Ce que la Suisse peut apprendre d'autres pays

FMH
Édition
2019/39
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.18246
Bull Med Suisses. 2019;100(39):1289

Affiliations
Dr méd., membre du Comité central de la FMH, département Numérisation / eHealth

Publié le 24.09.2019

«Comparer, c’est la fin du bonheur et le début de l’in­satisfaction.»1 En d’autres termes, la comparaison rend malheureux. Il n’empêche: c’est toujours volontiers que nous lisons les classements et les rapports comparant la qualité de vie, la solvabilité, la capacité d’innovation, le développement humain ou l’économie parallèle de différents pays. La Suisse se place souvent en bonne position; elle se classe par exemple au premier rang de l’indice Big Mac2. Nous vous laissons le soin d’apprécier si la surévaluation du franc suisse est une bonne ou une mauvaise chose, et si le pouvoir d’achat doit s’évaluer sur la base de petits pains au sésame, de viande hachée, de fromage fondu, de salade, de cornichons et d’oignons, ou de sauces. Car, cher lecteur, c’est précisément là le problème, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de comparer les stratégies de numérisation du domaine de la santé.
Dans son rapport SmartHealthSystems, la fondation allemande Bertelsmann a récemment examiné 14 pays de l’UE et 3 de l’OCDE (y c. la Suisse) sous l’angle des stratégies adoptées pour la transition numérique et de leur mise en œuvre. Pour cela, elle a calculé un indice de la cybersanté (Digital Health Index) en s’appuyant sur un questionnaire sur le cadre légal et politique, l’implémentation technique et l’utilisation effective des données. La Suisse se place tout en bas du tableau, juste devant la France, l’Allemagne et la Pologne. Ce qui frappe, en comparaison avec les pays les plus avancés comme l’Estonie et le Canada, c’est avant tout la faible diffusion des ordonnances électroniques, le maigre taux d’utilisation des dossiers médicaux électroniques et le peu d’échange de données en ligne entre fournisseurs de prestations3.
Or, l’échange de données numériques entre professionnels et institutions de santé (rapports, commandes de laboratoire, ordonnances, etc.) recèle un énorme potentiel en termes d’amélioration de l’efficacité. En théorie, ces prestataires pourraient utiliser l’infrastructure du dossier électronique du patient (DEP) pour communiquer directement entre eux. Cependant, la loi sur le dossier électronique du patient réserve exclusivement cette infrastructure à l’objectif primaire du DEP, à savoir l’archivage centralisé des documents. Un autre obstacle à l’implémentation des services supplémentaires réside dans le fait que l’élaboration du DEP est plus complexe que supposé initialement. En début d’année, Swisscom, qui fournit la plateforme technique de la communauté de référence Axsana, a été obligé de reporter le développement de services supplémentaires pour pouvoir achever dans les temps (printemps 2020) l’infrastructure d’archivage centralisé4.
Les raisons pour lesquelles d’autres pays sont plus avancés dans le domaine de la cybersanté ne sont pas forcément liées aux conditions intrinsèques de notre système de santé. Prenons l’exemple du Canada, classé deuxième dans l’étude de la fondation Bertelsmann: son organisation est fédérale et son système de santé présente des structures de soins fragmentées autour d’autorités sanitaires centralisées ou régionales. L’ex­périence des autres pays montre que le plus important est d’avoir une forte implication stratégique de toutes les institutions et de tous les acteurs, et de favoriser une approche pragmatique axée sur les cas d’utilisation (use cases). L’acceptation des applications numériques par les patients et les professionnels de la santé devrait donc être considérée comme un objectif stratégique. Un moyen significatif de convaincre les différents acteurs est de demander systématiquement l’avis des utilisateurs finaux avant de finaliser le design, ou mieux encore, de les impliquer dans la conception plutôt que d’imposer un développement par le haut.
Au final, les enseignements tirés d’autres pays n’ont pas été suffisamment pris en compte lors de la conception du DEP. Au niveau politique, il vaudrait mieux faire porte­r la discussion sur les cas d’utilisation concrets appor­tant une plus-value et sur la création des conditions-cadres requises que de s’obstiner à obliger les médecins du secteur ambulatoire.