Faut-il soumettre les traitements aux budgets politiques?

FMH
Édition
2018/39
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.17161
Bull Med Suisses. 2018;99(39):1305

Affiliations
Dr méd., président de la FMH

Publié le 26.09.2018

Si même le Blick, après un sondage auprès des cais­ses-maladie, ne pronostique qu’un «léger choc des primes» («Prämienschöckli») [1], alors on peut espérer cette ­année une hausse modérée [2]. Un espoir confirmé par l’analyse du Bund, qui montre que les coûts de l’assurance de base ont été depuis des années inférieurs aux primes [3]. Pour 2017, les autorités d’approbation fédérales ont fixé les primes avec un dépassement de 800 millions de francs par rapport aux coûts effectifs [4].
Prévoir les coûts de santé, et donc fixer les primes, est un exercice complexe; l’évolution des coûts dépend de nombreux facteurs. Mais on s’interroge face au plafonnement étatique envisagé par les politiques: comment l’Etat pourrait-il fixer un budget global réaliste alors que les primes qu’il a approuvées sont à ce point éloignées de la réalité?
C’est bien ce qu’attendent les experts et une partie de la classe politique lorsqu’ils parlent d’«instaurer un plafond contraignant»: l’Etat se verrait confier la mission de définir combien doit coûter la santé. Cette approche d’économie planifiée repose sur l’idée que le monde politique et l’administration peuvent mieux estimer le besoin en soins que les prestataires et les patients. Comme «la demande est largement induite par l’offre» et que les fournisseurs de prestations «ont tout intérêt à augmenter la demande […] au-delà de ce qui est médicalement nécessaire» [5], les contraintes budgétaires visent à corriger le tir. Selon cette logique, l’Etat serait capable de prévoir les soins nécessaires et de les distinguer du superflu. Les 800 millions excédentaires de 2017 s’expliqueraient par le fait que nous n’aurions pas fourni suffisamment de prestations.
Un regard vers l’étranger nous montre que les budgets globaux sont en général calculés trop juste; leur objectif est d’économiser. L’impressionnant article «Au cœur du piège budgétaire» à la p. 1306 traite, avec l’exemple de l’Allemagne, de «la question centrale qui se pose dans un système de soins budgétisés», à savoir «le droit quasi illimité des assurés aux prestations […] [est-il conciliable] avec le plafonnement des coûts?» [6]. La réponse est simple et dérangeante: c’est non. Et même si 20% des actes fournis par les cabinets médicaux allemands ne sont pas payés en raison du budget global, le monde politique veut imposer plus d’heures de consultation [6].
Comme dans toute économie planifiée, dans un système budgétisé, une limitation des coûts induit inévitablement une limitation des prestations, mais aussi des délais, et des privilèges pour les assurés privés. Un tel système ruine le droit de l’assuré à la prise en charge de tous ses coûts hors franchise. En Suisse, le Conseil fédéral montre déjà à quel point il est facile de restreindre ce droit avec le tarif médical; au lieu d’expliquer aux assurés qu’ils n’auront plus droit à certaines prestations dans le cadre de la LAMal, il impose au travers du tarif que ces prestations ne soient plus remboursées. L’assuré qui aurait par exemple besoin d’une consultation plus longue doit trouver un médecin disposé à travailler gratuitement. Le premier volet de mesures d’économie mis en consultation est l’aboutissement de cette stratégie: à l’avenir, la Confédération veut limiter les prestations en obligeant les partenaires tarifaires à «corriger la hausse […] du volume des prestations et des coûts» par des mesures de pilotage [7].
Les soins de santé doivent répondre à des exigences plus élevées que des prévisions de coûts. La législation ne devrait pas imposer que les médecins se soumettent à des plafonds budgétaires. Si, aujourd’hui, les erreurs de calcul conduisent à de «simples» excédents ou déficits l’année suivante, à l’avenir, un budget trop limité entraînerait inévitablement des goulets d’étranglement dans l’accès aux soins.
4 Schweiz am Wochenende, 8.9.2018. Krankenkassen nahmen letztes Jahr 800 Millionen zu viel ein.
5 Rapport du groupe d’experts. Mesures visant à freiner la hausse des coûts dans l’assurance obligatoire des soins. 24.8.2017 (pages 5 et 70).
7 Département fédéral de l’intérieur (DFI) / Office fédéral de la santé publique (OFSP). Mesures visant à freiner la hausse des coûts dans l’assurance obligatoire des soins (AOS): 1er volet de mesures pour la consultation: art. 47. 14.9.2018.