La capacité de discernement 
dans la pratique médicale
Nouvelles directives médico-éthiques de l’ASSM en consultation

La capacité de discernement 
dans la pratique médicale

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Édition
2018/23
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06806
Bull Med Suisses. 2018;99(23):747-748

Affiliations
a Prof. Dr méd. Dr phil., directrice de l’Institut für Biomedizinische und Medizingeschichte de l’Université de Zurich, présidente de la sous-commission «Capacité de discernement dans la pratique médicale»; b lic. iur., MAE, secrétaire générale adjointe et responsable du ressort Éthique de l’ASSM

Publié le 06.06.2018

Les professionnels de la santé de tous les domaines rencontrent régulièrement des patientes et des patients, dont la capacité de discernement au regard d’une décision à prendre est sujette à caution. Les nouvelles directives de l’ASSM s’entendent comme un guide pratique pour l’évaluation de la capacité de discernement. Le ­projet de texte a été discuté mi-mai par le Sénat de l’ASSM et approuvé en vue du lancement de la procédure de consultation. Les organisations et les personnes ­intéressées sont invitées à prendre position du 11 juin au 11 septembre 2018.
En vertu du Code civil suisse, «toute personne qui n’est pas privée de la faculté d’agir raisonnablement à cause de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d’ivresse ou d’autres causes semblables, est capable de discernement au sens de la présente loi» (art. 16). Cela signifie qu’en principe, la capacité de ­discernement est présumée. Ce n’est qu’en présence 
de doutes fondés qu’une évaluation de la capacité de ­discernement est indiquée [1]. Dans de nombreux cas, l’incapacité de discernement est manifeste (par exemple chez les nouveau-nés). Dans d’autres situations, comme par exemple en cas de troubles de la conscience, un examen d’orientation est suffisant. Mais souvent, pour évaluer la capacité de discernement, une évaluation ­rigoureuse est incontournable. Qu’il s’agisse d’une ­adolescente de 13 ans qui s’informe des méthodes contraceptives auprès d’une gynécologue. Ou d’un homme d’un certain âge souffrant de démence légère qui refuse d’être hospitalisé en raison d’une infection sévère des voies respiratoires. Ou d’une trentenaire en état d’ébriété qui, après une chute à vélo, accepte de soigner uniquement sa blessure à la tête, mais s’oppose à un examen neurologique et veut retourner chez elle en vélo. Ou d’un manager maniaco-dépressif qui insiste pour subir une opération de chirurgie esthétique dans l’espoir d’améliorer ses perspectives professionnelles.
Dans de telles situations, les équipes de soins sont ­appelées à décider si le patient concerné est en mesure de décider pour lui-même ou si la décision doit être prise sur la base de directives anticipées ou par un ­représentant, un curateur ou, en situation d’urgence, par l’équipe de soins. L’évaluation revient en première ligne à la personne responsable du traitement. Celle-ci peut déléguer cette tâche à des professionnels compétents ou recourir à des expertises supplémentaires. Le résultat de l’évaluation doit être documenté et accompagné d’une justification adéquate. Ainsi, le patient ou ses proches ont la possibilité de retracer les différentes étapes de l’évaluation et, le cas échéant, de la remettre en cause.
L’attention croissante accordée au respect de l’autonomie du patient dans le quotidien clinique met également en avant la question de la capacité de discernement [2]. L’une des difficultés conceptuelles réside dans le fait que la législation attend une réponse de type oui/non, alors que les capacités cognitives sous-jacentes à la capacité de discernement sont graduelles et peuvent fluctuer [3, 4].
Une étude du Fonds national suisse, réalisée il y a quelques années, a révélé les incertitudes des médecins appelés à évaluer la capacité de discernement des patients [5]. Les évaluations sont souvent réalisées ­implicitement – pour ainsi dire en passant. Mais il ­arrive ­fréquemment que des évaluations explicites – par exemple sous forme d’entretien non structuré avec des questions spécifiques à la situation – soient réa­lisées sans informer le patient que sa capacité 
de ­discernement est mise à l’épreuve. La majorité 
des ­médecins s’est déclarée intéressée par des ins­truments permettant une approche structurée ainsi que par des formations continues et des directives ­officielles.
Avec l’élaboration des nouvelles directives «Capacité de discernement dans la pratique médicale», l’ASSM tient compte de ce besoin. Ces directives s’entendent comme un guide pratique destiné aux médecins et aux autres professionnels de la santé. Elles servent également de référence à d’autres directives, recommandations et feuilles de route pour que cette notion centrale de l’éthique médicale soit utilisée de manière précise et cohérente.

Structure et contenu des directives

Les directives sont structurées en plusieurs parties et comportent une annexe. La première partie définit les bases requises pour l’évaluation de la capacité de discernement, tandis que la deuxième décrit les enjeux dans les différents domaines (par exemple médecine de famille, soins palliatifs). Les bases juridiques et les instruments d’évaluation de la capacité de discernement sont présentés en annexe.
Le concept de la capacité de discernement est esquissé en dix principes. Les capacités mentales sont réparties en quatre catégories: la capacité de compréhension, 
la capacité d’évaluation, la capacité de se forger une ­volonté et de la concrétiser. Dans ce contexte, non seulement les facteurs cognitifs, mais également les facteurs affectifs sont déterminants. En d’autres termes, les émotions jouent, elles aussi, un rôle dans l’évaluation de la capacité de discernement d’une personne.
L’évaluation est également influencée par la manière dont l’évaluateur pondère les capacités, et s’il considère que celles-ci sont suffisantes. C’est pourquoi l’évaluation de la capacité de discernement ne peut être comparée à la mesure de la température du corps ou de l’acuité visuelle, il s’agit bien plus d’un jugement de valeur – même s’il est basé sur des faits: en tant qu’évaluateur, les capacités mentales de la personne concernée me paraissent-elles suffisantes pour qu’elle prenne elle-même, au moment actuel, la décision dont il est question?
L’incapacité de discernement ne peut être prononcée qu’en cas de capacités mentales fortement limitées. La limitation doit, par ailleurs, pouvoir être associée à l’une des notions juridiques suivantes: «jeune âge», «trouble psychique», «déficience mentale», «ivresse» ou «causes semblables». Le résultat de l’évaluation et les arguments sous-jacents doivent être documentés de manière appropriée.
Lorsque l’évaluation de la capacité de discernement est effectuée à l’intention d’un tiers [6], il est probable que l’échelle de valeurs de l’évaluateur influence l’évaluation, ce qui a été confirmé de manière empirique [7]. Dès lors, la qualité de l’évaluation se mesure aussi à la capacité de l’évaluateur à se positionner et, en cas de partialité, à envisager la délégation de cette tâche.
En conséquence, la fiche de documentation inclue dans les directives n’est ni un test rapide, ni un guide pour les avis des experts, mais plutôt un soutien destiné à l’estimation de la capacité de discernement sur la base de critères et de questions clés explicites qui s’orientent selon les capacités mentales citées et les principes des directives. A ce jour, aucune offre de ce type n’était ­disponible [8].
lic. iur. Michelle Salathé
Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM)
Laupenstrasse 7
CH-3001 Berne
m.salathe[at]samw.ch
1 Aebi-Müller R. Der urteilsunfähige Patient – eine zivilrechtliche Auslegeordnung. Jusletter. 22. September 2017.
2 Appelbaum PS, Grisso T. Assessing patients’ capacities to consent to treatment. N Engl J Med. 1988;319:1635–8.
3 Trachsel M, Hermann H, Biller-Andorno N. Cognitive Fluctuations as a Challenge for the Assessment of Decision-Making Capacity in Patients With Dementia. American Journal of Alzheimer’s Disease and Other Dementias. 2014;30(4):360–3.
4 Trachsel M, Hermann H, Biller-Andorno N. Urteilsfähigkeit: Ethische Relevanz, konzeptuelle Herausforderung und ärztliche Beurteilung. Swiss Medical Forum. 2014;14(11):221–5.
5 Hermann H, Trachsel M, Mitchell C, Biller-Andorno N. Medical decision-making capacity: Knowledge, attitudes, and assessment practices of physicians in Switzerland. Swiss Medical Weekly. 2014;144:w14039.
6 Hermann H, Trachsel M, Biller-Andorno N. Einwilligungsfähigkeit: inhärente Fähigkeit oder ethisches Urteil? Ethik in der Medizin. 2016;28(2):107–20.
7 Hermann H, Trachsel M, Biller-Andorno N. Physicians’ personal values in determining medical decision-making capacity: a survey study. Journal of Medical Ethics. 2015;41(9):739–44.
8 Lamont S, Jeon YH, Chiarella M. Assessing patient capacity to consent to treatment: An integrative review of instruments and tools. J Clin Nurs. 2013;22:2387–403.