Un rapport d’expertise établi pour le compte de la Société internationale d’épidémiologie environnementale (ISEE) et de l’European Respiratory Society (ERS)

Les effets des polluants atmosphériques sur la santé

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Édition
2019/2324
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.17603
Bull Med Suisses. 2019;100(2324):796-799

Affiliations
a Prof. Dr, MSc, Centre Helmholtz de Munich et Université Louis-et-Maximilien de Munich, présidente de l’ISEE pendant la période 2012–2013, membre du comité de politique de l’ISEE; b Prof. M.D., MPH, Université de Düsseldorf, présidente du comité Environnement et santé de l’European Respiratory Society, présidente de l’ISEE Europe pendant la période 2015–2017; c Prof. Dr, Université d’Utrecht, président de l’ISEE pendant la période 2000–2001; d Prof. M.D., PhD, Institut Tropical et de Santé Publique Suisse (Swiss TPH), Bâle, et Université de Bâle; e MSc ETH, MPH, Institut Tropical et de Santé Publique Suisse (Swiss TPH), Bâle; f Prof. Dr, PhD, Institut Tropical et de Santé Publique Suisse (Swiss TPH), Bâle, et Université de Bâle; g Prof. M.D., PhD, Université de Californie (UCLA), Los Angeles, présidente de l’ISEE; h Privat-docent, M.D., MPH, PhD, Lyon; i Prof. M.D., Dr, anciennement Centre Helmholtz de Munich et Université Louis-et-Maximilien de Munich
Résumé
Les particules fines, l’ozone et le dioxyde d’azote sont des polluants atmo­sphériques qui mettent la santé en danger en Allemagne. Leur action nuisible commence dans les poumons, mais ils ont des effets négatifs sur l’ensemble du corps. En 2005, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a révisé les recommandations mondiales relatives aux particules fines, à l’ozone et au dioxyde d’azote pour protéger la santé humaine [1], et elle recommande des valeurs qui sont dépassées dans de nombreux endroits en Allemagne [2]. Nous savons aujourd’hui que ces dépassements raccourcissent la durée de vie et qu’ils provoquent des maladies respiratoires et cardiovasculaires [3]. Depuis 2005, nous avons obtenu davantage de données sur ces trois polluants. L’effet cancérogène des particules fines est désormais communément accepté [4]. Nous pensons également, aujourd’hui [5], qu’elles ­affectent le développement de l’enfant in utero [6, 7], le développement du poumon et du cerveau chez l’enfant [8, 9], et qu’elles favorisent le diabète [10, 11] et la démence [12]. En outre, les études les plus récentes montrent qu’elles sont nuisibles même à des valeurs inférieures aux limites actuelles [13–15]. En particulier, la valeur limite pour les particules fines inférieures à 2,5 µm (PM2,5) fixée par l’Union européenne devrait être significativement abaissée pour protéger la santé publique, et être harmonisée avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé.

Publié le 04.06.2019

Que sont les polluants atmosphériques (les particules fines, l’ozone et les oxydes d’azote)?

Les particules fines sont des particules d’une taille inférieure à 10 micromètres, et leur origine est variée [16]. Les particules fines sont générées par les véhicules à moteur, les centrales thermo-électriques et les chauf­fages, les cuisinières à gaz et les chauffages dans les bâtiments ­résidentiels, et les complexes industriels qui rejettent ­directement des particules. De plus, ces sources de particules fines émettent également des polluants précurseurs gazeux (le dioxyde de soufre et les oxydes d’azote), et les émissions d’ammoniac du secteur agricole contribuent également à la formation des particules fines dans l’atmosphère, ce qui augmente le niveau d’exposition aux polluants [17]. Les particules fines ont également une origine naturelle. Elles sont par exemple une conséquence de l’érosion des sols ou de la libération de particules par les plantes et les micro-­organismes.
Le rayonnement intense du soleil provoque la formation de l’ozone près du sol par des processus photochimiques qui impliquent les polluants précurseurs, ­principalement les oxydes d’azote et les composés ­organiques volatils [18].
Les oxydes d’azote (le monoxyde d’azote et le dioxyde d’azote) sont produits pendant les processus de combustion. Les principales sources d’oxydes d’azote sont les moteurs à combustion et les installations de combustion qui brûlent du charbon, du pétrole, du gaz, du bois et des déchets. Dans les zones urbaines, le trafic routier est la source la plus importante des oxydes d’azote [19]. Les oxydes d’azote sont des précurseurs importants de l’ozone, et ils contribuent à la formation des particules fines.

Comment les polluants atmosphériques (les particules fines, l’ozone et le dioxyde d’azote) agissent-ils dans les poumons?

Les particules fines sont transportées dans les poumons par les voies respiratoires. En particulier, les particules fines dont la taille est inférieure à 2,5 µm vont jusqu’aux voies respiratoires et alvéoles les plus petites. Les particules ultrafines inférieures à 100 nanomètres peuvent également entrer dans la circulation sanguine et accéder ainsi aux autres organes du corps. L’effet des particules est dû à leurs nombreuses propriétés chimiques et physiques, qui génèrent la plupart du temps un stress oxydant et des réactions inflammatoires dans l’ensemble du corps [20]. Les particules que nous respirons ont toujours plusieurs origines. Des études expérimentales ont démontré que les particules issues de la combustion sont particulièrement nocives pour la santé [21].
L’ozone et le dioxyde d’azote (NO2) sont des gaz irritants et oxydants. Ils pénètrent profondément dans les poumons, génèrent un stress oxydant [22], déclenchent des réactions inflammatoires et réagissent avec les structures des parois pulmonaires. L’oxyde nitrique (NO) est sans danger pour le corps [23].
Source: Figure modifiée d’après [5].

Comment les effets des polluants ­atmo­sphériques sont-ils étudiés dans les études scientifiques?

Les expériences sur des cellules en culture, les expériences sur des modèles animaux, les expositions contrôlées de volontaires et les études épidémio­logiques observationnelles permettent d’avoir une ­vision globale des résultats scientifiques obtenus sur les polluants atmosphériques. Au total, plus de 71 000 articles sont actuellement disponibles à ce ­sujet dans la littérature médicale. Les études expérimentales sont principalement utilisées pour étudier les effets néfastes des polluants atmosphériques sur la santé en fonction de leurs propriétés chimiques et physiques, et pour comprendre leurs mécanismes d’action. Les études d’exposition chez l’homme analysent les effets à court terme. Par contre, les grandes études épidémiologiques observationnelles constituent la méthode idéale pour estimer les effets à long terme sur la santé de l’ensemble de la population. En particulier, il convient de citer ici les grandes études de cohorte, qui incluent également des enfants ou des personnes malades.

Quelles sont les maladies causées par les polluants atmosphériques?

Les particules fines peuvent provoquer des maladies pulmonaires et cardiovasculaires, et raccourcir ainsi l’espérance de vie [24, 25]. Leurs effets négatifs vont des problèmes de santé à court terme au décès, en passant par les hospitalisations. Ils peuvent se manifester de manière aiguë lors d’une forte exposition aux particules, ou à la suite d’une exposition prolongée (cf. [3]). Les données sur le cancer du poumon et les maladies cardiovasculaires montrent qu’il existe un lien de causalité, et les données sur les maladies pulmonaires, un lien de causalité probable [26]. Les particules sont également susceptibles de nuire à tout le corps [5], en particulier pendant le développement de l’enfant in utero [6, 7] et le développement pulmonaire et cérébral chez l’enfant [8, 9], et elles favoriseraient le diabète [11] et la démence [12].
L’ozone entraîne à court terme une augmentation de la mortalité par maladies respiratoires ainsi qu’une augmentation des consultations en urgence et des hospitalisations liées à des problèmes respiratoires, et le lien de causalité a été établi [27]. L’augmentation de la mortalité totale et de la mortalité par maladies cardiovasculaires est «probablement causée» par l’exposition à l’ozone à court terme. L’exposition à long terme à l’ozone est corrélée avec une augmentation de la mortalité par maladies respiratoires, une augmentation du nombre des cas d’asthme et une aggravation des symptômes chez les personnes asthmatiques, et le lien de causalité est également jugé comme «probable» [27].
Le dioxyde d’azote contribue à la dégradation de la santé des personnes asthmatiques et le lien de causalité est établi [28, 29]. Le développement des maladies respiratoires est «probablement causé» par l’exposition au dioxyde d’azote [29]. Des études récentes [30–34] et une revue systématique [35] mettent en évidence un lien avec les maladies cardiovasculaires [30–35] et le diabète [35].
Tableau 1   
Polluant atmo­sphériqueEffets sur la santéEvaluationSource
Particule fine (PM2,5)MortalitéCausal[26]


Morbidité des maladies cardiovasculairesCausal[26]
Cancer du poumonCausal[4]
Morbidité des maladies respiratoiresProbablement causal[26]
OzoneEffet à court terme sur la morbidité des ­maladies respiratoiresCausal[27]
Effet à court terme sur la morbidité des ­maladies cardiovasculairesProbablement causal[27]
Morbidité des maladies respiratoiresProbablement causal[27]
Dioxyde d’azoteEffet à court terme sur la morbidité des ­maladies respiratoiresCausal[29]
Morbidité des maladies respiratoiresProbablement causal[29]
Le tableau résume les corrélations significatives basées sur les articles publiés jusqu’en 2016. Le lien de causalité est considéré comme certain s’il existe suffisamment d’études où il est possible d’exclure les relations fortuites, les biais ou les autres variables parasites, et que les corrélations se produisent à des concentrations ayant une incidence sur l’environnement. En général, elles sont prouvées par des études observationnelles et recherches expérimentales. L’expression «lien de causalité probable» désigne les situations où il existe des données évidentes indiquant une causalité, mais qui ne sont pas suffisamment vastes pour satisfaire à tous les critères de causalité.
Cependant, il est possible que les liens de causalité établis ne représentent qu’une partie des effets des polluants atmosphériques sur la santé. La figure ci-dessous (modifiée d’après [5]) résume les effets qui sont observés dans l’ensemble du corps par les études basées sur les populations.
Les conséquences de la pollution atmosphérique ne sont pas cliniquement différentes des conséquences des autres causes. En pratique, le médecin ne peut pas détecter la cause directe d’une crise cardiaque ou d’une crise d’asthme dans la plupart des cas, car de nombreux ­facteurs sont souvent responsables de la survenue de ces maladies.

Points de la discussion actuelle sur les effets des polluants atmosphériques sur la santé

«Fumer est beaucoup plus toxique, et la dose est beaucoup plus élevée. Par conséquent, aucun dommage ne peut être causé à la dose relativement faible de pollution atmosphérique»
Il existe de nombreuses interactions biologiques où la dose et ­l’effet ne sont pas associés de manière linéaire, mais où l’effet cumulé diminue lorsque la dose est augmentée. Citons par exemple le tabagisme: le risque de crise cardiaque ne diffère guère entre une personne qui fume 5 cigarettes par jour et une autre qui en fume 10 par jour. Malgré la grande différence de dose, les deux types de fumeurs courent un risque 100% plus élevé d’avoir une crise cardiaque qu’un non-fumeur [37]. Et, malgré la dose d’exposition beaucoup plus faible, le tabagisme passif régulier augmente le risque de crise cardiaque d’environ 50% par rapport aux personnes qui ne sont pas exposées à la fumée de tabac [38–41]. Une exposition à long terme à 5 μg/m3 de particules supplémentaires augmente d’environ 10% la probabilité d’avoir une crise cardiaque [42]. La relation dose-réponse n’est donc pas linéaire, mais elle diminue à forte dose [37, 43]. Lorsque l’on considère ­correctement cette relation non linéaire, on retrouve une très forte similitude avec les effets des différents polluants atmosphériques. Le tabagisme passif et la faible pollution atmosphérique provoquent des problèmes de santé comparables.
Le tabagisme et la pollution atmosphérique diffèrent également pour d’autres raisons:
– Le schéma d’exposition est différent: fumer provoque une exposition élevée aux polluants de la cigarette, avec des pauses entre chaque cigarette fumée. La pollution de l’air agit en continu, toute la journée et toute l’année, sans interruption.
– Le tabagisme affecte principalement les personnes adultes, alors que la pollution atmosphérique affecte également les bébés à naître, les nourrissons, les enfants asthmatiques et les personnes âgées.
– En principe, il est possible de contrôler sa consommation de cigarettes et d’arrêter de fumer. La pollution de l’air est difficile, voire impossible à éviter.
«Il n’y a pas de schéma typique pour l’intoxication»
Les particules fines, l’ozone et les oxydes d’azote ont un mode d’action typique (à savoir le stress oxydant et les réactions inflammatoires) (p. ex. [20, 44]), ils agissent donc de manière très similaire à la fumée de tabac. Nous connaissons particulièrement les particules fines. Grâce au très grand nombre d’expériences et études observationnelles, nous savons que les particules fines provoquent des réactions inflammatoires dans les poumons et dans tout l’organisme, qu’elles favorisent la formation de caillots sanguins, qu’elles perturbent le rythme cardiaque, qu’elles ­aggravent l’artériosclérose et qu’elles modifient le métabolisme des lipides. De plus, les particules fines arrivent jusqu’au cerveau ou jusqu’au fœtus. Nous constatons les mêmes changements biologiques dans le tabagisme actif et le tabagisme passif. En outre, les mêmes maladies sont observées, à savoir: les crises cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux, les maladies pulmonaires et le cancer du poumon.
«Les décès dus aux particules fines ou aux oxydes d’azote n’existent pas»
Si l’on suit cette logique, alors il est vrai qu’il n’y a pas de décès causés par le tabagisme. Cependant, nous savons que le tabagisme, à l’instar de la pollution atmosphérique, est nocif à long terme et qu’il peut, par exemple, causer des maladies respiratoires ou cardiovasculaires qui peuvent être fatales. Cependant, ces relations ne peuvent être établies qu’en se basant sur des études à long terme, et non sur un seul patient ou un seul décès. Dans la grande majorité des cas, un seul patient ou un seul décès ne peut pas indiquer la manière dont les ­facteurs de risque qui ont causé la maladie ou le décès ont ­interagi. Au ­niveau de la population, ces relations peuvent être perçues comme une diminution de l’espérance de vie ou une durée de vie réduite causées par les polluants atmosphériques.
«Les études ne tiennent pas compte des autres facteurs de risque, et cela entraîne donc une morbidité trop élevée»
C’est faux. Les études épidémiologiques de qualité considèrent avec beaucoup d’attention les autres facteurs de risque de maladies (p. ex. le tabagisme, le manque d’exercice physique, la ­nutrition, l’éducation, le niveau de revenus, etc.). Les méthodes acceptées d’une étude observationnelle de qualité (étude épidémiologique) exigent explicitement que tous les autres facteurs de risque de la maladie soient pris en compte.
Il est également faux de dire que les études comparent uniquement les populations rurales avec les populations urbaines. Au contraire, la plupart des études comparent aujourd’hui des ­populations urbaines qui sont différemment exposées aux ­polluants. Pour ce faire, les concentrations des polluants atmo­sphériques à long terme sont déterminées pour chaque adresse résidentielle.
«Les limites pour le dioxyde d’azote aux Etats-Unis sont plus de deux fois plus élevées. Cela prouve donc que le dioxyde d’azote ne peut pas être si mauvais»
Ce n’est pas entièrement vrai. En fait, la valeur limite fixée pour le dioxyde d’azote aux Etats-Unis est de 100 µg/m3. Elle est donc supérieure à la limite de 40 µg/m3 en vigueur dans l’Union ­européenne. Les Américains ont cependant des règles beaucoup plus strictes pour les émissions, c’est-à-dire la quantité d’oxydes d’azote émise par les véhicules. Ils réglementent ­directement à la source polluante, c’est-à-dire au niveau du ­véhicule. Par conséquent, il est nécessaire de mettre spécialement à niveau les voitures allemandes en circulation aux ­Etats-Unis. A l’heure actuelle, l’UE tolère 270 mg/km d’oxydes d’azote à l’émission, tandis que la classe de pollution la plus élevée aux Etats-Unis est de 100 mg/km (oxydes d’azote et ­méthane organique), avec une moyenne pour l’ensemble de la flotte inférieure fixée à 20 mg/km. En revanche, l’UE a suivi les recommandations de l’OMS, et elle a adopté la valeur de ­référence recommandée par l’OMS pour le dioxyde d’azote ­atmosphérique (immission). Donc, l’UE prend davantage en compte la concentration des polluants que nous respirons ­réellement.
Pour la réglementation de la qualité de l’air, les différents ­polluants tels que les particules fines et le dioxyde d’azote doivent également être pris en compte. Les Etats-Unis ­réglementent les particules fines avec une limite très stricte de 12 μg/m3 pour les PM2,5. En revanche, dans l’UE, la valeur limite pour les particules fines est plus de deux fois plus élevée, c’est-à-dire 25 µg/m3.

Les effets des polluants atmosphériques sont-ils indépendants les uns des autres?

Les polluants atmosphériques réglementés (les particules fines, l’ozone et le dioxyde d’azote) ont des origines communes. Par conséquent, ils se manifestent souvent en même temps et dans les mêmes lieux, puis ils agissent ensemble sur le corps humain [36]. En outre, il existe d’autres polluants dans l’air, comme p. ex. la suie, les particules ultrafines, des particules minuscules de l’ordre du nanomètre, ou les hydrocarbures organiques, qui peuvent coexister avec les particules fines et le dioxyde d’azote [3]. En particulier, ce qui concerne le dioxyde d’azote, la question est posée de savoir si les ­effets à long terme sont dus au dioxyde d’azote seul ou s’ils résultent d’un mélange de polluants où le dioxyde d’azote agit comme un indicateur [3]. Il est urgent de poursuivre et approfondir les recherches pour pouvoir élaborer des recommandations supplémentaires, en particulier pour la suie et les particules ultrafines [3].
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