Les personnes socialement défavorisées sont également plus malades

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Édition
2018/50
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.17384
Bull Med Suisses. 2018;99(50):1778-1779

Affiliations
Journaliste indépendant et photographe, conseiller médiatique, Berne

Publié le 12.12.2018

«Les pauvres vivent moins longtemps que les riches et sont plus souvent malades»: tel était déjà le constat fait par l’Organisation mondiale de la Santé en 2004 dans une enquête approfondie intitulée Les déterminants sociaux de la santé. En d’autres termes: les inégalités sociales sont l’une des principales raisons à la disparité en matière de santé. Des études et des projets actuels réalisés en Suisse sont là pour confirmer ces faits.
Les derniers résultats de l’enquête suisse sur la santé, menée depuis 1992 par l’Office fédéral de la statistique (OFS), viennent d’être publiés. Les thèmes abordés sont entre autres axés sur les activités physiques, la consommation de tabac et d’alcool ou l’alimentation, donc sur le surpoids et l’obésité. Un exemple dans lequel non seulement des prédispositions purement ­génétiques jouent un rôle important comme facteurs déterminants, mais aussi des éléments sociaux tels que le niveau de formation, les revenus, l’intégration sociale, les conditions de vie et de travail, les comportements en matière de santé et les habitudes culturelles.

Exemple du surpoids

L’OFS s’intéresse à un exemple majeur dans l’analyse de son enquête sur la santé: «Il existe un important gradient social en matière d’obésité. Les personnes avec un niveau de formation correspondant à l’école obligatoire ont nettement plus de risques de souffrir d’obésité que celles avec une formation universitaire.» Les personnes ayant un niveau de formation moins élevé risquent donc davantage de développer des maladies cardio-vasculaires, du diabète, certains types de cancers (en particulier cancer du sein et du côlon) ainsi que des maladies du système moteur telles que de l’arthrose. Le spécialiste de l’OFS, Marco Storni, explique ainsi ce phénomène: «Les différences sociales se répercutent dans de nombreux domaines, aussi bien au niveau des comportements en matière de santé que sur l’état de santé ou en termes de visites chez le médecin.» La prévention joue ici un rôle déterminant: «Dans de nombreux contextes liés par exemple à la cigarette, à l’alimentation et à l’activité physique, les personnes mieux placées sur l’échelle sociale prennent plus souvent conscience de leur santé que les personnes plus défavorisées.»

Egalité des chances et santé

L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) vient lui aussi de publier de nouveaux chiffres et faits sur le sujet sous le titre de Egalité des chances et santé. Il en ressort deux conclusions frappantes: «L’espérance de vie varie selon le lieu de résidence. Plus le statut socio-économique est bas dans une commune ou dans un quartier, moins l’espérance de vie y est élevée.» Et: «Les gros fumeurs sont surreprésentés dans la catégorie des personnes avec un niveau de formation plus bas. Le risque de développer un cancer du poumon est presque six fois plus élevé chez les personnes à bas revenu que chez celles ayant un revenu plus élevé.»
L’enquête de l’OFSP montre en outre qu’un bon niveau de formation et des revenus suffisants favorisent non seulement la santé physique, mais aussi psychique.

Et maintenant?

Que pouvons-nous faire pour améliorer l’égalité des chances? L’OFSP écrit dans ce contexte que les efforts se sont surtout concentrés jusqu’à présent sur la thématique de la migration. Mot-clé: interprètes interculturels. Existe-t-il de nouvelles tendances? Karin Gasser, codirectrice de la section Egalité des chances en matière de santé de l’OFSP, reste vague: «Nous faisons tout pour que les stratégies nationales de santé publique soient réalisées de façon à prendre en compte les groupes défavorisés de la population. Nous voulons aussi clarifier comment atteindre ces groupes du mieux possible, avec quels messages et par quels canaux. Une publication sur les facteurs de réussite de la prévention et de la santé égalitaires sera éditée en 2019.» Le groupe des personnes concernées par la pauvreté, parmi elles 
des bénéficiaires de l’aide sociale, est désormais aussi au centre des préoccupations. «Le problème est que la Suisse manque d’études représentatives sur cette thématique.»

Et les médecins?

Comme l’explique sa représentante, l’OFSP lui-même met rarement en œuvre des projets, cette question étant de l’ordre des prestataires.
Nous posons la question à Julia Dratva, médecin, scientifique et spécialiste de santé publique. Elle dirige à la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) le département de recherche Santé publique et elle est en outre présidente de la Société suisse des médecins spécialistes en prévention et santé publique (SGPG). Selon Julia Dratva, «il s’agit sur le fond de maintenir l’équilibre entre les possibilités médico-techniques et le besoin qu’ont les individus de communiquer avec leur médecin.» Donc une médecine personnalisée? «La médecine personnalisée ne signifie malheureusement pas que la médecine devienne plus personnelle, mais plus spécifique. La tendance à revaloriser une forme de médecine, également au niveau tarifaire, et à dévaloriser l’autre, nous mène dans une impasse.»
La prévention revient toujours au centre du débat. Julia Dratva explique ainsi cet état de fait: «Le monde ­politique aime mettre en avant la prévention comportementale, qui rejette la responsabilité sur chacun. En notre qualité de médecins, nous devons assumer 
nos responsabilités au niveau de la médecine axée sur l’individu, mais aussi sur la population dans son ensemble. Les médecins doivent se considérer comme des avocats de la population et s’engager, même au ­niveau politique, pour des conditions de vie saines pour toutes et tous, et en particulier pour les groupes vulnérables.»
Car il ne s’agit justement pas seulement de santé, mais aussi d’égalité des chances.
Daniel Lüthi
dl[at]dlkommunikation.ch