Les connaissances linguistiques aux limites de l’absurde

En 1877, la politique était-elle plus clairvoyante qu’en 2018?

FMH
Édition
2018/16
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06654
Bull Med Suisses. 2018;99(16):06654

Affiliations
Avocat, directeur de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM)

Publié le 18.04.2018

Avec l’entrée en vigueur de la révision de la loi sur les professions médicales (LPMéd) au 1er janvier 2018, la Suisse a mis en place deux règles importantes pour la protection des patients: d’une part, tous les médecins doivent être enregistrés au registre officiel des professions médicales (MedReg), et donc avoir fait vérifier leur diplôme avant de commencer leur activité pro­fessionnelle et, d’autre part, prouver les connaissances linguistiques nécessaires à l’exercice de leur profession.1 Par conséquent, les médecins «présumés», c’est-à-dire ceux qui pratiquent sans diplôme ou avec un diplôme falsifié, et mettent en danger les patients, appartiennent désormais au passé. Grâce au registre accessible à tous, les patients peuvent vérifier en tout temps si les médecins qui les soignent disposent des diplômes requis.
Lors du recrutement de main-d’œuvre étrangère, les hôpitaux n’ont plus à se prononcer sur la question délicate de l’équivalence des diplômes et peuvent se référer à l’inscription au registre officiel qui a valeur juridique. La notion de «connaissances nécessaires dans une langue officielle du canton» exigées pour l’autorisation de pratique marque un autre progrès, et la fin des erreurs de diagnostic ou des mauvaises décisions de traitement suite à un manque de compréhension de la langue.
Par conséquent, tout va bien. L’objectif est atteint? Oui et non. Une ombre obscurcit encore le tableau: dès l’entrée en vigueur de la révision, quelques cantons ont fait preuve d’une compréhension inattendue des compétences linguistiques requises: le canton du Tessin, par exemple, n’a pas validé le poste d’un médecin zurichois, pourtant au bénéfice d’un diplôme fédéral de médecin, dans un hôpital tessinois au motif d’un manque de connaissances linguistiques, alors que celui-ci est marié à une Tessinoise et parle couramment l’italien. Depuis 1877, aussi bien la Constitution fédérale que la loi fédérale sur l’exercice des professions médicales garantissent aux titulaires d’un diplôme fédéral de médecin de pouvoir exercer librement leur profession sur l’ensemble du territoire de la Confédération. Un acquis et l’exemple convaincant de la clairvoyance politique de l’avant-dernier siècle! Depuis 2018, cette libre circulation ne devrait soudainement plus être possible? De facto, l’article 11c de l’ordonnance sur les professions médicales (OPMéd) ne définit que trois critères pour l’inscription des connaissances linguistiques au registre: un diplôme de langue reconnu au nive­a­u international datant de six ans au maximum, un diplôme universitaire ou un titre de formation postgraduée obtenu dans la langue correspondante ou une expérience professionnelle de trois ans en tant que médecin dans la langue correspondante. Les connaissances linguistiques mentionnées dans le certificat de maturité suisse ont manifestement été oubliées. Ce n’est certainement pas l’idée du législateur de vouloir qu’une Tessinoise, par exemple, qui a suivi ses études de médecine à Zurich après sa maturité ne puisse pas retourner dans son canton, le Tessin, pour accomplir sa formation postgraduée, faute de connaissance de l’italien … Il serait tout aussi grotesque de décider qu’un médecin avec une maturité et des études accomplies dans le canton de Berne ne puisse pas ouvrir un cabinet à Lausanne ou à Genève. Pour le moins, l’OFSP, en charge de la LPMéd, a déjà déclaré qu’il était prêt à réexaminer cette situation insatisfaisante. Un manque de clairvoyance patent serait de faire disparaître 140 ans plus tard, suite à un oubli dans l’ordonnance , la libre circulation garantie depuis 1877 aux médecins au bénéfice d’un diplôme fédéral.