A quoi sert la réforme des études?

Zu guter Letzt
Édition
2019/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2019.17534
Bull Med Suisses. 2019;100(07):236

Affiliations
Prof. Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 13.02.2019

«It is difficult to answer the question whether we are producing better doctors. There is no solid definition of what constitutes a good doctor» [1].
Déjà comme étudiant je me suis intéressé à l’enseignement. Mécontents de celui qui nous a été donné, quelques collègues et moi avions proposé une réforme des études au doyen de l’époque. Il avait répondu que l’enseignement pourrait en effet être amélioré, mais que ce n’était pas l’affaire des étudiants, qui en conséquence n’avaient rien à dire! Arrivé à Genève comme professeur en 1986, il m’a fallu constater que l’enseignement en médecine n’avait guère changé depuis mes études: je donnais mes cours à ma guise, sans aucune instruction ni concertation avec mes collègues de médecine interne, sans parler des autres disciplines précliniques ou cliniques. Suite à une plainte des étudiants concernant la mauvaise qualité de l’enseignement, un groupe de travail auquel j’ai eu la chance de pouvoir participer s’est formé et a vite réalisé qu’une réforme approfondie était nécessaire. Mais d’abord il nous fallait acquérir quelques principes de base en ­pédagogie, qui nous faisaient terriblement défaut, comme «enseigner n’est pas apprendre» ou «c’est l’étudiant et pas le professeur qui est au centre des préoccupations»! Auparavant jamais ni les besoins d’apprentissage (tant pour la société que pour les étudiants) ni les objectifs n’avaient été définis et par conséquence l’évaluation des étudiants était arbitraire. Chaque professeur parlait de ce qu’il voulait, souvent sans grande préparation, et les cours n’étaient guère suivis par les étudiants.
Une fois les objectifs d’apprentissage définis et les examens adaptés aux objectifs, l’enseignement par disciplines fut abandonné et remplacé par l’apprentissage par problèmes par une approche coordonnée et multidisciplinaire. Les cours furent mieux structurés voire remplacés par des tutoriaux et des ateliers pratiques pour rendre les étudiants plus actifs. L’apprentissage fut évalué aussi bien par les membres de la faculté que par les étudiants. Après quelques années de préparation cette réforme des études fut introduite en 1995. Par la suite la faculté de médecine de Genève a reçu d’excellentes évaluations de l’Agence suisse d’accréditation et d’assurance de qualité et la satisfaction des étudiants est devenue et resté très haute.
Une question irritante, par ailleurs commune à tous les niveaux de l’enseignement, du jardin d’enfants jusqu’à l’université en passant par l’école primaire et secondaire, reste cependant en suspens. Est-ce que l’innovation pédagogique a eu pour résultat de meilleurs diplômés? Un article récent donne une indication dérangeante: les médecins issus des facultés les mieux cotées des Etats-Unis ne fonctionnent guère mieux que ceux qui ont étudié dans des facultés moins bonnes [2]. D’autres recherches montrent que c’est plutôt la qualité des cursus postgradués qui fait la différence [3, 4].
L’effort des facultés pour réformer les études est-il donc vain? Je ne pense pas. Tout d’abord l’enseignement dans nos facultés avant les réformes était clairement insuffisant et beaucoup de professeurs négligeaient tout simplement leur tâche. Abandonner l’enseignement par discipline au profit d’un enseignement par objectifs a forcé les membres de la faculté des sciences de base et ceux des sciences cliniques à se réunir (et donc à se connaître!) afin de définir ensemble les objectifs et l’évaluation. Cela a soudé leur collaboration et, par effet indirect, pourrait bien avoir stimulé la recherche translationnelle. Susciter l’enthousiasme des étudiants à apprendre est un but en soi et vaut l’engagement. Enfin orienter le but principal de l’enseignement vers les besoins de la communauté est devenu aujourd’hui d’autant plus important, qu’il a été démontré que l’exposition précoce à la médecine de premier recours lors des études, ainsi que la quantité de la qualité de l’enseignement dans ce domaine influence directement le choix de carrière des étudiants et peut ainsi servir à combattre la pénurie des médecins de famille [5, 6]. Mais pour qu’ils deviennent de bons médecins praticiens, les efforts visant à organiser un curriculum postgradué de haute qualité doivent absolument être maintenus. Et en ce domaine, il reste encore beaucoup à faire en Suisse…