L'économisation de la médecine est arrivée au cabinet médical

FMH
Édition
2020/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.18596
Bull Med Suisses. 2020;101(04):81

Affiliations
Dr méd., membre du Comité central de la FMH, responsable du département Médecine et tarifs ambulatoires

Publié le 21.01.2020

Dans un contexte de pression des coûts de la santé en Suisse, l’expression «économisation de la médecine» a de plus en plus cours ces dernières années. En 2014, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) publiait déjà sa position à ce sujet dans un document intitulé «Médecine et économie – quel avenir?», dans lequel elle évoque notamment le «gain d’efficacité au détriment de la qualité» et les «conflits d’intérêts» auxquels sont exposés les médecins et le personnel infirmier dans le champ de tension entre intérêts économiques et bien-être des patients.
La pression économique sur l’exercice de la médecine est légitimée par l’article 32 de la loi sur l’assurance-­maladie, qui définit les conditions dans lesquelles les coûts de l’assurance obligatoire des soins sont pris en charge, à savoir lorsque les critères d’efficacité, d’adéquation et de caractère économique (EAE) sont réunis. On remarque cependant que la notion de caractère économique, qui est en troisième position dans les critères EAE, est de plus en plus en ligne de mire. La question se pose donc depuis quelque temps de savoir dans quelle mesure cette pression économique, et plus largement la commercialisation de la médecine, influence la manière de fournir les soins et d’exercer la médecine chez les médecins installés.
Pour la première fois, une étude représentative s’est penchée sur cette question et montre l’impact des régulations économiques. Elle a été réalisée par Patrick Müller, responsable opérationnel du département Médecine et tarifs ambulatoires, dans le cadre d’une formation MBA et de son mémoire de master. Vous trouverez un résumé des résultats dans le présent numéro du BMS.
Dans cette étude, il démontre clairement que la pression économique et les régulations qui en découlent conduisent de fait à la commercialisation de la médecine et ont également un impact sur la prise en charge médicale.
Le modèle du «cabinet de groupe» a le vent en poupe. Contrairement aux hypothèses courantes, ce n’est pas la pression économique qui alimente cette tendance, mais les raisons personnelles qui restent le facteur dominant pour choisir la forme de cabinet dans lequel on veut exercer. Il n’en reste pas moins que les raisons ­médicales, mais aussi les considérations économiques, jouent également un rôle au moment d’opter pour un cabinet de groupe, principalement chez les médecins spécialistes. C’est certainement lié au fait que les infrastructures particulièrement coûteuses peuvent être utilisées de manière plus efficace dans les cabinets de groupe.
L’étude indique également que quatre médecins sur cinq estiment que les études de médecine et la formation postgraduée à l’hôpital ou en cabinet médical ­devraient aborder les aspects économiques et mana­gériaux. En d’autres termes, l’économisation de la ­médecine est définitivement arrivée au cabinet médical.
Les interventions tarifaires du Conseil fédéral en 2014 et 2018 ont aussi laissé des traces et incitent les médecins à adapter leur gamme de prestations. Une part ­importante des médecins interrogés mentionne aussi que la relation médecin-patient a changé et que beaucoup de patients se rendent chez le médecin avec des exigences concrètes de prestations.
Patrick Müller conclut en ajoutant que les régulations politiques accrues et les interventions impactant la ­rémunération et les coûts altèrent l’attractivité de ­l’activité des médecins installés. Les résultats de l’étude lui suggèrent cinq recommandations. Les plus importantes consistent à introduire des modules d’économie et de management dans les études de médecine et la formation postgraduée, et à renforcer l’attractivité du travail des médecins installés par des mesures appropriées.