Les forfaits vont-ils tuer la médecine libérale ?

Briefe / Mitteilungen
Édition
2018/12
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06595
Bull Med Suisses. 2018;99(12):06595

Publié le 21.03.2018

Les forfaits vont-ils tuer la médecine libérale?

Certaines spécialités (chirurgiens de la main, ophtalmologues…), avec l’aide de la fmCh, ont donc signé avec santésuisse un accord sur des forfaits pour certaines interventions. Il doit sans doute exister quelques avantages pour ces spécialistes et ceci a donc été présenté comme une victoire pour les médecins. Est-ce vraiment une victoire? Il faudra encore voir en détail comment tout cela fonctionne, mais l’impression actuelle est plutôt que nous étions au bord du gouffre et que nous venons de faire un grand pas en avant! Je peux me tromper, mais pour moi, les forfaits sont la 
fin de la médecine libérale pour plusieurs ­raisons. En premier, ils nous mettent à la merci des assureurs et des politiciens. Si les coûts augmentent, plus besoin de faire des calculs savants avec les positions à modifier ou à limiter. Il suffit de baisser le forfait de 5, 10 ou 20%!
Peut-on s’imaginer un instant que les forfaits vont mieux rémunérer les prestations médicales? Il ne faut pas rêver! Ni le conseiller fédéral Alain Berset, ni Monsieur Prix ne l’accepteront. Et ceux qui pensent que ces derniers ne pourront pas interférer se trompent lourdement. D’ailleurs, santésuisse a déjà clairement annoncé qu’elle allait «mettre la pression» sur les médecins qui refuseront de travailler avec ce système si leurs coûts dépassaient celui des médecins travaillant au forfait! Ce qui n’est pas étonnant puisque les prix des forfaits seront, semble-t-il, inférieurs à ceux du TARMED actuel… Donc soit vous ­acceptez d’être moins bien payés avec les forfaits, soit on va vous rendre la vie infernale.
Ne reste alors, pour les assureurs, plus que l’obligation de contracter à supprimer. En fait, les forfaits contiennent justement cet élément. Car seuls ceux qui auront signé une charte de qualité pourront les utiliser. Et probablement que seuls «certains», qui remplissent «certaines conditions», pourront la signer, avec des engagements de statistiques, etc… Cela ­revient ni plus ni moins à une forme de 
fin d’obligation de contracter: les assureurs ­feront des contrats pour les patients qui ­accepteront de n’aller que chez les médecins travaillant au forfait, choisiront les médecins qui pourront faire certains gestes et les médecins chez lesquels les patients pourront aller se faire traiter. Donc c’est la fin du libre choix du médecin par le patient! CQFD (Ce Qu’il Fallait Démontrer)!
D’un coup de crayon, nous avons ainsi mis fin à la médecine libérale…
Les assureurs vont-ils en rester là? Penser que ces forfaits ne vont concerner que quelques gestes techniques de quelques spécialités est un doux rêve. Nous avons ouvert la boîte de Pandore! Ce n’est qu’un début, et le moment viendra très vite où l’ensemble des actes de toutes les spécialités seront rémunérés au ­forfait: angine, infection urinaire, douleurs dorsales, psoriasis, etc. Du même coup, et c’est grave, les patients perdront le secret médical puisqu’il sera nécessaire de donner le diag­nostic pour avoir le forfait. Rien de grave pour un tunnel carpien. Mais le secret ne pourra pas être gardé pour des traitements d’affections que l’on souhaiterait garder plus discrètes. Eh bien, tous les diagnostics seront (enfin!) connus des assureurs.
Que faut-il penser de ces forfaits? A mon avis, c’est effectivement une vraie victoire… pour les assureurs et la fin de la médecine libérale! Quelle belle médecine on se prépare à avoir avec des médecins encore plus à la merci des assureurs, et des patients qui auront perdu le libre choix de leur médecin et le secret médical! C’est un gigantesque retour en arrière, et le vieil adage qui dit «Mieux vaut être jeune, riche et en bonne santé que vieux, pauvre et malade» n’aura jamais été si actuel!