Pourquoi les Addictologues, nérveux, réagissent si excessivement ?

Briefe / Mitteilungen
Édition
2018/5152
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.17434
Bull Med Suisses. 2018;99(5152):1830

Publié le 19.12.2018

Pourquoi les addictologues, nerveux, réagissent-ils si excessivement?

L’article «Bons arguments, conclusions erronées» laisse les lectrices/lecteurs perplexe. Car contre la question de J. Barben, «Cannabis-Legalisierung – wer profitiert davon?» [1], on sort l’artillerie à gros calibre: au nom de la Swiss Society of Addiction Medicine et du Collège Romand de Médecine d’Addiction, avec «la participation» d’une longue liste d’autres professionnels, cinq auteurs concluent, à partir des «prémisses P1–P4», que «la conclusion tirée dans l’article constitue en fait une grave erreur logique». Il est question de «harengs fumés», de «malhonnêteté intellectuelle» et d’«arguments ad personam».
La lecture attentive permet de reconnaître que les auteurs se servent d’un procédé qui consiste à formuler l’argumentation d’un adversaire de manière extrême pour mieux lui tirer dessus. Car, malgré tout, les prestigieux logiciens sont d’accord avec Barben qu’«il est incontestable que la consommation de cannabis peut avoir des effets négatifs aux niveaux de la santé individuelle et publique. Les adolescents constituent un groupe particulièrement vulnérable.» Et: «Nous convenons avec le collègue Barben que toute réglementation du marché du cannabis devrait inclure un contrôle strict des conflits d’intérêts financiers. En effet, l’intérêt de l’industrie du tabac pour un marché en mutation légale risque d’être un des risques les plus importants.»
Barben, avec le titre de son article, a posé la question légitime à qui pourrait bien profiter la légalisation du cannabis. Il n’a pas proposé la «prohibition» en tant que seule solution, comme le prétendent ses adversaires. Ce terme est utilisé par Zullino et al. Après l’avoir démonté, paradoxalement, ils concluent: «En somme, les ­arguments de Barben sont donc bien adaptés pour soutenir la réglementation du marché du cannabis. Le grand mérite de son article est la mise en évidence des pièges possibles.»
Est-ce que la nervosité des addictologues proviendrait du fait que dans le passé ils n’auraient pas, eux-mêmes, avec suffisamment de force insisté sur les pièges cruciaux d’un tel marché dans la discussion avec les avocats de la légalisation? Non seulement la plante ne devrait pas être manipulée (comme c’est le cas avec les produits du tabac), mais aussi la publicité, la promotion et le parrainage en faveur de la banalisation et de la consommation doivent être proscrites. Car banal, le cannabis ne l’est certainement pas. Et, pour cette raison, l’Etat ne devrait pas permettre la publicité selon le principe «pour un produit légal, on doit légalement pouvoir faire de la publicité» (Filippo Lombardi, conseilleur aux Etats PDC/TI, président de CommunicationSuisse). Pour certains, possiblement, le cannabis n’est pas à sa bonne place dans la loi sur les stupéfiants, car elle interdisait la consommation ­individuelle. Mais «légalisation» dans le sens du libre accès au marché n’est certainement pas mieux. De manière pragmatique, il serait plus intelligent de parler d’une «décriminalisation» de la consommation dans un marché strictement régulé qui ne tolère pas ni manipulation du produit, ni sa banalisation… et qui devrait le mieux possible empêcher les dealers de s’enrichir sur le dos de ceux qui en deviennent dépendants, comme c’est le cas avec le jeu d’argent, l’alcool, toutes sortes de produits à base de nicotine, et d’autres drogues, et cela trop souvent avec la bénédiction de l’Etat.