Les médicaments et l’hôpital: deux mythes ruineux pour les soins

L’attention aux patientes qui fait économiser en médecine

Tribüne
Édition
2019/38
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.18083
Bull Med Suisses. 2019;100(38):1275-1276

Affiliations
Dr méd. Médecine générale FMH

Publié le 18.09.2019

Notre système de santé est parmi les plus performants au monde. Mais cette qualité des soins a une contrepartie. En raison des coûts croissants qu’elle engendre, les primes d’assurance-maladie ne cessent de prendre l’ascenseur, ce qui suscite la grogne grandissante de la population. Des experts suggèrent divers moyens pour pallier ce désastre amorcé, comme le contrôle du prix des génériques et un registre central unique pour maîtriser la densité des médecins en Suisse. On oublie d’autres moyens plus efficaces qui mettraient en cause tout le système consumériste de la santé.
En examinant plus en profondeur l’économie de la santé, force est de constater qu’avant la pléthore de médecins, c’est la démesure des infrastructures techniques qui favorise la flambée des coûts. Ne faudrait-il pas en tenir un registre fédéral ou régional avant de contrôler la démographie des médecins? Etant donné les performances technologiques, il est devenu quasiment impossible de sortir indemne d’un bilan de santé alors qu’une hospitalisation met en évidence des diag­nostics annexes qui n’ont pas toujours valeur de maladie mais qui permettent aux hôpitaux d’être mieux rétribués selon les tarifs DRG des forfaits par diagnostic. Le «progrès» technologique, certes très efficace pour un nombre restreint de pathologies, a donc un immense pouvoir pathogène et profite à divers investisseurs qui cherchent à s’enrichir aux dépens des malades qu’il s’agit donc de multiplier. Dans le même élan, il n’est par exemple pas imaginable de réviser les prix exorbitants des médicaments anticancéreux qui accordent aux entreprises pharmaceutiques des bénéfices faramineux allant jusqu’à 85%.
Pour contrer cette «escalade technologique», il est pertinent de se poser les questions suivantes: un hôpital ne devrait-il pas se limiter à couvrir les frais de soins y compris l’entretien de ses infrastructures et la formation du personnel soignant? Quid de la pensée unique qui tend à centraliser les soins stationnaires en supprimant les hôpitaux régionaux? Or ceux-ci ont le pouvoir de justement prévenir une certaine iatrogénie tout en soignant la plupart des maladies à moindre coût en partie grâce à une collaboration plus étroite avec les médecins de famille. Les patientes en sortent moins inquiètes, plus confiantes en leur avenir sans compter que les proches les soutiennent plus efficacement pendant l’hospitalisation.

L’attention avant les tests diagnostiques

Les considérations ci-dessus sont subsidiaires à la manière générale de soigner qui est centrée sur les facteurs de risque, c’est-à-dire les déficiences des soignées plutôt que sur leurs facteurs salutaires donc leurs ressources.
Au contraire, le soin performant est une méthodologie où la soignée est en position d’expertise première, la soignante en position d’ignorance fondamentale quand il s’agit du vécu de la maladie. Ce vécu demande «simplement» à être entendu et compris. La démarche n’est pas d’une complexité extrême, elle consiste à comprendre la personne malade comme un tout, affecté dans son physique, et donc toujours aussi dans sa manière d’être au monde. Elle se fonde sur le désir de rencontrer la patiente, de la rejoindre là où elle se trouve, dans son quotidien, ses habitudes, d’entendre l’histoire qu’elle a à raconter [1].
Pour ce faire, quatre questions sont essentielles [2]: Qu’est-ce qu’elle dit? Qu’est-ce qu’elle montre? Qu’est-ce qu’elle vit? De quoi a-t-elle peur? Les outils de soins, les médecins, les soignantes les ont sur eux. Il faut juste apprendre le plaisir à se servir de ses cinq sens, à commencer par l’écoute et l’attention, sans chercher à expliquer quoi que ce soit, sans interpréter afin de laisser la patiente rester sujet de sa maladie plutôt que d’en faire d’emblée un objet de soin qu’elle n’a pas choisi. Notre consultation regorge de cas où l’attention clinique permet de se passer d’examen paraclinique [3].
Pour résister à l’escalade mercantiliste et être avec la patiente, l’approche relationnelle et clinique est à favoriser avant de recourir aux tests diagnostiques et aux traitements coûteux et d’intérêt non démontré. «Se rappeler que la peur est notre pire ennemie et fait de nous les pires ennemis des patients [...] Se rappeler aussi que les examens systématiques sont le moyen le plus sûr de trouver des anomalies qui n’ont aucune signification mais qui vont inquiéter tout le monde et mener à l’escalade» [4].
En particulier en médecine ambulatoire, il s’agit d’apprendre non pas d’abord ce qu’il faut faire, mais ce qu’il ne faut pas faire. Ce savoir dépend du bon diagnostic du niveau relationnel entre patiente et médecin [5].

Cachets inutiles et technique pathogène

Revenons aux deux mythes qui entretiennent l’inadéquation coûteuse des systèmes de santé occidentaux: les médicaments et l’hôpital [6]. La plupart des médicaments sont inefficaces chez la majorité des patientes [7]. Le symptôme le plus fréquent est l’observance déficiente [8]. D’où une simple conséquence: si l’on veut améliorer les traitements et les rendre plus sûrs, il est temps d’instaurer «un changement radical dans notre manière de les évaluer et de les utiliser». Dans un article consacré aux analgésiques, Andrew Moore rappelle que, pour le traitement de la douleur, «moins de 50% des patients traités obtiennent une réduction d’au moins 50% de l’intensité ­douloureuse» [9]. Il est temps que les autorités d’enregistrement «reconnaissent que l’échec est la norme»ibid. Personne n’a, au plan commercial, intérêt à changer le paradigme actuel, d’autant plus que, en s’éloignant du simplisme médicamenteux, c’est une certaine image de la médecine qui se trouble. Les médicaments perdent de leur magie (et une partie de leur ­efficacité placebo) et les médecins sont enjoints à ­davantage surveiller l’effet des médicaments sur chaque patient. Il faudrait pratiquer une médecine plus personnalisée en fonction du vécu des malades et non de leurs gênes: «Le défi pour les médecins est de trouver ce qui fonctionne, pour qui et dans quelles circonstances» [10].
Passons au deuxième mythe: l’hôpital, autre canon de la médecine moderne, servant tout autant que les médicaments à montrer ce qu’elle fait de mieux et en même temps à donner aux soignantes leur statut semi-religieux. Or, voilà qu’il voit aussi son rôle symbolique menacé. Hugh McIntyre[11] démontre que ce lieu où s’exerce la technologie de soins de pointe s’avère si pathogène que le simple fait d’y entrer doit être considéré comme une maladie, d’autant plus si les dédommagements sont proportionnels à la gravité et au nombre de diagnostics (en partie abusifs) qui sont posés!
Ne pourrait-on pas relancer l’intérêt pour l’incertitude bienveillante et permettre aux soignantes de davantage s’intéresser aux ressources biographiques de chaque malade? Au lieu de trop se focaliser sur l’amélioration de quelques paramètres biomédicaux et autres facteurs de risque anxiogènes. Le travail des médecins et de toutes les soignantes serait ainsi pourvoyeur de plus de plaisir réciproque et de sens. Les cas de burnout, actuellement en forte augmentation, diminueraient.
Les remèdes aux coûts de la santé existent donc. Mais le système de santé est une institution qui n’est que le reflet de la communauté qui la met en place. Or celle-ci considère ces remèdes comme des poisons contre les affaires et les fait passer pour des utopies. C’est comme ça: non-lieu, rien ni personne à accuser, mais certainement de bonnes questions à se poser, ne serait-ce que pour changer l’enseignement du soin à la personne et au système.

L’essentiel en bref

• L’économie dans les soins confine à l’aporie. Pour sortir de cette spirale, peut-on revoir l’enseignement de la santé publique et le soin à la personne?
• L’auteur propose de se poser les questions suivantes: Comment motiver le corps médical à simplement s’intéresser à la personne? Comment repenser l’efficacité et l’adéquation de la pharmacopée et des hôpitaux?

Das Wichtigste in Kürze

• Das wirtschaftliche Ansatz im Gesundheitsbereich ist aus­weglos. Um der Kostenspirale zu entkommen, könnte man die Lehre der öffentlichen und persönlichen Gesundheit über­denken?
• Der Autor schlägt vor, sich folgende Fragen zu stellen: Wie kann man die Ärzteschaft ermuntern, sich ganz einfach für den Patienten als Person zu interessieren? Wie können die Effizienz und Zweckmässigkeit sowohl der Medikamente als auch der Spitäler überdacht werden?
Dr méd. Laurent Schaller
Médecine générale FMH
Médecine psychosomatique et psychosociale ASMPP
Médecin agréé à la Permanence Unisanté du Flon, à Lausanne
Rue de l’Ecluse 3
CH-2740 Moutier
ellesse[at]hin.ch
 1 Stiefel F. Entendre la voix du souffrant dans le bruit qui règne en médecine. Revue Médicale Suisse. 2018;315.
 2 Inspiré de Martin Winckler, L’école des soignantes, p. 51; POL 2018.
 4 Winckler Martin, L’école des soignantes, p. 52; POL 2018.
 5 Isebaert Luc, Cabié Marie-Christine, Pour une thérapie brève, p. 113–51; Erès 2004.
 6 Kiefer Bertrand. Bloc-notes. Revue Médicale Suisse. 2013;1400.
 7 Godlee F. Balancing benefits and harms. BMJ. 2013;346:f3666.
 8 Le toucher, le remède, la parole – La communication entre médecin et patient comme instrument thérapeutique, Milanese Roberta, Milanese Simona, SATAS, Le Germe 2018.
 9 Moore A, Derry S, Eccleston C, Kalso E. Expect analgesic failure; pursue analgesic success. BMJ. 2013;346:f2690.
10 Kiefer Bertrand. Bloc-notes. Revue Médicale Suisse. 2013;1400.
11 McIntyre H. Admission to hospital could be considered a disease. BMJ. 2013;346:f3242.