Document de base de la DDQ/ASQM

La collaboration interprofessionelle sous l'angle de la qualité

FMH
Édition
2018/44
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.17276
Bull Med Suisses. 2018;99(44):1524-1529

Affiliations
a lic. phil. hum., collaboratrice scientifique DDQ/ASQM; b lic. rer. oec., cheffe de la division DDQ; c Dr méd., vice-président de la FMH, ­responsable du ­département DDQ/ASQM

Publié le 31.10.2018

En se fondant sur la littérature scientifique, la division Données, démographie et qualité (DDQ) de la FMH rédige des documents de base sur différents thèmes relatifs à la qualité. Publiés dans le Bulletin des médecins suisses, ils servent de référence à la FMH pour se prononcer officiellement dans un document intitulé «Prise de position de la FMH». Nous vous présentons ici le document de base et la prise de position de la FMH consacrés à la collaboration interprofessionnelle sous l’angle de la qualité.
Se réunir est un début; rester ensemble est un progrès; travailler ensemble est la réussite. (Henry Ford)
Dans le secteur de la santé, la collaboration interprofessionnelle a toujours fait partie du quotidien. Elle suscite cependant un intérêt croissant depuis quelques années, comme le montre la figure 1: en 2017, la base de données PubMed contenait 224 articles sur le sujet. Le nombre de publications a donc pratiquement été multiplié par cinq entre 2010 et 20171.

Résumé

Le terme de «collaboration interprofessionnelle» (CIP) désigne la collaboration entre plusieurs personnes exerçant des professions différentes. ­Cependant, les points de vue sur ce que l’on entend concrètement par «collaboration» divergent. Les objectifs assignés à la collaboration interprofessionnelle différent également: garantir la coordination des soins, gérer la pénurie de professionnels de santé, valoriser les professions non médicales, améliorer la qualité des soins et la sécurité du patient.
Dans la pratique, les modalités et l’intensité de la collaboration interprofessionnelle varient selon le contexte clinique et la situation des patients. Divers facteurs entrent en jeu à plusieurs niveaux (différents professionnels, interactions entre ceux-ci, contexte organisationnel et système social).
Faisant souvent partie de mesures visant à améliorer la qualité (itinéraires cliniques interprofessionnels, évaluations par les pairs ou cercles de qualité, p. ex.) ou d’un modèle de prise en charge intégrée, la collaboration interprofessionnelle est favorisée par le niveau de formation, mais aussi par les interventions organisationnelles et pratiques. Pour le moment, les chercheurs ne peuvent pas encore dire si et dans quelles circonstances elle contribue à améliorer la sécurité du patient et la qualité des soins, ni en évaluer le rapport coût-bénéfice.
Cette évolution ne se limite pas à la santé ni à la collaboration interprofessionnelle. Dans les années 1990 et 2000, la collaboration (travail en équipe) s’est amplifiée dans nombre de secteurs et de professions du fait de la spécialisation croissante, de l’accroissement rapide des connaissances et des nouvelles valeurs adoptées dans le monde du travail [1, 2].
Figure 1: Nombre d’articles publiés dans PubMed ayant «Interprofessional Collaboration» dans le titre/abstract (graphique des auteurs).
Au fait, qu’attend-on de la collaboration interprofessionnelle? On distingue quatre lignes argumentatives qui se recoupent partiellement, mais qui peuvent aussi conduire à des conflits d’objectifs.

a) Faire face à la spécialisation croissante et à la polymorbidité

En raison de l’accroissement exponentiel des connaissances et de la spécialisation accrue qu’il induit, les soins sont de plus en plus fragmentés. Il arrive souvent que des professionnels de différentes disciplines et organisations actives dans le domaine de la santé participent au traitement d’un patient. C’est notamment le cas pour les patients atteints de maladies chroniques et multiples (polymorbidité), dont le nombre ne cesse d’augmenter. La collaboration interprofessionnelle s’avère donc indispensable [3–5].

b) Répondre à la pénurie de médecins et économiser des coûts

La collaboration interprofessionnelle est vue, entre autres par l’OMS [4], comme une stratégie permettant de répondre à la pénurie de professionnels de santé, notamment de généralistes, qui se dessine. Pour que les médecins puissent consacrer davantage de temps à leurs patients, il faut que d’autres groupes professionnels prennent en charge certaines de leurs tâches ou les aident à accomplir le travail administratif. En partie, on espère aussi que les soins de santé deviennent ainsi plus avantageux en termes de coûts [5, 6].

c) Valoriser les professions non médicales

La collaboration interprofessionnelle est également considérée comme un moyen de valoriser les groupes professionnels non médicaux (en particulier le personnel infirmier), dans le but de réduire les hiérarchies, de définir des domaines de compétences autonomes et de renforcer l’attractivité de la profession [7, 8].

d) Améliorer la qualité des soins, la sécurité du patient et le centrage sur le patient

Pour les professionnels de santé, la collaboration interprofessionnelle permet une amélioration de la qualité des soins et de la sécurité du patient, mais aussi une prise en charge globale centrée sur le patient [4, 9].
Le présent document développe le dernier point de vue cité, sans pour autant exclure les trois premiers. Il propose une synthèse de la collaboration interprofessionnelle sous l’angle de la qualité en montrant pourquoi le sujet est actuel, dans quelle mesure la collaboration interprofessionnelle est importante pour les questions de qualité, si elle permet réellement d’améliorer la qualité des soins et comment elle est mise en œuvre dans des projets concrets. Les organisations médicales, les médecins et tous ceux qui s’intéressent à la collaboration interprofessionnelle y trouveront les bases scientifiques dont ils ont besoin.
Le sujet de la formation interprofessionnelle, qui est étroitement lié à celui de la collaboration interprofessionnelle, et le débat sur une nouvelle répartition des tâches entre les professionnels de santé (reprise d’activités médicales par des infirmières de pratique avancée, p. ex.) ne sont pas traités en détail.

1. Définition de la collaboration interprofessionnelle: un concept aux acceptions multiples

Les chercheurs ne sont pas encore parvenus à se mettre d’accord sur la définition de la collaboration interprofessionnelle. Ils déplorent que le concept ne soit pas ­défini du tout, ou alors pas assez clairement, et que le terme ne soit pas différencié par des déterminants, des processus et des résultats [10, 11]. L’OMS [12] utilise la définition suivante: «Collaboration occurs when two or more individuals from different backgrounds with complementary skills interact to create a shared understanding that none had previously possessed or could have come to on their own2 Ce qui est sûr, c’est qu’au moins deux personnes ayant des profils professionnels différents sont impliquées3.La définition de l’OMS comporte encore les deux éléments suivants: l’interaction et la compréhension partagée. Dans leur évaluation de modèles conceptuels de collaboration interprofessionnelle, Gagliardi et al. [13] mentionnent également, en plus de l’interaction, les objectifs thérapeutiques partagés et les décisions partagées, tandis que, dans leur résumé des définitions utilisées, D’Amour et al. décrivent la collaboration interprofessionnelle comme un processus et citent les éléments suivants:
– Partage: des responsabilités, des décisions, des valeurs, de la planification, des perspectives, p. ex.
– Partenariat: dans le sens de relation collégiale, communication ouverte, confiance et respect, prise en compte du point de vue et de la contribution des autres membres de l’équipe, p. ex.
– Interdépendance: conscience que les professionnels dépendent les uns des autres pour atteindre les objectifs
– Pouvoir: partagé entre les membres de l’équipe, non fondé sur la hiérarchie, p. ex.
Ce qui fait exactement la spécificité de la collaboration interprofessionnelle reste donc diffus. Ce flou se reflète aussi dans les descriptions et les définitions [3, 12, 14]: 
la collaboration interprofessionnelle est bien plus que la somme des compétences individuelles des professionnels impliqués et ne se limite pas à la coordination, à la coopération et à la communication; il s’agit aussi d’établir des synergies et de créer quelque chose de nouveau.
Le désaccord ne touche pas seulement les différents éléments de la définition, mais aussi l’intensité de la collaboration. C’est pourquoi Careau et al. [15] ont développé un modèle comprenant cinq types de collaboration interprofessionnelle, qu’ils placent sur un continuum de complexité et d’intensité croissantes (voir fig. 2). Ce modèle a été mis au point pour le domaine de la réhabilitation, mais s’applique certainement à d’autres contextes cliniques. Le premier type représente la prise en charge totalement indépendante du patient par les professionnels de santé. Ceux-ci travaillent ensemble avec le patient, qui participe à la prise de décision (selon le processus de décision partagée4). Au sens large, les types 2 à 5 sont des modes de collaboration interprofessionnelle qui, dans la pratique, sont adaptés à la situation et aux besoins des patients et de leurs proches. Seul le type 5 de la prise en charge partagée correspond à la collaboration interprofessionnelle au sens strict.
Figure 2: Le continuum de la collaboration interprofessionnelle selon Careau et al. [15].
La collaboration interprofessionnelle dépend fortement du contexte dans lequel elle est pratiquée. En chirurgie ou en médecine intensive, elle se déroule dans des schémas d’action clairement définis et coordonnés, placés sous la direction des médecins. Dans le cadre de projets temporaires ou difficiles à organiser, tels qu’une table ronde, des tumor boards ou d’autres canaux de communication, il s’agit surtout de concertation et de coordination. En revanche, dans les soins palliatifs, des professionnels exerçant des métiers différents cherchent ensemble avec le patient des solutions très individualisées, sans qu’aucune profession ne domine [8].
De nombreux concepts connexes viennent s’ajouter à cet usage varié du terme: collaboration interdisciplinaire, multidisciplinaire et transdisciplinaire, travail en équipe, continuité thérapeutique, soins coordonnés et intégrés [10, 13]. Ils sont parfois utilisés comme synonymes pour la collaboration interprofessionnelle, parfois pour désigner des notions connexes mais non équivalentes, dont la définition est souvent aussi peu précise que celle de la collaboration interprofessionnelle.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la qualité de la collaboration interprofessionnelle soit perçue de manière très diverse. Une étude [17] a ainsi révélé que la qualité du travail en équipe est jugée moins bonne par le personnel infirmier et les médecins-assistants que par les médecins cadres. Selon Makary et al. [18], les chirurgiens considèrent que la collaboration avec d’autres groupes professionnels est très bonne, tandis que le personnel infirmier estime que la collaboration avec les chirurgiens est relativement mauvaise. Cette différence de perception pourrait être due au fait que, pour le personnel infirmier, la collaboration interprofessionnelle correspond à la prise en compte de leurs points de vue, alors que les médecins attendent que leurs instructions soient suivies et leurs besoins anticipés.

2. Efficacité de la collaboration interprofessionnelle: beaucoup d’études, peu de réponses

Les incidents liés à la sécurité du patient sont souvent dus à des erreurs survenues dans la coopération et la communication [5, 19, 20]. Selon des études réalisées à la suite d’incidents, 22 à 32% des cas pourraient s’expliquer par des problèmes au niveau de la communi­cation ou du travail en équipe [17]. C’est pourquoi les professionnels de santé espèrent qu’une meilleure collaboration interprofessionnelle leur permette d’augmenter la sécurité du patient, de prendre des décisions plus judicieuses et plus globales, de soigner leurs patients de manière mieux coordonnée et donc mieux ciblée, et, ainsi, de contribuer à améliorer la qualité des soins. Dans son rapport «Crossing the quality chasm: A new health system for the 21st century» (2001), ­l’Institute of Medicine réclame lui aussi davantage de coopération et une bonne communication intégrant les connaissances et l’expérience de tous les membres de l’équipe [3].
C’est la raison pour laquelle la collaboration interprofessionnelle et le travail en équipe en général suscitent actuellement un grand engouement. De nombreuses personnes travaillent volontiers avec d’autres, car cela leur permet de satisfaire un besoin fondamental de ­sociabilité et d’exercer une influence. On apprend mieux les uns des autres et les retours d’information sont mieux pris en considération [21]. Cependant, la recherche en psychologie sociale a montré que certains processus de dynamique de groupe peuvent aussi ­freiner l’émergence d’idées nouvelles et conduire les membres d’une équipe à relâcher leurs efforts, ce qui les empêche parfois de trouver les meilleures solutions et de prendre les décisions les plus judicieuses [1, 14, 21, 22]. L’idée que la collaboration interprofessionnelle permet automatiquement d’améliorer la prise de décisions, les performances des équipes et les résultats pour les patients ne correspond donc guère à la réalité. Il faudrait plutôt se demander dans quelles circonstances quel mode de collaboration interprofessionnelle permet d’améliorer la qualité des soins.
Les chercheurs sont encore loin de pouvoir répondre à cette question, même si la collaboration interprofessionnelle et les concepts connexes font l’objet d’une multitude de travaux dans de nombreuses disciplines (psychologie, sciences de l’éducation, sociologie, médecine, soins, p. ex.). Dans leur propre revue de la littérature, Brandt et al. [23] citent seize autres synthèses bibliographiques sur le thème de l’interprofessionnalité. Peu d’études sont cependant consacrées aux résultats de santé pour les patients et au rapport coût-bénéfice. Une revue de Cochrane [11] portant sur neuf interventions de collaboration interprofessionnelle conclut qu’il n’y a pas assez de données probantes sur l’efficacité de celles-ci, bien que quelques études puissent démontrer un effet sur la qualité des soins. Une revue sur les services hospitaliers de médecine interne [24] montre que dans une majorité des études d’intervention aucune influence n’a pu être attestée sur la durée du séjour, le taux de réhospitalisation ou la mortalité. Il faut plutôt s’attendre à un certain effet sur les complications, qui ont été réduites dans la moitié des études d’intervention. Une autre revue [25] portant spécifiquement sur la collaboration interprofessionnelle dans le traitement ambulatoire des personnes âgées montre, pour la plupart des études, une amélioration des processus et de la satisfaction des patients, ainsi que pour la moitié des onze études une amélioration des résultats au niveau de la santé et des fonctions. Une étude réalisée à la demande de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) [26] indique également que les données disponibles ne permettent pas d’affirmer catégoriquement que les résultats de santé pour les ­patients se sont améliorés, mais que de nombreuses études qualitatives font notamment état d’une satisfaction accrue des professionnels de santé (en particulier dans les professions non médicales), d’une prise en charge plus globale des patients, de temps d’attente plus courts ainsi que d’une meilleure autogestion et satisfaction des patients.
Dans l’ensemble, ces études conduisent à des résultats contradictoires et leur qualité ne permet pas de confirmer ni d’infirmer l’hypothèse d’une amélioration de la sécurité du patient et de la qualité des soins, et ce pour plusieurs raisons [11, 14, 27]:
– Par manque de consensus sur les termes et les définitions, il est difficile de comparer les différentes études.
– Les travaux de recherche n’utilisent pas assez d’hypothèses concrètes, dérivées de la théorie.
– Il n’y a pas assez de travaux de recherche sur les processus de la collaboration interprofessionnelle et pas assez d’outils d’enquête.
– L’aspect de l’interprofessionnalité est souvent une composante parmi d’autres d’interventions multimodales visant à améliorer la qualité (itinéraires cliniques, check-lists, p. ex.), de sorte que l’effet spécifique de la collaboration interprofessionnelle ne peut pas être distingué de l’approche en soi.
– Les objectifs des études d’intervention sont fixés de façon très générale, sans tenir compte des résultats de santé visés et des périodes de mesure choisies.
– De nombreuses études d’intervention CIP se réduisent à une simple comparaison avant-après, sans groupe de référence, ce qui empêche de tirer des conclusions sur l’efficacité.
– Les professionnels, les contextes cliniques et les populations de patients concernés sont très divers.

3. Conditions favorisant et entravant la collaboration interprofessionnelle

Pour la mise en œuvre pratique, il est important de ­savoir quelles conditions sont favorables à la collabo­ration interprofessionnelle et lesquelles lui sont dé­favorables. Un grand nombre d’études qualitatives, de travaux de synthèse bibliographique réalisés dans des domaines de recherche proches (dont les résultats ne peuvent pas forcément être généralisés) et d’avis d’experts traitent de la question. Basée sur le modèle de D’Amour et Oandasan [4], la figure 3 représente les principaux facteurs influant sur la collaboration interprofessionnelle [1, 5, 28–30]. Cependant, on ne dispose pas de suffisamment de données probantes pour évaluer l’influence respective de ces facteurs sur la collaboration interprofessionnelle ni pour déterminer dans quelles circonstances ils sont importants [29].
Figure 3: Facteurs postulés influant sur la collaboration ­interprofessionnelle [1, 4, 5, 28–30].
Le modèle est centré sur le patient et ses proches, puisque toutes les personnes concernées poursuivent le même objectif avec le patient, à savoir une prise en charge optimale. C’est pourquoi la collaboration interprofessionnelle est fortement entravée lorsque les groupes professionnels se querellent pour défendre leur «territoire» [31]. Elle porte ses fruits quand une équipe parvient à développer une perception commune du patient et que ses différents membres obtiennent, traitent et interprètent l’information de ­manière semblable (selon le «shared mental model»). Les informations et les connaissances spécifiques aux tâches, les connaissances sur les membres de l’équipe et sur leurs rôles ainsi que les conceptions et convictions sont ainsi partagées par tous les membres de l’équipe [1]. Des divergences au niveau des concepts, des perceptions et des priorités dans le traitement, par exemple un point de vue biomédical s’opposant à un point de vue psychosocial, représentent par contre un défi pour la collaboration interprofessionnelle [9].
Dans l’anneau suivant du modèle, la difficulté des tâches laisse entendre que l’intensité de la collaboration interprofessionnelle doit s’adapter à la complexité de la situation (voir fig. 2). La collaboration interpro­fessionnelle dépend de façon décisive des professionnels de santé concernés, notamment de leur volonté de collaborer et de prendre en compte les connaissances et compétences des autres spécialistes. La formation prégraduée et postgraduée interprofessionnelle doit transmettre aux professionnels de santé les compétences et le savoir requis pour la collaboration interprofessionnelle [12]. Mais cette dernière est également influencée par les interactions entre les membres de l’équipe, par différents facteurs organisationnels et systémiques au niveau du système de santé et de formation, par la politique et par la société. Par exemple, un système de financement peut inciter différents professionnels de santé à collaborer [31].
La collaboration interprofessionnelle nécessite une bonne communication entre les membres d’une équipe: les informations peuvent être communiquées («speak up») et prises en compte par chacun d’eux [1, 32], ou des réunions interprofessionnelles peuvent être menées et animées de manière plus formelle. L’échange mutuel est facilité par des relations continues entre les membres de l’équipe, la proximité sur le lieu de travail, des processus standardisés et des structures organisationnelles propices à la collaboration ­interprofessionnelle comme les tumor boards ou les cercles de qualité [3, 8].
Si les modalités de mise en œuvre peuvent varier, la collaboration interprofessionnelle fait souvent partie intégrante d’interventions multimodales ou de modèles tels que le case management ou les soins intégrés [25]. Reeves [11, 27] distingue trois types d’interventions:
– Interventions fondées sur la formation: formation prégraduée, postgraduée et continue
• Séminaires, cours
• Simulation, jeu de rôle, atelier, stage
– Interventions organisationnelles: changement au niveau de l’organisation
• Directives, dispositions relatives au personnel, culture organisationnelle, place de travail, ­accords de consultation
– Interventions pratiques: installation d’un outil ou d’une routine au poste de travail
• Visites interprofessionnelles, tables rondes, briefings et debriefings, tumor boards, cercles de qualité, audits, outils de communication
• Check-lists, itinéraires cliniques, audit, évaluation par les pairs, transmission

Discussion

Depuis quelques années, la collaboration interprofessionnelle suscite un véritable engouement, tant dans la recherche que dans la pratique. Cet intérêt est lié à de nombreuses attentes et s’explique sans doute aussi par le fait que de nombreuses personnes aiment travailler en équipe, en particulier dans le domaine des soins. En outre, il semble que la collaboration interprofessionnelle s’avère tout simplement indispensable vu le nombre croissant de professionnels de santé impliqués dans la prise en charge des patients, surtout en cas de maladies multiples et chroniques. Ainsi, les incidents liés à la sécurité du patient sont souvent dus en partie à des problèmes au niveau de la communication et du travail en équipe. Les chercheurs ne peuvent pas encore affirmer si et surtout dans quelles circonstances la collaboration interprofessionnelle contribue dans la pratique à améliorer la sécurité du patient, la qualité et l’efficacité des soins ainsi que le rapport coût-bénéfice.
Bien qu’il existe une multitude de publications sur la collaboration interprofessionnelle et les concepts connexes, il est urgent que davantage de recherches soient consacrées au sujet, et en particulier à la pro­blématique du bénéfice pour la qualité des soins. La ­définition et les mesures d’un concept applicables à différents contextes doivent faire l’objet de travaux approfondis; des hypothèses concrètes doivent être dérivées de la théorie et testées pour les processus et les modes d’action de la collaboration interprofessionnelle. De plus, de nouvelles études d’intervention sont nécessaires: de qualité élevée, celles-ci devraient prévoir un groupe de référence, mesurer pendant une ­période adéquate les résultats de santé pour le patient correspondant aux objectifs et être clairement axées sur la collaboration interprofessionnelle.
La collaboration interprofessionnelle prend du temps, mais les chercheurs ne se sont pas encore penchés sur cette question. L’intensité de la collaboration interprofessionnelle dépend fortement de la situation concrète et va de la simple information à une prise en charge partagée avec des décisions et des ­actions communes. Afin d’utiliser le plus efficacement possible les ressources humaines disponibles, il est conseillé d’adapter l’intensité de la collaboration ­interprofessionnelle aux besoins du patient et au contexte clinique.
Des études portant sur d’autres domaines que la santé et des enquêtes menées par des spécialistes de la collaboration interprofessionnelle ont mis en évidence les nombreux facteurs de réussite. Les chercheurs n’ont cependant pas encore pu démontrer l’importance de la collaboration interprofessionnelle pour la qualité des soins dans divers contextes et situations cliniques. Au niveau des professionnels de santé, l’ouverture et le respect à l’égard des différents métiers sont des conditions décisives, devant être favorisées par des modules communs de formation interprofessionnelle, tant théoriques que pratiques, et par l’intégration de la collaboration interprofessionnelle dans la formation postgraduée et continue. Sur le plan de l’interaction, il est important que les membres d’une équipe aient des attentes semblables, connaissent les tâches et les rôles de chacun et communiquent entre eux. Au niveau organisationnel, il est utile de mettre en place des processus standardisés ou des structures d’appui comme les tumor boards, par exemple. Enfin, au niveau systémique (société, système de santé et de formation), la collaboration interprofessionnelle peut être encouragée par un programme de financement.
En Suisse, divers concepts et projets ont été mis sur pied pour répondre à l’intérêt croissant pour la col­laboration interprofessionnelle. En voici quelques exemples: en 2013, le groupe thématique «Interprofessionnalité» de la plateforme «Avenir de la formation médicale», dirigée par l’OFSP, a élaboré un concept pour la formation interprofessionnelle des étudiants en médecine [5]; en 2014, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a publié une charte intitulée «Collaboration entre les professionnels de santé» [33] et l’Association pour l’interprofessionnalité, dont la FMH est membre, a été créée pour les soins de premier recours (plateforme www.interprofessionnalite.ch). De 2017 à 2020, des projets de recherche sur l’interprofessionnalité seront réalisés et des modèles de bonnes pratiques documentés dans le cadre du programme de financement «Interprofessionnalité dans le domaine de la santé» dirigé par l’OFSP [34], en s’inspirant du prix Interprofessionnalité décerné par l’ASSM aux meilleurs projets de pratique interprofessionnelle. Pour sa part, la FMH participe au groupe de travail interprofessionnel pour le dossier électronique du patient ainsi qu’aux évaluations interprofessionnelles par les pairs [35]. L’Académie suisse pour la qualité en médecine (ASQM) de la FMH mène en outre le projet pilote «Itinéraire clinique des patients atteints du cancer colorectal», dans lequel dix groupes pro­fessionnels médicaux et dix groupes professionnels non médicaux ont développé un itinéraire clinique intersectoriel et interprofessionnel (pour plus d’informations, voir www.asqm.ch → Projets relatifs à la qualité). Les activités liées à la collaboration interprofessionnelle devraient être coordonnées et intégrer les groupes de professionnels concernés. De plus, les projets doivent clarifier la définition de la collaboration interprofessionnelle et fixer ses objectifs avec une attention particulière.
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