Rupture du tendon d’Achille – Utilité de la Cochrane Library?

FMH
Édition
2019/47
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.18399
Bull Med Suisses. 2019;100(47):1565-1567

Affiliations
Prof. Dr méd., spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, médecin chef en chirurgie du pied et de l’articulation tibio-tarsienne, Hôpital de l’Ile, Berne

Publié le 19.11.2019

En présence d’informations contradictoires concernant le traitement le plus adapté pour une maladie ou une blessure, la Cochrane Library aide résolument à trouver rapidement et confortablement les informations médicales nécessaires pour conseiller le patient de manière optimale. En tant que source d’informations basée sur les données probantes, la Cochrane Library s’avère particulièrement utile lorsqu’il s’agit de faire face aux idées préconçues du patient. Dans la pratique, il suffit de quelques minutes pour trouver dans la base de données Cochrane les articles et rapports les plus à jour, reflétant l’état des connaissances concernant une maladie ou un type de blessure donnés.
L’incidence des ruptures du tendon calcanéen est de l’ordre de 300 sur un million chaque année en Suisse. La classe d’âge la plus touchée est celle des 30–45 ans, mais la tendance est à la hausse, avec 5 à 7 fois plus d’hommes que de femmes parmi les personnes concernées. 90% des ruptures sont ­localisés à 3–4 cm de distance de l’insertion calcanéenne du tendon d’Achille. Du point de vue étiologique, on identifie à cet endroit une zone d’ischémie relative, d’autant que l’approvisionnement en sang du tendon est à la fois proximal et distal et tend à décroître dès la 30e année. Le mécanisme de rupture typique est le suivant: effort de traction indirect sur le tendon (extension excentrique du tendon avec muscle contracté). Les sports comme le tennis, le squash ou le football sont très régulièrement en cause dans ce type de blessure. La prise prolongée de stéroïdes, d’immuno­suppresseurs et de fluoroquinolones (p. ex. Ciproxin), mais également les maladies auto-immunes, l’hypercholestérolémie ainsi qu’un groupe sanguin de type 0 sont fréquemment associés aux ruptures du tendon d’Achille.

Diagnostic et traitement recommandé

Le patient a 58 ans. Il est en pleine forme et remporte encore régulièrement les tournois de son club de tennis. Lors de son dernier match, il a soudain ressenti une déchirure lors d’un effort d’accélération brusque pour monter au filet, ainsi qu’un craquement au bas du mollet. Il n’a pas été en mesure de jouer jusqu’au bout le tie-break du deuxième set, et a perdu de justesse le match décisif du grand tournoi de son club. Il n’avait ­jamais ressenti de douleur au talon jusque-là.
Allongé sur le ventre sur la table d’examen, il laisse pendre son pied blessé à la verticale. Aucune trace de la légère prétension responsable de la flexion plantaire habituellement observée dans un pied sain. La compression manuelle du mollet (test de Thompson) ne provoque aucun mouvement du pied, alors qu’une ­dépression est perceptible à 4 cm du calcanéum. Nul besoin de poursuivre les investigations pour conclure avec un bon taux de certitude à une rupture aiguë du tendon d’Achille. L’examen par ultrason sert plutôt à évaluer l’adaptation des moignons tendineux à une position de la cheville à 20° de flexion qu’à confirmer le diagnostic.
Si les moignons tendineux s’adaptent en flexion plantaire, autrement dit si la fissure résiduelle ne dépasse pas 5 mm et que le patient va consulter dans les premiers jours suivant l’accident, l’Hôpital de l’Ile recommande en règle générale aux sportifs amateurs un traitement conservateur. Celui-ci associe une physiothérapie fonctionnelle précoce en pleine charge dans une chaussure de réadaptation Künzli (Künzli-­Rehab-Total) avec talon de 3 à 4 cm à une attelle souple d’immobilisation en équin pour la nuit pendant six ­semaines, puis augmentation graduelle de l’angle du pied (-> 90%) sur six autres semaines. Selon le type de sport, une reprise après six mois minimum pourra être autorisée.

Une aide pour les médecins moins ­expérimentés

Notre patient n’est guère enthousiasmé par notre proposition de traitement conservateur, alors même que la rupture est nette et que l’adaptation des moignons semble bonne. Il invoque sa bonne forme physique et le fait de se sentir bien plus jeune que son âge. De plus, un membre du club à peine plus jeune que lui a été opéré du tendon d’Achille il y a deux ans et a réussi à se placer en demi-finale du tournoi de cette année. Il lui est visiblement difficile d’admettre qu’il ne fait plus partie des sportifs professionnels, pour lesquels les avantages de l’opération prévalent le plus souvent.
Si un chirurgien n’est en principe pas contre l’idée d’opérer un patient, le but du traitement doit toujours être le meilleur résultat possible pour le ­patient au vu de l’avancement des connaissances. Un médecin qui ne traite pas régulièrement des ruptures du tendon d’Achille et qui n’a donc pas forcément en tête les dernières études réalisées à ce sujet aura tout avantage à consulter la Cochrane Library. En saisissant le mot clef «Achilles» dans la fenêtre de recherche, on obtient huit revues systématiques, dont celle intitulée «Surgical ­interventions for treating acute Achilles tendon ruptures», menée par Khan RJK et Carey Smith RL en 2010, et particulièrement pertinente dans notre cas.
La revue examine toutes les études randomisées ou quasi randomisées menées jusqu’en 2009. Ces études comparent d’une part les traitement chirurgicaux aux traitements conservateurs, et d’autre part les techniques opératoires percutanées aux techniques ouvertes. Au total, 12 études sont examinées, qui ­incluent 844 patients. Bon nombre de ces études présentent des faiblesses méthodologiques, notamment concernant l’assurance que les tests soient bien menés en aveugle.
L’analyse statistique révèle un risque sensiblement plus faible de rerupture pour les traitements opératoires par rapport aux traitements conservateurs, mais un risque plus important d’infection postopératoire, et d’un risque d’atteinte du nerf sural. La fréquence des infections semble par ailleurs plus faible lors d’opérations percutanées que lors d’opérations ouvertes, sans que la différence ne soit significative.

Aide à l’évaluation des options ­thérapeutiques

En quelques minutes de recherches, la Cochrane Library donne accès à une mine quasi inépuisable d’informations fiables et d’une grande actualité sur le traitement des maladies et des blessures. Et dans le domaine de l’orthopédie, peu de sujets ont été étudiés de manière aussi approfondie que le traitement optimal d’une rupture du tendon d’Achille. De prime abord, mon exploration de la base de données ne semble que partiellement concluante, étant donnée l’inclusion, dans certaines revues, d’études de piètre qualité. Une revue en particulier, datée de 2010, gagnerait à être mise à jour, étant donnée l’existence d’études plus récentes et de meilleure qualité tendant à démontrer la supériorité de l’approche dite conservatrice. La revue fournit néanmoins au médecin traitant les informations lui permettant de juger des avantages et des inconvénients des diverses options thérapeutiques envisageables, d’évaluer les risques inhérents à chacune d’elles et d’en discuter avec le patient. Et ces infor­mations solidement étayées au plan scientifique sont ­particulièrement précieuses lorsqu’il s’agit d’aller à l’encontre des idées préconçues du patient.
Après discussion approfondie des connaissances les plus actuelles concernant les risques et les résultats ­escomptés, notre patient finit par opter pour la voie conservatrice. Deux facteurs, en particulier, l’ont convaincu: d’une part le risque élevé d’infections ­superficielles pouvant entraîner des conséquences catastrophiques sur le long terme, et d’autre part la probabilité plus grande, après un traitement de type conservateur, de pouvoir à nouveau jouer au même ­niveau qu’avant l’accident. Après tout, l’autre demi-­finaliste de cette année avait 28 ans de moins que lui et, contrairement à lui, s’était déjà vu prescrire divers ­médicaments pour contrer les premiers signes de l’âge...

Conclusion

Personnellement, je trouve que la Cochrane Library est une ressource très utile, conviviale et simple d’utilisation. Elle permet d’accéder rapidement à des informations médicales fiables et d’une grande actualité, et ainsi de conseiller les patients de manière optimale. Une façon d’améliorer encore cette ressource consisterait à la mettre à jour plus souvent, et à permettre d’effectuer des recherches dans plus de langues différentes.

Qu’est-ce que Cochrane?

Cochrane est un réseau mondial indépendant regroupant cher- cheurs, professionnels de la santé, patients et autres personnes intéressées par les questions de santé. Le réseau est alimenté par environ 11 000 membres et plus de 68 000 sympathisants ­(supporters), originaires de plus de 130 pays. A l’aide de méthodes scientifiques, ces membres préparent des informations fiables et libres de toute influence commerciale sur diverses questions ayant trait à la santé. Chaque revue Cochrane est ­dédiée à un thème clairement délimité. Pour traiter ces sujets, un groupe d’auteurs rassemble un corpus d’études originales répondant aux critères définis au préalable. Il évalue ensuite les études retenues pour déterminer s’il existe suffisamment ­d’indices fiables confirmant la validité d’une mesure préventive, d’un traitement ou d’un diagnostic donnés. Chaque fois que possible, les résultats individuels sont combinés en une méta-analyse. Avant d’être rendues publiques, les revues Cochrane sont ­évaluées dans le cadre d’un processus de révision par les pairs. Plus de 8000 revues sont aujourd’hui disponibles sur le site www.cochranelibrary.com. Outre la version intégrale, très ­complète, divers formats condensés sont également à disposition. Format particulièrement adapté à la pratique clinique, les revues les plus pertinentes et les plus demandées sont présentées sous la forme de questions-réponses (Cochrane Clinical Answers).
Prof. Dr méd. Fabian Krause Chirurgien orthopédiste FMH, Clinique de chirurgie orthopédique,
Hôpital de l’Ile, Berne
CH-3010 Berne
Tél. 031 632 21 11
Fax 031 632 36 00
fabian.krause[at]insel.ch www.insel.ch