Réplique aux articles du Dr F. Marty et du Dr B. Sorg [1, 2]

Il nous faut un programme de formation postgraduée flexible

Tribüne
Édition
2018/11
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2018.06398
Bull Med Suisses. 2018;99(11):357-358

Affiliations
a Président de la Commission de la formation postgraduée de la Société Suisse de Médecine Interne Générale (SSMIG)
b Coprésident de la Société Suisse de Médecine Interne Générale

Publié le 14.03.2018

Dans leurs articles, nos collègues les Dr Marty [1] et Dr Sorg [2] soulèvent des questions importantes qui font l’objet d’intenses réflexions au sein de la SSMIG. Ils ­signalent en particulier la problématique de l’encouragement de la relève et de ­l’attrait de la spécialisation en médecine de famille, ainsi que les déficits possibles de la formation des médecins de famille dans le domaine de l’appareil locomoteur.
Il se trouve que la problématique est plus vaste et plus complexe que ne le reflètent les deux articles: la pénurie de jeunes internistes sévit non seulement dans les cabinets de médecins de famille, mais aussi dans les cliniques de médecine interne pour les postes de cadres. Et le manque d’attrait manifeste auprès des jeunes collègues ne concerne pas seulement la carrière de médecin de famille, mais aussi celle d’interniste ­généraliste à l’hôpital. Il n’est donc pas vrai d’affirmer que le nouveau programme de formation postgraduée (PFP) en médecine interne générale (MIG) prive de médecins le secteur ambulatoire [1]. C’est aussi faire fi de la réalité que d’attribuer à la PFP en MIG la responsabilité du manque de compétences interdisciplinaires et d’expérience en collaboration interprofessionnelle [1], ou de suggérer que cette même formation ne fera connaître au médecin que des «syndromes exotiques qu’il ne rencontrera qu’une fois, sinon jamais, en 30 ans de carrière». Notre activité – non seulement en cabinet, mais aussi celle de l’interniste à l’hôpital – a sensiblement évolué au cours des 30 dernières ­années, notamment vers un renforcement progressif du travail d’équipe, dans lequel la collaboration interdisciplinaire et interprofessionnelle joue un rôle particulièrement important. On peut bien sûr se disputer sur la définition d’un tableau clinique «exotique» – sans parler du fait qu’on ne rencontre naturellement de tels tableaux qu’à condition de savoir les reconnaître – mais cela ne doit pas détourner notre attention du cœur du problème: notre activité de géné­ralistes en cabinet et à l’hôpital nous confronte à plusieurs défis majeurs. D’une part, l’activité de géné­raliste (en cabinet ou à l’hôpital) semble exercer moins d’attrait aujourd’hui qu’une activité de spécialiste. D’autre part, les progrès fulgurants de la médecine font qu’il n’est plus possible aujourd’hui de l’exercer avec la même compétence dans tous les ­domaines de la MIG et de la médecine de famille. ­L’interniste hospitalier «qui sait tout» et la doctoresse traitante «qui peut tout faire», tels qu’ils existaient peut-être encore il y a 30 ans, font partie du passé. De même, la notion de cabinet généraliste «moyen» ou de clinique interniste «moyenne» ne veut rien dire. Un médecin de famille d’une vallée du Tessin, appelé à réaliser des interventions urgentistes dans les accidents de la route, acquerra sans doute des compétences spécifiques supplémentaires autres que celles d’une généraliste à Bâle qui suit un grand nombre de patients VIH… Des insuffisances dans la formation postgraduée sont dénoncées de tous côtés, déficits que l’on demande de combler par des cours obligatoires (communication, éthique, économicité de la médecine, médecine palliative, bon usage des antibiotiques, détermination de la capacité de travail, médecine des assurances, évaluation de l’aptitude à la conduite, à quoi on peut ajouter les cours de traumatologie et de médecine des accidents évoqués dans les articles et que sais-je encore…), des périodes obligatoires supplémentaires de formation postgraduée (x années de chirurgie, de traumatologie, de rhumatologie…) et enfin, un nombre minimum d’examens ou d’interventions à effectuer (x ponctions pleurales, x ECG d’effort, etc.). Si chacune de ces exigences considérée séparément est probablement justifiée, un programme de formation postgraduée qui prétendrait ­répondre à toutes ces exigences en imposant des lis­tes encyclopédiques de connaissances et d’aptitudes à ­acquérir obligatoirement est impossible à réaliser et res­tera un tigre de papier qui n’améliorera pas la qualité de la formation postgraduée. Il nous faut un PFP aussi flexible que possible qui, en plus des compéten­ces de base, permette l’acquisition modulaire des compétences dont le candidat a besoin pour exercer l’activité souhaitée. Bien entendu, le titre de médecin spécialiste ne dispensera pas son titulaire de s’astreindre à une formation continue et d’acquérir des compétences supplémentaires, mais l’on ne saurait l’obliger systématiquement à obtenir des certificats, titres ou «labels» supplémentaires pour pouvoir exercer l’activité d’interniste dans un hôpital ou de médecin de famille en cabinet. Nous devons nous ­demander si le développement du PFP, actuellement basé sur des catalogues d’objectifs de formation et des critères obligatoires (nombre d’examens réalisés, pério­des de formation), ne devrait pas être orienté au moins en partie vers un PFP basé sur les compétences, comme cela se passe du reste actuellement pour les études de médecine en Suisse et dans d’autres pays [3].
La Commission de la formation postgraduée de la SSMIG projette d’ores et déjà de réviser les catalogues des ­objectifs de formation. En outre, la SSMIG a fait intervenir un «groupe de travail pour l’encouragement de la relève» qui a émis en septembre 2017 cinq recommandations qui ont été reprises par différents organes de la SSMIG:
1. Révision des catalogues des objectifs de formation du PFP
2. Mise en place de plans d’études systématiques et coordonnés (entre autres avec mentoring et conseil de carrière systématiques et institution, au moins dans les grands hôpitaux, de plans de carrière spécifiques pour médecins de famille et pour internistes hospitaliers)
3. «More action, less administration!»: accent mis sur la formation postgraduée en ­médecine aiguë (urgences), enseignement systématique d’aptitudes techniques utiles (par ex. échographie, ponctions), réduction des activités administratives par le recours à des fonctions de soutien («coordinatrices de soins», etc.)
4. Promotion ciblée de la recherche et développement et de l’enseignement en médecine ­interne générale
5. Création ciblée d’une image positive du rôle de l’interniste généraliste
Le rôle décisif, à l’hôpital comme en cabinet, des internistes généralistes capables d’une prise en charge ­holistique de leurs patients et donc d’une véritable «médecine personnalisée» – contrairement à une médecine fragmentée, centrée sur les organes [4] – est en passe d’être redécouvert, y compris au niveau international. Notre PFP en MIG doit être à la hauteur de ce rôle et donner à ses titulaires les bases d’un exercice réussi de l’activité de généraliste en cabinet ou à l’hôpital.
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Info[at]sgaim.ch
1 Marty F. Sechs Jahre Weiterbildungsprogramm «Allgemeine Innere Medizin». Ein Feedback aus der Praxis. Bull Méd Suisses. 2018;99(11):353–5.
2 Sorg B. Les déficiences de la formation des médecins de premier recours. Manque de compétences dans les soins de l’appareil locomoteur. Bull Méd Suisses. 2018;99(11):356.
3 Powell DE, Carraccio C. Toward competency-based medical education. N Engl J Med. 2018;378:3–5.
4 Greene JA, Loscalzo J. Putting the patient together – social medicine, network medicine, and the limits of reductionism. N Engl J Med. 2017;2493–9.