Quand une comédie illustre les enjeux éthiques du débat sur l’amélioration humaine

Imagine+? Quand une comédie illustre les enjeux éthiques du débat sur l’amélioration humaine

Horizonte
Édition
2017/03
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2017.05150
Bull Med Suisses. 2017;98(03):89–90

Affiliations
Dr, Institute of Biomedical Ethics and History of Medicine, University of Zurich

Publié le 17.01.2017

Le premier Homme qui vivra mille ans est né. C’est du moins l’avis du scientifique transhumaniste Aubrey de Grey [1]. Déclaration qui semble sans doute un peu loufoque pour certains. Déclaration néanmoins prise très au sérieux dans le débat académique concernant les questions éthiques de l’augmentation de l’humain, comme le démontre la récente présentation [2] de Vincent Menuz au TEDxMartigny de cette année. ­Cependant, De Grey ne se doutait sûrement pas que le premier Homme augmenté serait en fait une femme. Qui plus est Valaisanne. Dans son nouveau spectacle Imagine+ [3], la comédienne Sandrine ­
Viglino se questionne sur l’augmentation de l’être ­humain, ainsi que sur le transhumanisme. Elle se ­présente comme la première femme qui va vivre mille ans.

La comédie: favorable à encourager 
la réflexion éthique sur l’augmentation humaine?

Débat principalement académique, est-ce que la comédie serait-elle aussi propice à encourager la réflexion éthique sur l’augmentation humaine? Dans le cadre de mes recherches à l’Université de Zurich, Sandrine m’avait contacté l’année passée pour en parler. Elle avait même participé à un carnotzet scientifique à Sion, intitulé pour l’occasion: «Valaisans augmentés: la science pour se dépasser ou se soigner?» [4]. Mais, pourquoi une humoriste s’intéresse-t-elle à un tel sujet?
Réponse lors de l’avant-première du spectacle, le 20 octobre 2016 au théâtre de Valère, à Sion. Après des mois de préparation, Sandrine demande à son public si cela vaut la peine de devenir Sandrine+, une version améliorée d’elle-même. Elle illustre de façon très convaincante, subtile, et pleine d’humour les différents arguments qui se trouvent dans ce débat: Qui aura accès à ses nouvelles technologies? Pourra-t-on tous s’augmenter, où seulement quelques élus y auront droit? Sera-t-on forcé de s’améliorer? Si le bionique devient plus performant que le biologique, remplacerons-nous volontairement différentes parties de notre corps, les unes après les autres? Quels sont les risques liés à l’augmentation humaine? Aura-t-on assez de ressources ­naturelles pour vivre plus longtemps?

Les dangers, la justice sociale et l’auto­nomie des individus

Ce sont des questions bioéthiques sur les dangers, la justice sociale et l’autonomie des individus que se pose donc Sandrine Viglino. Son spectacle fait même allusion aux questions de pertes d’emplois qu’engendre déjà l’automatisation du travail: si les robots font un meilleur travail que les êtres humains, que devons nous faire de notre temps libre (voir «La singularité technologique et le revenu de base inconditionnel», Le Temps, 11 mai 2016) [5]?

Quel est l’avenir de l’humain face aux technologies d’amélioration?

Puis, au cœur du spectacle, comme au cœur du débat, la question de l’humain et de sa place dans l’univers, ainsi que de sa relation avec lui-même et autrui, se pose. Quel est l’avenir des relations intimes entre ­humains et robots? Certains scientifiques se posent déjà la question quant aux différents types de relations qu’il peut y avoir entre l’humain et la machine, notamment sur les relations où le robot ne serait pas consentant, ou si le robot avait l’apparence d’une personne mineure [6]. Enfin, de manière naturelle, Sandrine se tourne vers Dieu: «Dois-je m’augmenter ou pas?», lui ­demande-t-elle.
Paris donc réussi, la comédie semble ici un moyen très intéressant pour se questionner sur l’avenir de l’humain face aux technologies d’amélioration, ainsi que pour illustrer certains aspects du débat académique. On y voit même, un des aspects des «humanités médicales», ce domaine académique interdisciplinaire où les sciences humaines et sociales examinent la condition humaine, la personnalité, la souffrance, et le monde médical en général. Certains espèrent utiliser les ­«humanités médicales» afin d’aider les praticiens de la santé à développer des compétences d’empathie et d’analyse; compétences essentielles pour donner de bon soins médicaux (voir définition [7]). Avec Sandrine, on se demande si l’humour devrait également faire partie de cet ensemble de compétences.
Pour certains, les «humanités médicales» devraient être une branche purement académique et rester dans un contexte universitaire. Pour d’autres, les «humanités médicales» devraient également se développer en dehors de la tour d’ivoire, et, pourquoi pas, toucher le monde culturel et artistique. Le spectacle de Sandrine Viglino illustre cela à merveille. Son spectacle amène non seulement le débat éthique sur l’Homme augmenté au grand public, mais suggère également une ­façon d’envisager ce qu’une partie des «humanités ­médicales» pourraient être. Les murs entre le monde académique et celui de la culture tombent, afin qu’ensemble, ces deux mondes réfléchissent aux problématiques actuelles.
Dr Johann A. R. Roduit
Institute of Biomedical Ethics and History of ­Medicine
Center for Medical ­Humanities
University of Zurich
Winterthurerstrasse 30
CH-8006 Zurich
johann.roduit[at]
ethik.uzh.ch
1 Interview d’Aubrey de Grey. http://www.news.com.au/technology/science/human-body/researchers-believe-a-biological-revolution-enabling-humans-to-experience-everlasting-youthfulness-is-­coming/news-story/d86c96b4f91639d0fbf3424a94f061b4
2 Menuz V. Mourir, une faute morale? http://tedxtalks.ted.com/
video/Mourir-une-faute-morale-Vincent
3 http://www.sandrineviglino.ch/
4 http://neurhone.ch
5 Roduit J. La singularité technologique et le revenu de base incon­ditionnel. Le Temps. 11 mai 2016. https://www.letemps.ch/
opinions/2016/05/11/singularite-technologique-revenu-base-­inconditionnel
6 Danaher J. Robotic Rape and Robotic Child Sexual Abuse: Should They be Criminalised? Criminal Law, Philosophy (2014). doi:10.1007/s11572-014-9362-x
7 Center for medical humanities, University of Zurich, http://
www.ibme.uzh.ch/en/cmh.html