources nécessaires.
• Malgré – ou justement à cause de – l’absence de dispositions légales, les hautes écoles et les fournisseurs de prestations ont une marge de manœuvre considérable pour développer le mentorat clinique et l’engagement d’expertes et d’experts cliniques en soins infirmiers MSc.
• La Confédération et les cantons peuvent, grâce à des incitations financières, garantir le mentorat clinique pour un nombre croissant d’étudiants. Ainsi il sera possible de créer un environnement attrayant dans lequel les pairs pourront, à l’avenir, prendre en charge ce mentorat.
Iren Bischofberger, Prof. Dr
Careum Haute École de la Santé, division de la Haute Ecole Spécialisée Kalaidos
Pestalozzistrasse 5
CH-8032 Zurich
iren.bischofberger[at]careum-hochschule.ch
1 Laurant M, Van der Biezen M, Wijers N, Watananirun K, ­Kontopantelis E, van Vught AJAH. Nurses as substitutes for doctors in primary care. Hoboken, NJ; 2018 Cochrane Database of Systematic Reviews 2018, Issue 7. Art. No.: CD001271.
2 Ford LC. Reflections on 50 years of change. Journal of the American Association of Nurse Practitioners 2015;27(6):294–5.
3 Kaasalainen S, Martin-Misener R, Kilpatrick K, Harbman P, Bryant-Lukosius D, Donald F et al. A historical overview of the ­development of advanced practice nursing roles in Canada. ­Nursing Leadership (Toronto, Ontario) 2010:35–60.
4 Mayring P. Qualitative Inhaltsanalyse: Grundlagen und ­Techniken. 12., überarb. Aufl. Weinheim: Beltz; 2015.
5 ten Cate O. Entrustability of professional activities and competency – based training. Medical Education 2005;39(12):1176–7.
6 Ulrich A, Hellstern P, Kressig RW, Eze G. Advanced Nursing Practice (ANP) im direkten Pflegealltag: Die pflegerische Praxisentwicklung eines akutgeriatrischen ANP-Teams. Pflege 2010;23(6):403–10.
7 Sailer Schramm M, Brüngger B, Wyss C, Röthlisberger A, Kläy M, Triaca H, Grünig B, et al. Tandembetreuung mit Vorteilen für alle Beteiligten. Primary and Hospital Care – ­Allgemeine innere Medizin 2019;19(2):52–6.