Il est déjà trop tard

Briefe / Mitteilungen
Édition
2019/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.17553
Bull Med Suisses. 2019;100(06):166

Publié le 06.02.2019

Il est déjà trop tard

Les Drs René Bloch et Gilles Chardon ont exprimé récemment dans le BMS leurs légitimes inquiétudes en lien avec le réchauffement climatique et l’effondrement des écosystèmes. Ils laissent encore entendre que des mesures immédiates permettraient d’éviter la catastrophe qui vient.
Dans les faits il est déjà trop tard quoiqu’on fasse pour éviter l’effondrement de la civilisation thermo-énergétique. Sur ce sujet je ne peux que recommander la lecture de l’excellent livre de Pablo Servigne et Raphael Stevens intitulé Comment tout peut s’effondrer.
Il est intéressant de constater que dans le rapport Meadows de 1972, intitulé Halte à la croissance, les auteurs avaient modélisé l’impact de la croissance démographique sur les ressources environnementales. Si aucune mesure n’était prise, un décrochement de l’économie et de l’agriculture était envisagé entre 2021 et 2025, et un effondrement total avant la fin du 21e siècle. A l’époque cette prévision était faite sans prise en compte du réchauffement climatique que nous connaissons, facteur aggravant.
L’effondrement a d’ailleurs déjà commencé. La crise est systémique, climatique, biologique, financière, politique, sociale et morale. L’extinction des espèces est massive avec pollutions multiples et généralisées. L’épuisement des principales ressources est en cours, y compris celles qui seraient censées être utilisées pour des technologies substitutives dites propres. Compte tenu de l’inertie du système et des boucles de rétroaction, l’extinction des espèces comme le réchauffement climatique ne peuvent plus être freinés, et vont au contraire s’accélérer.
L’élévation de la température ne pourra pas être limitée à 1,5 °C comme espéré et on s’achemine vers les projections les plus pessimistes du GIEC, +3, 4, 5 voire +7 °C d’ici 2100. Dans un rapport interne de 2017, les sociétés BP et Shell prévoyaient des changements de l’ordre de +5 °C de moyenne en 2050.
Joachim Schellnhuber, spécialiste du climat, indique qu’au-delà d’une augmentation de 2 degrés de température moyenne globale apparaissent des changements de type qualitatif imprévisibles. On entre alors dans un monde qu’il appelle la terra quasi incognita. La terre va se transformer en une étuve impropre à l’agriculture et probablement hostile à toute vie humaine. Voilà notre horizon d’ici une à deux générations.
Ce constat sombre ne doit pas nous empêcher de nous mobiliser, au contraire. Se mobiliser c’est s’informer et informer, essayer de lutter contre le déni massif protecteur contre l’angoisse. Selon les historiens, une très grande majorité de la population ne pensait pas possible un conflit a la veille de la déclaration de la 2e Guerre mondiale.
Se mobiliser, c’est aussi se préparer moralement et spirituellement pour les temps ­difficiles à venir, en particulier en intégrant/développant au maximum des réseaux de solidarité et de partage. Comme médecins, nous serons amenés à accompagner dans la souffrance des milliers de personnes qui auront besoin de déposer leur vérité, faire preuve avec elles d’empathie, d’endurance et de ­résilience. Comme l’écrit Servigne, les crises peuvent nous détruire ou nous faire grandir. Pour grandir, nous devons regarder la mort en face. Apprendre à mourir non pas en tant qu’individus mais en tant que civilisation.